Officiellement, le Black Friday se déroule vendredi 24 novembre. Mais dans les faits, l’opération joue souvent les prolongations. (Photo: Maison Moderne)

Officiellement, le Black Friday se déroule vendredi 24 novembre. Mais dans les faits, l’opération joue souvent les prolongations. (Photo: Maison Moderne)

Du côté des enseignes comme chez les clients, la grand-messe annuelle du shopping qui a démarré vendredi matin suit des tendances diverses. Pour un Black Friday tout en contrastes cette année.

Sept sur dix. En Occident, sept personnes sur dix avaient prévu d’effectuer des emplettes lors de l’édition 2023 du Black Friday, selon une étude du cabinet de conseil américain BCG. Dépenses moyennes prévues pour l’occasion: environ 375 euros. Le phénomène est mondial. Née aux États-Unis, la grand-messe consumériste est parvenue en moins d’une décennie à planter ses crocs jusqu’en Europe. Sur le papier, la promesse de prix sacrifiés est alléchante. Sur le terrain, la réalité est différente. S’il est difficile, du côté des commerçants, de passer à côté du rendez-vous, tous ne l’abordent pas avec la même approche. Idem pour les clients. Après deux heures de shopping dans les rues de la capitale, vendredi 14 novembre, on a identifié différentes familles…

Les accros

10h15, dans le vent traître d’une matinée tissée de gris. Paula, la vingtaine, n’a pas perdu de temps. Avenue de la Gare, à Luxembourg, elle presse ses sneakers d’un pas déterminé sur le trottoir. À son bras, un premier sac papier à l’effigie d’une grande marque de streetwear. «Et il y en aura d’autres», sourit cette résidente luxembourgeoise, pour qui le Black Friday résulte d’une organisation quasi militaire.

«Je me prends au jeu chaque année, témoigne la jeune femme. Un, je repère les articles intéressants et j’établis une liste. Deux, je fais un peu de shopping online les jours précédents. Trois, je viens en ville effectuer mes achats en respectant ma liste. Mais je reste dans mon budget, je m’interdis d’aller au-delà.» Quel budget? L’index sur la bouche, Paula garde l’info pour elle, lâchant seulement: «Je vais dépenser beaucoup trop.»

Gaëlle et Cindy affichent quant à elles clairement la couleur: 250 euros pour l’une, 150 pour l’autre, c’est ce qu’ont en poche ces deux frontalières, venues tout exprès en provenance de Thionville. «Il y a plus de choix à Luxembourg. Et par rapport à la France, les offres semblent plus intéressantes. Black Friday ou pas, on est accros au shopping. La mode, tout ça… C’est sûr que c’est un rendez-vous que l’on ne peut rater.»

Leur enthousiasme est contagieux. À deux pas de là, dans les premiers effluves de saucisses rôties et de gromperekichelcher déjà en train de rissoler, une vendeuse de confiseries a ouvert les volets de son petit chalet de bois avec quelques dizaines de minutes d’avance sur le coup d’envoi des Winterlights. Elle rigole derrière son étal: «C’est pour profiter de l’effet Black Friday. Il devrait y avoir la foule aujourd’hui.»

Les stratèges

La foule? Les rues quittent peu à peu la torpeur du matin, oui, mais loin de toute cohue. «On dirait presque une journée normale», s’étonne une vendeuse des Galeries Lafayette, rayon mode femmes. Plus bas, un conseiller du magasin Fnac et un client discutent le bout de gras devant un large choix de casques audio, sans urgence. «Prenez votre temps…»

Où est passée la fièvre acheteuse? Dans les centres commerciaux plus sûrement. «À midi, rapporte Thierry Debourse, directeur du Belval Plaza, à Esch, on se trouvait sur la tendance du Black Friday de 2019, qui était un très bon cru. On a enregistré 50% de passages en plus par rapport à un vendredi classique.» Sur les parkings, beaucoup de plaques d’immatriculation françaises, selon le big boss.

Comme d’autres centres dans le pays, le Belval Plaza fermera tard dans la soirée. Les achats seront possibles également dimanche 26 novembre. Pourtant, la communication autour de l’événement n’a déclenché aucun tam-tam cette année. Deux raisons à cela. La première tient au fait que l’enseigne MediaMarkt fait figure de locomotive, ayant elle-même fait le job en matière de promotion du Black Friday. «On profite d’un effet d’entraînement», glisse Thierry Debourse. Pour preuve, le temps de séjour moyen des clients: environ 1h20.

