L’annonce du digérée, quelle est la réalité de la cession par Legend Holding, de ses parts dans la Banque internationale à Luxembourg? Paperjam a analysé les sources d’informations, les rapports financiers récents et a contacté plusieurs parties prenantes afin d’évaluer le sérieux de cette hypothèse.
Société holding d’investissement chinoise cotée à Hong Kong, Legend Holdings a acquis en septembre 2017 une participation de 90% dans la Bil auprès de Precision Capital, une holding financière luxembourgeoise représentant «les intérêts privés des membres d’une famille importante au Qatar». La transaction avait été finalisée le 2 juillet 2018.
Bil: les chiffres clés
La banque étant régulièrement affectée par de nombreux éléments non récurrents, il est pertinent de remonter dans le compte de résultats pour évaluer sa rentabilité récurrente. Le résultat d’exploitation avant impôts de la Bil s’élevait à 124 millions d’euros en 2016, soit le dernier exercice complet avant l’acquisition par Legend. Le même indicateur atteint 92 millions d’euros au premier semestre 2024 (les résultats annuels n’ayant pas encore été publiés), contre 121 millions d’euros au premier semestre 2023.
Sa solvabilité s’est légèrement améliorée au cours de la période de détention par Legend, avec un ratio de fonds propres de base de catégorie 1 (CET1) à 13,9% au 30 juin 2024, contre 12,4% au 31 décembre 2016. Ce ratio reste , qui s’établissait à 16,0% fin 2024, selon l’Autorité bancaire européenne.
Par ailleurs, la perspective positive de Moody’s sur la Bil a été retirée au cours de la période (notation actuelle: A2-/stable), tandis que la note de S&P est restée inchangée (A-/stable). Pour rappel, la banque a choisi d’abandonner Fitch, qui la notait BBB+/stable en 2016.
Aligné sur les plans et politiques industriels de la Chine
Legend Holdings indique sur son site internet qu’elle détient «des participations dans des entreprises de premier plan dans de multiples secteurs et une influence internationale». Ce conglomérat est présent dans plusieurs industries, selon deux segments, «exploitation d’industries diversifiées» et «incubation et investissements industriels».
Le premier segment comprend notamment Lenovo, qui conçoit, fabrique et commercialise des produits et services technologiques haut de gamme (participation de 31,4%); Levima Advanced Materials, active dans la R&D, la production et la vente de nouveaux matériaux (participation de 51,8%); Joyvio Group, spécialisé dans l’agriculture et l’alimentation (participation de 77,8%); ainsi que la Bil, représentant les services financiers (participation de 90%).
Il est intéressant de noter que le rapport annuel 2023 de Legend précise que son deuxième segment «adhère étroitement aux plans industriels et aux orientations politiques de la Chine», en mettant l’accent sur «l’IA, les circuits intégrés, les nouvelles énergies et les matériaux avancés». Legend pourrait donc financer des entreprises à différents stades de leur développement, dans un large éventail d’industries, lesquelles accèdent souvent aux marchés des capitaux via une introduction en Bourse.
Dans une , le 24 mars 2025, le ministre des Finances, (CSV), avait déclaré qu'il n'était «pas autorisé à commenter les rumeurs… pour des raisons juridiques». Il avait toutefois précisé que son objectif est de «veiller à ce qu’une banque, qui a une longue tradition au Luxembourg, puisse continuer à prospérer dans le centre financier du pays».
Absence de réactions
Contacté par Paperjam, Legend Holdings n'a pas répondu à nos questions.
L’importance stratégique de la Bil au sein du groupe Legend Holdings reste floue, tant les signaux envoyés au marché apparaissent contradictoires. Dans son rapport semestriel 2024, Legend affirme que la Chine est devenue le principal marché des activités internationales de la Bil, qui «relie Pékin et la région de la Grande Baie (ndlr: Guangdong-Hong Kong-Macao), le Luxembourg et la Suisse». Pourtant, la seule présence de la Bil en Chine se limite à un bureau de représentation à Pékin, ouvert en 2019, chargé de réaliser des «études de marché» et de promouvoir la «marque Bil sur le marché chinois». Au 30 juin 2024, la Chine ne représentait que 1% de l’exposition au risque de crédit de la banque.
Interrogée par Paperjam sur les performances de ses activités chinoises et internationales, ainsi que sur le soutien technologique apporté par Legend – présenté comme un objectif clé lors de l’annonce de l’acquisition en 2017 – la Bil a répondu qu’elle ne commentait pas les rumeurs.
