Jean-Claude Juncker: «Je vais quitter mon poste. Je ne suis pas particulièrement heureux, mais j’ai le sentiment de m’être démené. Et si tout le monde faisait de même, la situation serait meilleure.» (Photo: Commission européenne)

Jean-Claude Juncker: «Je vais quitter mon poste. Je ne suis pas particulièrement heureux, mais j’ai le sentiment de m’être démené. Et si tout le monde faisait de même, la situation serait meilleure.» (Photo: Commission européenne)

Jean-Claude Juncker est venu défendre le bilan de sa Commission face aux députés européens réunis en séance plénière à Strasbourg. Un moment d’émotion au cours duquel le président a évité de tomber dans l’autosatisfaction.

Ce mardi, cela faisait 5 ans jour pour jour que le Parlement européen  présidée par . L’heure était donc, cette fois, lors d’une dernière apparition en séance plénière à Strasbourg, de dresser le bilan de son action puisque la.

Donald Tusk, le frère jumeau

Avant de détailler celle-ci, Jean-Claude Juncker est revenu sur ses liens avec Donald Tusk, le président du Conseil européen: «Nous étions des frères jumeaux. Mais même des frères jumeaux peuvent avoir des désaccords. Mais nous avons eu l’intelligence de les cacher. Je veux le remercier pour une complicité sans faille et une amitié qui restera. Les amitiés – on emploie ce mot à tort et à travers – sont rares en politique. Et encore plus au sein d’une même famille politique. Mais sans Donald, je n’aurais pas pu faire ce que je voulais faire.»

Et de rappeler qu’en 2014, il trouve «une Europe fissurée, les ruptures de solidarité nombreuses». C’est par rapport à cette Europe alors mal-aimée qu’il a évoqué «la Commission de la dernière chance. Mais pas de la Commission en elle-même, mais d’une Commission qui était au service d’une Europe en panne.» De là le choix d’une équipe politique de commissaires, n’incluant que des élus, des visages connus dans leur pays et en Europe. «Je les ai invités à ne pas s’emmurer au Berlaymont. Nous avons donc eu 1.815 dialogues avec les citoyens, 911 visites dans des parlements nationaux ou régionaux.»

En Europe, tout a changé. Mais on fait comme si rien n’avait changé.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Junckerprésident sortant de la Commission européenne

La promesse de l’époque, faite dès le début de mandat, était de «se concentrer sur l’essentiel: ‘to be big on big’. On a voulu mettre un terme à l’inflation législative qui jusque-là caractérisait l’action de la Commission.» Objectif atteint avec «84% d’initiatives législatives en moins, le retrait de 142 propositions législatives» et la modernisation de 162 lois existantes. «Qui fait mieux?», a demandé Jean-Claude Juncker. «On a tout fait pour faire ce qu’on a promis. Mais cela n’empêche pas certains de poursuivre le jeu qui consiste à dire que la Commission s’occupe de tout. Les préjugés ont la vie tenace. En Europe, tout a changé. Mais on fait comme si rien n’avait changé.»

Croissance, emploi et investissement

Trois mots d’ordre ont guidé l’action du président: croissance, emploi, investissement. «Nous sommes au 25e trimestre consécutif de croissance, nous avons créé 14 millions d’emplois et 241 Européens travaillent. Le plan Juncker, c’est 432 milliards d’investissements. Au début, alors qu’on pensait que ce plan serait un échec, on parlait du plan Juncker. Maintenant que c’est un succès, on parle du Fonds européen des investissements stratégiques. Ainsi va l’Histoire», a-t-il souligné. 

Si on pense pouvoir faire prospérer l’Europe sans les travailleurs, on se trompe.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Junckerprésident sortant de la Commission européenne

Il y a eu des déceptions, évidemment. L’échec de ne pas avoir pu avancer sur le dossier de la réunification de Chypre ou d’un traité avec la Suisse. «Nous n’avons pas non plus su parfaire l’union bancaire, à cause des non-efforts des États membres», a aussi déploré le président. Qui prévient qu’«il faut y arriver, car sans union bancaire, on ne sera pas prêt pour faire face aux prochains chocs externes ou internes. Mais pour cela, il y a l’ardente obligation de mettre en place un système de garantie de dépôt.»

