«Le système de subventions a amené à une intensification de l’agriculture sans songer aux effets écologiques», estime Jacques Pir, de l’Observatoire de l’environnement naturel. (Illustration: Maison Moderne)

«Le système de subventions a amené à une intensification de l’agriculture sans songer aux effets écologiques», estime Jacques Pir, de l’Observatoire de l’environnement naturel. (Illustration: Maison Moderne)

L’Observatoire de l’environnement naturel a récemment tiré la sonnette d’alarme concernant la biodiversité dans le pays, en pointant du doigt la politique agricole nationale. Cruciales quant à son orientation future, les négociations autour de la nouvelle PAC sont en cours à Bruxelles.

«La situation est grave», prévient Jacques Pir, membre de l’Observatoire de l’environnement naturel, qui a voulu tirer à nouveau la «sonnette d’alarme» le lundi 17 mai dernier en présentant les résultats d’une étude sur la biodiversité au Luxembourg.

Car la situation concernant la biodiversité ne s’est pas améliorée ces dernières années: 84% des habitats de prairies sont dans un mauvais état au Luxembourg. Et la population d’oiseaux des champs est en nette baisse: sur un indice de référence 100 en 2010, il était égal à 66 en 2018, contre 70 en moyenne dans l’UE.

La population de l’alouette des champs a diminué d’environ 50% entre 1980 et 2018 dans le pays, précise de son côté la Commission européenne dans un document publié fin 2020, et même d’environ 30% entre 2007 et 2018. Idem pour la chouette chevêche, dont la population a chuté de 60% entre 1980 et 2018. Le tarier des prés a, quant à lui, complètement disparu du pays l’année dernière.

L’agriculture dans le viseur

L’OCDE, dans son examen environnemental de 2020, fait d’ailleurs le même constat, sans appel: «L’état de conservation des espèces et des habitats est majoritairement défavorable. Le Luxembourg est l’un des pays européens avec le plus grand nombre d’espèces communes en déclin.»

Et l’Observatoire de l’environnement naturel désigne le responsable: l’agriculture. Loin devant l’urbanisation. Avec une pression de l’agriculture sur l’environnement qui n’a pas cessé ces dernières années: par exemple, si les émissions agricoles de gaz à effet de serre (GES) ont diminué de 20% dans l’UE entre 1990 et 2018, elles sont restées stables sur la même période au Luxembourg – et ont même augmenté de 7% entre 2013 et 2018.

D’autres exemples sont parlants: plus de 95% des cours d’eau analysés dans le pays sont dans un mauvais état écologique. Une conséquence de l’utilisation de pesticides. «Nos sols ont deux fois plus de quantité d’azote que ce que les plantes peuvent absorber», illustre ainsi Jacques Pir. «Ce qui est finalement lessivé par la pluie pour se retrouver ensuite dans les eaux de rivière ou en profondeur.»

Subventions problématiques

Comment la situation peut-elle être si critique? En termes de politique agricole nationale, «le Luxembourg fait mal, très mal», estime Jacques Pir. «Le système de subventions a amené à une intensification de l’agriculture sans songer aux effets écologiques.» Il favoriserait l’agriculture conventionnelle en répartissant les primes en fonction de la surface, de la quantité, mais pas de la qualité de ce qui est produit.

«Je vous donne un exemple: si un paysan veut construire une nouvelle étable ou en moderniser une, il doit, pour obtenir des subventions, accroitre de 25% son cheptel», explique Jacques Pir. Un système qui a contribué à ce que le Luxembourg, dont la production agricole est à plus de 76% issue de l’élevage, ait désormais la quatrième plus haute densité de bétail en Europe.

«Pas une économie réaliste»

«C’est aberrant», juge Jacques Pir, pour qui il faut diminuer les cheptels et intégrer de toute urgence les principes de l’agriculture durable dans la prochaine PAC 2022-2027, en cours de négociations au niveau européen. «Cela décidera vers où vont environ 100 millions d’euros de subventions par an».

Car «ce n’est pas une économie réaliste», insiste-t-il. «Je parle de 100 millions d’euros par an qui sont distribués à 1.200 entreprises au Luxembourg, et qui vont en majorité vers l’agriculture conventionnelle.» Bien sûr, «l’idée n’est pas de diminuer les subsides aux agriculteurs, mais de coupler l’obtention de ces crédits à des exigences écologiques», précise-t-il. «On ne critique pas les agriculteurs, mais les politiques agricoles nationales et européennes.»

«Peu surpris» par les constats de l’Observatoire de l’environnement, le ministre de l’Environnement, (LSAP), admet que «de fortes subventions sont allées vers l’agriculture conventionnelle. Mais cela change», assure-t-il. «Cela s’équilibre de plus en plus vers une agriculture durable, et la nouvelle PAC 2022-2027 penche en faveur de celle-ci.»

«Une multitude de mesures prises»

Dernier changement en date, d’ailleurs: en février dernier, une modification de la loi agraire a supprimé la condition qui obligeait un agriculteur à augmenter de 25% son cheptel pour bénéficier de subventions pour construire ou moderniser une étable.

D’autre part, la nouvelle PAC permettra, entre autres, des paiements directs de l’UE de 30 millions d’euros par an, dont au moins 25% iront vers la promotion de la biodiversité, déclare le ministre. Des aides d’État, hors politique agricole, de 25 à 30 millions d’euros par an, sont aussi dirigées vers la sauvegarde de la biodiversité.

«Une multitude de mesures sont prises», assure Romain Schneider, qui annonce par ailleurs le renforcement des informations et des conseils aux agriculteurs pour les inciter à aller dans ce sens. «Il faut une agriculture durable dans les années à venir, promouvoir la diversification de l’agriculture et la production locale vers ce que réclame le consommateur, et tous les moyens nécessaires seront utilisés», assure-t-il, volontaire.

Changer de paradigme

Le volontarisme suffira-t-il pour «changer de paradigme», comme le réclame Jacques Pir? Car «il est difficile de changer», juge-t-il. «L’État a investi des millions d’euros dans l’intensification. Or, maintenant, la majorité des fermes sont surendettées et sont devenues ‘too big to fail’.»

Dans tous les cas, l’État ne pourra pas se cacher derrière l’Europe en cas d’échec. «La nouvelle PAC donne beaucoup plus d’autonomie aux États. L’Europe n’est donc pas responsable. Cela se jouera au niveau du ministère de l’Agriculture.»

Cet article est issu de la newsletter Paperjam Green, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité verte au Luxembourg.