C’est un fait, il demeure difficile d’évaluer le cycle d’investissement de Legend ou sa philosophie en matière de désengagement pour le segment «exploitation d’industries diversifiées», où la Bil figure dans les documents financiers de la holding. Aucun élément en ce sens ne figure dans le rapport annuel 2023 ni dans celui du premier semestre 2024.
Notosn par ailleurs que plusieurs demandes de commentaires adressées à Legend sont restées sans réponse.
Bruits de marché
Paperjam s’est entretenu officieusement avec un représentant d’une association financière luxembourgeoise. Celui-ci interprète la possible vente de la participation de Legend Holdings dans la Bil comme une décision d’investissement classique, prise par une société arrivée en fin de cycle et désireuse de cristalliser ses gains. Il écarte donc l’hypothèse de motivations externes ou complexes.
Un autre observateur du marché luxembourgeois suggère que Goldman Sachs aurait pu divulguer délibérément un prix au marché afin de tester l’appétit des acheteurs potentiels.
Dans un commentaire écrit, Leon Kirch, associé gérant et responsable de la gestion de portefeuille chez European Capital Partners, estime que « les prix actuels semblent assez élevés par rapport à la rentabilité ». Il souligne également qu’un important travail reste à accomplir pour restaurer la confiance des clients, en raison des difficultés opérationnelles rencontrées par la Bil, notamment sur le plan informatique et dans la restructuration de l’activité de détail. Il reconnaît toutefois que «le groupe, dans son ensemble ou en partie, peut présenter un intérêt stratégique pour un acteur souhaitant se positionner au Luxembourg».
Mais selon deux sources proches du dossier, deux candidats potentiels à l’acquisition de la Bil se sont déjà manifestés.
Tellement haussier mais tellement silencieux
Cinq instituts de recherche en investissement attribuent actuellement une note d’achat ou de performance à l’action Legend Holdings. En d’autres termes, leurs analystes affichent une opinion positive sur les activités du groupe et/ou sur le potentiel de progression de son titre en Bourse.
Paperjam a contacté ces instituts afin d’évaluer la probabilité de transactions partielles ou d’une vente complète de la Bil par Legend Holdings. Il en ressort un certain manque d’enthousiasme à s’exprimer sur le sujet.
La société indépendante Sadif Investment Analytics, basée en Europe, répond toutefois: «Nous ne pouvons pas commenter cette transaction car nous n’avons pas été en mesure d’évaluer la Banque Internationale.» Une remarque notable, sachant que les 10% restants de la Bil sont détenus par le Luxembourg et que la banque n’est pas cotée en Bourse.
Citi précise de son côté qu’il «n’est pas approprié pour leur analyste de commenter». Par contre, Paperjam n’a reçu aucune réponse de la part de CICC (Chine), SDIC Securities (Hong Kong), ni du groupe Institutional Shareholder Services, majoritairement détenu par Deutsche Börse.
Les indications données par la forte performance boursière des banques européennes depuis 2023
Indépendamment des performances de la Bil ou de ses activités internationales — notamment en Chine —, les récentes performances boursières des banques européennes pourraient avoir attiré l’attention de Legend Holdings. est resté globalement stable entre 2014 et 2022, mais a enregistré une progression de +26% en 2023, +32% en 2024, et +22,7% sur le seul premier trimestre 2025.
Dans , Paperjam évoquait une fourchette de prix de vente potentielle comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros, contre une valorisation de 1,48 milliard d’euros en 2017, au moment de l’acquisition par Legend. De tels niveaux semblent cohérents avec le repricing observé sur le marché bancaire européen.
La récente dynamique des opérations de fusions et acquisitions dans le secteur bancaire pourrait dès lors être perçue comme une opportunité pour Legend de se délester d’un actif à un prix jugé attractif, au vu de la revalorisation générale des établissements financiers européens.
Un processus réglementaire exigeant avant une approbation officielle
L’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) rappelle que la vente ou l’acquisition d’une banque n’est jamais une opération facile. Parmi les nombreuses exigences, le vendeur doit d’abord notifier son intention à l’autorité de surveillance et fournir des informations détaillées sur l’acquéreur potentiel.
L’autorité compétente doit ensuite évaluer l’intégrité professionnelle de l’acheteur, sa solidité financière, son plan d’affaires, ainsi que les différents risques liés à la transaction. Une communication avec la Banque centrale européenne — la Bil étant une banque d’importance systémique — et/ou avec d’autres régulateurs peut également être nécessaire si l’opération concerne un groupe transfrontalier, avant qu’une approbation explicite ou tacite puisse être délivrée.
Un tel processus, bien que pas insurmontable, représenterait un défi de taille pour Legend.
Cet article a été rédigé initialement en anglais, traduit et édité pour le site de Paperjam en français.