Mais Jean-Claude Juncker revient très vite vers les réussites, nombreuses. «Je n’ose pas utiliser le mot de succès de peur de verser dans l’autosatisfaction, même si j’en ai bien envie», lance-t-il. Au sommet, il y a «la dimension sociale de l’Europe, enfant mal-aimé. On a su adapter le socle des droits sociaux. Et avant cela, on avait su remettre sur le métier la directive détachement. Qu’un même travail donne droit à un même salaire est un vrai succès. Si on pense pouvoir faire prospérer l’Europe sans les travailleurs, on se trompe.»

Rendre sa dignité à la Grèce

Il y a ensuite le sauvetage de la Grèce. «Je m’en suis beaucoup occupé et cela m’a préoccupé», dit-il. «Nous avons rendu à la Grèce la dignité qu’il convenait de lui donner. Trop souvent et trop longtemps, on a piétiné la dignité du peuple grec! J’ai voulu rétablir l’ordre des choses.» Un combat rude, qui laisse un goût amer. «On a voulu empêcher la Commission d’aider la Grèce. Nombreux ont été les gouvernements qui ne voulaient pas qu’on s’en occupe. Je me souviendrais toujours des coups de téléphone de plusieurs Premiers ministres qui me disaient: ‘Occupe-toi de tes affaires, le problème grec relève des États’. Alors que moi, j’avais cette conception, naïve mais juste, que nous devions simplement respecter les traités qui disent que la Commission est en charge de l’intérêt général de l’Europe. Et il était de l’intérêt général d’éviter la décomposition de la zone euro.»

L’Afrique aussi a été au centre de son attention, puisqu’en tant qu’«Européens, on ne peut pas oublier nos premiers voisins. C’est un continent qui a besoin de solidarité, pas de charité, un réflexe ancien des Européens. On doit créer de l’emploi en Afrique, et établir un vrai partenariat. Et ne pas voir l’Afrique à travers la seule crise des réfugiés.» Au sujet des réfugiés, justement, le bilan est «meilleur que ce qu’on aurait pu penser. Mais il aurait pu être meilleur si le Conseil avait suivi, comme l’a fait le Parlement, toutes les propositions de la Commission. Grâce à l’Europe, on a pu sauver 760.000 vies.»

Le commerce international a aussi occupé Jean-Claude Juncker. 15 accords commerciaux internationaux ont été conclus pour un total de 60 avec d’autres pays. «L’Europe est donc présente avec ces traités sur la scène mondiale à un moment où les USA tournent le dos au multilatéralisme et donc à la solidarité organisée avec les autres.»

Donner des perspectives aux jeunes Européens

Jean-Claude Juncker a aussi souligné le fait que l’Europe était restée en paix, «ce qui ne va pas de soi. Il faut donc en être fier».

Et de conclure, avec un regard vers les jeunes: «Il faut leur parler du dilemme éternel entre la guerre et la paix, mais cela ne suffit pas. Il faut leur offrir des perspectives, leur expliquer comment l’avenir se façonne, car c’est eux, l’avenir de l’Europe.» Et pour que l’Europe garde son rang dans le concert mondial des Nations, il demande à ce que certaines mesures dans le domaine des affaires étrangères puissent être prises à la majorité qualifiée.

Fier de sa contribution

L’avenir européen, Jean-Claude Juncker continuera à observer de plus loin. «Je vais quitter mon poste. Je ne suis pas particulièrement heureux, mais j’ai le sentiment de m’être démené. Et si tout le monde faisait de même, la situation serait meilleure. Je suis fier d’avoir pu apporter ma petite contribution dans un tout plus vaste, malgré les nationalismes stupides et bornés. Vive l’Europe!»