Lorsque Thierry Delperdange a choisi de se former au coaching il y a une vingtaine d’années, il est parti trouver l’inspiration à l’étranger. Et plus précisément à Montréal. Embryonnaire à l’époque en Europe, le coaching était déjà entré là-bas dans les mœurs, tant dans la vie professionnelle que dans la sphère privée.
Un voyage initiatique de l’auteur de «Je suis un flexiterrestre» qui l’avait conduit à rencontrer Carole Perez. Deux décennies plus tard, leur collaboration perdure. Nous les avions rencontrés fin 2019 à l’occasion de la première visite de Carole Perez au Luxembourg pour une série de formations qui devrait en amener d’autres.
Le rôle du coach est moins ancré dans la culture en Europe. Comment expliquez-vous ce décalage?
Carole Perez (C.P.). – «Cela vient peut-être en partie d’une forme de pudeur européenne. Et de penser que le coaching ne s’applique qu’en cas de problème. La culture américaine de la pratique du sport dès le plus jeune âge et le rôle du coach participent aussi probablement à cette différence de perception. Le regard de l’autre fait partie de notre culture. Le coach peut m’aider à aller plus loin et plus vite, à mieux me connaître, à me réaliser, dans une approche d’accompagnement.
Thierry Delperdange (T.D.). – «La coopération semble être une évidence au Canada. Lorsque vous êtes embourbé dans la neige, les gens sont solidaires. L’idée de coopérer est souvent mise à mal par l’approche de ‘concurrence’ en Europe. Mais la force de la coopération infuse progressivement en Europe.
Au-delà de votre rencontre, comment s’est forgée votre collaboration?
T.D. – «Elle part du constat du partage d’une communauté de valeurs entre nos deux cultures. Une communauté de valeurs sur le coaching comme processus de co-construction, sur le fait d’être dans un processus de coresponsabilité, sur l’importance de prendre soin de soi et de l’autre. Une communauté de valeurs autour de la bienveillance en général. J’ai aussi senti que l’expérience canadienne, qui est plus longue que la nôtre, amène à une certaine forme de pragmatisme, une efficacité orientée vers la solution.
Le mauvais coach est dans une posture d’aide.
Qu’est-ce qu’un bon ou un mauvais coach?
C.L. – «Pour répondre à cette question, il faut faire la différence entre l’aide et l’accompagnement. Le coach ne se substitue pas au psychologue. Le coach se place dans un processus de prise de conscience, de compréhension d’éléments bloquants pour pouvoir avancer vers un objectif. Il aide à se mettre en mouvement, à sortir de sa zone de confort en plaçant des balises. En aucun cas le coach ne va guérir. Le mauvais coach est celui qui ne connaît pas son ADN et qui outrepasse sa compétence.
T.D. – «Le bon coach est dans la justesse, il est à côté du ‘coaché’. La notion d’accompagnement exclut toute prise de pouvoir. Le mauvais coach est dans une posture d’aide et qui peut parfois, avec des intentions bienveillantes, faire beaucoup de dégâts, car il y a une sorte de prise de contrôle du ‘coaché’. Il faut être attentif au fait que le public qui vient vers nous est un public en questionnement.
L’objectif n’est pas de travailler plus fort, mais de travailler plus intelligemment.
Vous avez choisi d’organiser une formation sur une notion aussi intangible que centrale en entreprise qu’est le temps. Sur base de quels constats?
T.D. – «La gestion du temps s’inscrit dans une forme d’actualité puisque l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est une question majeure pour beaucoup d’Européens. Avec le besoin de comprendre comment équilibrer le temps alloué au travail et celui dédié à la vie privée.
C.P. – «Pendant 10 ans, j’ai fait du coaching de décideurs en entreprise. C’est sur base du constat de problématiques récurrentes que j’ai décidé de créer un cursus en leadership pour apprendre pour moitié à se gérer soi-même et pour l’autre à apprendre à gérer les autres. Le but est, in fine, d’améliorer la qualité du temps de chacun. Une des clés est de prendre conscience de la valeur de son temps. L’objectif n’est pas de travailler plus fort, mais de travailler plus intelligemment.
Reste à connaître son propre rythme…
C.P. – «Nous travaillons pour ce faire sur le biorythme de chacun, avec des phases de haut potentiel dans la journée qu’il faut exploiter au mieux. Il y a des gens du soir et des gens du matin… Entre les tâches qui nécessitent de l’énergie et d’autres qui nécessitent juste une présence, l’enjeu est de connaître ses pics de haut potentiel, qui se présentent généralement deux fois par jour, pendant deux heures chacun. Il faut être avare de ces pics de haut potentiel. C’est typiquement à ce moment-là que l’on va fermer sa porte pour travailler à plein potentiel sur des tâches énergivores.
