Qui dit qualité, dit personnel qualifié. De plus en plus rare et de plus en plus cher dans une Europe où la part des plus de 65 ans va grandir rapidement dans les années qui viennent. (Photo; Shutterstock)

Qui dit qualité, dit personnel qualifié. De plus en plus rare et de plus en plus cher dans une Europe où la part des plus de 65 ans va grandir rapidement dans les années qui viennent. (Photo; Shutterstock)

Avec 100 employés pour accueillir 123 résidents «qualitativement», Orpea est… seulement dans la moyenne luxembourgeoise. Mais l’arrivée du géant français cristallise une bombe à retardement: la raréfaction annoncée du personnel qualifié.

À quoi mesure-t-on la qualité d’une infrastructure d’accueil de personnes âgées? À l’infrastructure elle-même, mais aussi à la qualité de l’accompagnement. Avec 100 employés recrutés ou en voie de recrutement pour sa première résidence au Luxembourg, à Merl– qui pourra accueillir à terme jusqu’à 123 résidents –, le groupe français Orpea est «seulement» dans la moyenne luxembourgeoise.

Selon le rapport annuel 2020 du ministère de la Sécurité sociale, les maisons de soins et Cipa emploient 5.520 équivalents temps plein (ETP) pour 4.778 résidents, soit 1,15 personne par résident.

«Il faut nuancer ce chiffre», explique le directeur de la division «personnes âgées» du ministère de la Famille, Claude Sibenaler. «C’est un environnement très hétérogène, selon le niveau de comorbidités dont souffrent les résidents, leur âge et leur taux de dépendance. À chaque fois, l’Assurance dépendance doit déterminer, en fonction de la structure, les besoins minimaux en personnel. Globalement, les Cipa acceptent des pensionnaires autonomes jusqu’au niveau 15 de la dépendance, qui est le niveau le plus élevé, alors que les maisons de soins s’occupent des personnes dépendantes. Mais parfois, vous avez des Cipa qui préfèrent travailler avec des personnes dépendantes plutôt qu’autonomes.»

Plus 170% de créations de jobs d’ici 2050

Ces 4.778 personnes ne représentent qu’un tiers des 14.832 bénéficiaires des dispositifs de «soins de longue durée», au service desquels travaillent 9.900 ETP. Ce dernier chiffre passera à 15.314 en 2030, et à 27.300 en 2050, selon les statistiques que le Luxembourg a apportées au rapport européen de 2021 de la Commission européenne sur l’avenir du secteur.

Car «en raison d’une augmentation significative de l’espérance de vie, et malgré un important flux migratoire net, le Luxembourg connaîtra l’une des plus fortes hausses de la part des personnes âgées de 65 ans et plus parmi les États membres de l’UE27. En effet, la part des personnes de 65 ans et plus devrait passer de 14,4% en 2019 à 25,5% en 2050; le nombre des personnes âgées de plus de 65 ans doublera, alors que la population totale n’augmentera que d’un tiers dans le même temps», dit le rapport dans son annexe consacrée au Luxembourg.

Qui plus est, «le Luxembourg connaîtra également une augmentation du nombre de personnes nécessitant des soins de longue durée. Le nombre de personnes à charge potentielles devrait passer de 55.700 en 2019 à 68.500 en 2030, et à 88.700 en 2050».

Un changement qui masque l’évolution d’une autre donnée, peu étudiée: la part des aidants familiaux dans ce soutien au quotidien d’un proche âgé et souffrant. Or, selon les statistiques européennes, cette forme d’aide est assumée à 70% par des femmes… Au moment où le Luxembourg a pour ambition d’insérer 73% des femmes sur le marché du travail, si quelques-unes se retrouvent peut-être dans le domaine de la santé et de l’accueil des personnes âgées, qui occupe déjà 90% de main-d’œuvre féminine, elles seront moins nombreuses à s’occuper de leurs proches et il faudra aider ces patients pour l’instant pris en charge dans un contexte privé.

La Grande Région pas inépuisable

Mais où trouver ces profils appelés à se raréfier drastiquement dès 2030 – dans moins de dix ans, délai à mettre en connexion avec leur temps de formation? Et non seulement où les trouver, mais comment s’assurer qu’ils auront un niveau de qualification suffisant pour maintenir un niveau de qualité que la ministre de la Famille, (DP), entend au minimum préserver dans son projet de loi encore décortiqué par le Conseil d’État? 

Aujourd’hui, 45% de ce personnel vient de la Grande Région. Non seulement cela pose des problèmes linguistiques, mais le vivier, comme dans d’autres secteurs plus souvent sous la lumière comme les talents dans l’ICT, n’est pas inépuisable. Il faudra les rémunérer de manière attractive dans un pays où 80% des personnes potentiellement concernées estiment avoir les moyens financiers d’aller dans une maison de soins ou un Cipa (contre 3,3% qui ne peuvent pas y aller pour les mêmes raisons).

L’an dernier, dans un contexte de récompense liée au comportement exemplaire de ces personnels pendant la pandémie, la grille de rémunération a été légèrement relevée, en plus d’une série d’acquis qui vont de jours de congé supplémentaires au droit à la déconnexion. Dans la précédente version de cette convention collective et qui a servi de base au rapport européen, les salaires allaient de 2.433 euros à 3.838 euros mensuels pour le niveau C1 le moins qualifié (et pour 40 heures de travail, précision importante pour nos amis français) à 7.005 à 10.290 euros pour le niveau C7, le plus qualifié.

Ce qui rognera dangereusement la marge des grands acteurs sous le feu des projecteurs actuellement. Et potentiellement sur leur envie de continuer à y investir.

Nouvelles formations et nouvelles technologies

Là où l’ex-ministre des Finances, (DP), proposait la création d’une sorte de centre de formation des métiers de santé, à cheval sur le Luxembourg et les pays intéressés, le gouvernement a pour l’instant commencé à pousser de nouvelles formations supérieures, à partir de la rentrée 2023-2024, à l’Université du Luxembourg, dans la foulée de celles du Lycée technique des professions de santé… après lequel les jeunes allaient poursuivre leurs études à l’étranger, sans toujours revenir au pays.

Si l’on peut toujours rêver que nos sociétés reviennent au modèle qui consistait à s’occuper de ses parents et grands-parents, il paraît plus judicieux d’observer avec attention les progrès médicaux et technologiques. Ou les deux réunis, comme cette technologie développée par la start-up canadienne ViewMind, dont le quartier général européen est au Luxembourg, et qui peut, à partir de ses grosses lunettes de réalité augmentée, détecter les signes avant-coureurs de démence et d’Alzheimer, réduisant le temps de détection de jusqu’à dix ans et les coûts par sept. La santé, un autre domaine technologique dans lequel le Luxembourg s’est engagé et dont les promesses sont nombreuses, de la prise en charge à domicile à des avancées porteuses d’optimisme.