La seconde raison s’explique par le choix de Belval Plaza de braquer les projecteurs sur son offre différenciante du week-end, à savoir la venue, samedi 25 novembre, de l’humoriste français Artus, particulièrement apprécié du jeune public de l’autre côté de la frontière. De l’art de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Les discrets

Retour dans la capitale. Avec ses ballons noir-orange suspendus aux rampes de néons, le magasin MediaMarkt de l’avenue de la Gare joue à fond la carte du Black Friday, comme à Esch-Belval. Pour une grande majorité de points de vente, la signalétique se veut plus discrète, se limitant parfois à une simple affichette au format A4 fournie par l’Union commerciale de la ville de Luxembourg (UCVL). Choix assumé. «On ne souhaite pas en faire trop, ce serait contre-productif», tranche la gérante d’une adresse d’habillement.

Rue Philippe-II, sans étonnement, les vitrines sont vierges d’affichage. Question de standing. Les bonnes affaires peuvent tout de même être au rendez-vous. C’est le cas chez Zadig & Voltaire. Une fois à l’intérieur, les soldes existent, signalés par d’élégants mobiles en bois. Quand même plus chic que des visuels criards.

Les ignorants

Grand-rue, Jennifer s’esclaffe: «Je ne savais même pas que c’était un jour spécial!» La future maman au ventre joliment arrondi porte justement un sac marqué du logo de l’enseigne de prêt-à-porter pour enfants Jacadi. «Un cadeau en prévision de Noël. Mais j’ignorais que c’était le Black Friday. Résultat, je n’ai même pas fait de bonnes affaires. L’article que j’ai acheté n’était pas soldé.» À se demander à quoi sert la pub…

Les réfractaires

Comme les «ignorants», il s’agit d’une espèce rare, mais existante. À midi, place Hamilius, un rassemblement s’est formé à l’appel de différentes associations et organisations syndicales. Dans le viseur de cette manifestation, Amazon. Emblématique, la date retenue ne doit pas grand-chose au hasard.

Pour d’autres, le Black Friday s’inscrit à contre-courant de leurs convictions. Rue Chimay, dans la Ville-Haute, Clémence dirige depuis plus de trois ans La Manufacture Bohème, une boutique de déco créée aux côtés de sa sœur. «Pourquoi on ne participe pas? Par respect pour le travail de la trentaine de marques indépendantes avec lesquelles nous collaborons. Beaucoup sont engagées. Elles cherchent toute l’année à proposer le prix le plus juste, alors elles ne font pas de promos. Nous, on les suit.»

«Un cercle vertueux» qui a pu faire tourner les talons à certains clients. «Mais on ne veut pas déprécier nos marques. On a un positionnement transparent.»

Les inquiets

«On en parle entre professionnels, la période est compliquée pour le commerce.» Dans cette adresse huppée du cœur de ville (dont on tait volontairement le nom), l’humeur est pareille à l’état du ciel: maussade. La matinée est maintenant bien entamée, pas âme qui vive entre les rayonnages, hormis trois vendeuses en tailleur réglementaire qui remettent de l’ordre dans les cintres. «Ce genre de journée doit servir de locomotive pour la suite de la saison», espère la manager du magasin. Pour elle, les fêtes de fin d’année arrivent à point nommé.

Les «détourneurs»

Par définition, le Black Friday dure le temps d’une journée. Dans les faits, les détournements sont nombreux. Rue Philippe-II, les voisins Zadig & Voltaire et Sandro ont chacun adopté la formulation «Journées privilège», plus élégante. Le japonais Uniqlo a quant à lui opté pour l’appellation «Journées arigato». D’autres, sous l’intitulé «Ventes privées», font du Black Friday sans en avoir l’air.

Quant à la durée, donc, elle est fluctuante. C’est le moins à dire. À titre d’exemple, la Fnac propose une Black Friday Week, qui va donc englober l’ouverture dominicale du 26 novembre. Ailleurs, le magasin Gérard Darel clôturera lundi 27 novembre deux semaines pleines de démarques, quand son voisin Uniqlo poursuit jusqu’au 3 décembre une campagne promotionnelle entamée le 13 novembre.

«Via des opérations prolongées, des enseignes peuvent en une semaine atteindre le chiffre d’affaires d’un mois entier», nous avait expliqué Anne Darin-Jaulin, la directrice de l’UCVL. Chez Etam, on propose de reverser une partie des économies réalisées à l’achat sous forme de don caritatif. Comme quoi, bonnes affaires et bons sentiments peuvent marcher de pair. Même en plein Black Friday.