Planifier l’organisation d’une journée, est-ce bien réaliste?
C.P. – «Je propose de travailler sur l’objectif: qu’est-ce que je souhaite réaliser sur une année? Une sorte de mini business plan qui permet de savoir dans quelle direction on souhaite aller, en apprenant aussi à dire ‘non’.
Comment communiquer intelligemment aux autres que l’on souhaite prendre le contrôle de sa journée?
C.P. – «L’approche ‘par trois’ me semble pertinente. Quelles sont les trois choses que je veux accomplir par jour, par semaine, par mois, par année. Si j’ai pris conscience de ces trois éléments, je peux me concentrer et m’organiser pour atteindre ces objectifs.
Il faut s’offrir des moments à soi pour être à l’écoute de soi.
L’importance de la gestion du temps est-elle caractéristique de notre époque?
C.P. – «Nous vivons une époque caractérisée par une surconsommation d’information et une sorte de curiosité maladive. Beaucoup de mauvaises habitudes qui se sont développées deviennent parfois la norme. Pensez à ces secondes par jour que vous passez à consulter et répondre à vos mails. Parfois au saut du lit… C’est rare de perdre des heures, mais des mini secondes perdues ou mal gérées se transforment en heures. 40 minutes gagnées par jour représentent un mois à la fin de l’année.
T.D. – «Le travail a changé de visage en termes de rapport au temps durant les dernières années. Hormis quelques exceptions, nous sommes sortis d’une époque où les professions étaient très régulées pour n’avoir que des professions où l’on peut travailler avec des horaires variables, en étant connectés 24 heures sur 24. Ce qui bouscule le rapport au temps dans sa vie affective et personnelle… et le temps que l’on se consacre à soi-même. Or il faut s’offrir des moments à soi pour être à l’écoute de soi.
La mauvaise gestion du temps fait-elle partie des causes du burn-out?
T.D. – «C’est une des causes. Lorsqu’on est désaligné, en surcharge de tension, on finit par s’épuiser. Ce qui m’interpelle est de voir à quel point certaines personnes sont dans le déni quant aux signes avant-coureurs du burn-out.
Remarquez-vous que la notion du temps est considérée différemment par les jeunes?
T.L. – «En restant prudent et sans verser dans des généralisations, je crois qu’une part des jeunes qui arrivent sur le marché du travail se posent la question du rapport au temps que d’autres se sont parfois posée à 40 ans. La question du sens arrive aussi beaucoup plus tôt pour beaucoup de monde. Mais évitons là aussi les généralisations. Je défends plutôt une gestion personnalisée de carrière. Je ne suis pas dans les discours qui catégorisent les générations Y, Z, etc., car les lignes sont beaucoup plus floues.
C.P. – «Peut-être est-ce lié à l’Amérique du Nord, mais je trouve que les nouvelles générations savent qu’elles doivent se réaliser dans l’entreprise, alors qu’auparavant, on contribuait à la réalisation de l’entreprise. Ceci dit, je remarque qu’il subsiste une glorification du fait d’être occupé. Si j’ai du temps, j’ai l’air d’un ‘looser’. Quelqu’un qui est très occupé est quelqu’un dans l’action… mais ne pas savoir écouter l’autre faute de temps peut être interprété de deux manières: soit vous êtes mal organisé, soit vous donnez l’impression à votre interlocuteur qu’il n’est pas votre priorité.
La bienveillance, c’est de regarder l’autre avec son cœur et pas avec sa tête.
La notion de «bienveillance» fait partie du langage courant en entreprise, parfois en étant galvaudée. Quelle est votre propre définition de la bienveillance?
T.D. – «Ce terme est en effet souvent galvaudé et confondu avec des attitudes mièvres, de laisser-aller, de renoncement. La bienveillance veut tout simplement dire vouloir le bien. Ce qui signifie comprendre ce qu’est le bien pour soi au travers de ses valeurs, de ses engagements, de ses objectifs, au travers du cadre dans lequel on va évoluer. Lorsqu’on a compris comment ces éléments fonctionnent pour soi-même, on peut entrer dans une relation bienveillante à l’autre. En étant à l’écoute des aspirations de l’autre. Je me rends compte que la plupart des problèmes qui nous animent sont souvent liés à de l’incompréhension de soi et des autres. C’est parce qu’on est dans le flou…»
C.P. – «La bienveillance, c’est de regarder l’autre avec son cœur et pas avec sa tête. Dès qu’on est dans son cœur, on ne veut pas contrôler l’autre, on ne veut pas lui dire quoi faire, on est en questionnement. Si je suis en questionnement, j’accueille les réponses de l’autre. J’adopte une posture pour accueillir l’autre et l’accompagner.»