La Banque internationale à Luxembourg (Bil) «réaffirme son engagement durable en tant que banque universelle», titre le communiqué de presse annonçant, jeudi 24 avril, . Comme en réponse à ceux qui voient la Bil se recentrer sur la gestion de fortune à la faveur d’un changement de propriétaire.
Même si les faits finiront peut-être par l’infirmer, l’hypothèse d’un changement de mains prochain circule avec insistance concernant la doyenne du secteur bancaire national. Elle verrait le groupe chinois Legend Holdings, qui détient 90% de son capital depuis 2017, . De quoi alimenter les spéculations quant à l’avenir de l’institution fondée en 1856. Elle emploie environ 1.900 collaborateurs au Luxembourg, ainsi que plus de 100 collaborateurs supplémentaires en Suisse et en Chine.
Parmi les scénarios envisagés, celui d’un recentrage complet sur le wealth management retient l’attention. Ce segment d’activité, qui inclut les services de gestion de fortune pour les clients domestiques et internationaux depuis le Luxembourg et la Suisse, est souvent perçu comme le plus attractif de l’activité de la Bil pour un éventuel repreneur. Pour ce dernier, faire de la Bil un acteur spécialisé dans le wealth management offrirait plusieurs atouts: un marché local encore dynamique malgré la concurrence, une image établie et une expertise reconnue.
Racheter la Bil peut constituer un point d’entrée stratégique pour une banque étrangère.
«Racheter la Bil peut constituer un point d’entrée stratégique pour une banque étrangère souhaitant s’implanter au Luxembourg», confirme l’économiste Bruno Colmant. Pour cet ancien dirigeant d’ING Luxembourg, de la Bourse de Bruxelles et de Degroof Petercam, la place financière luxembourgeoise reste solidement positionnée dans le domaine du wealth management. «Elle le restera car le Luxembourg bénéficie d’une grande stabilité institutionnelle. De plus, des économies d’échelle bien structurées y sont déjà en place.»
Les résultats 2024 de la Bil interrogent néanmoins sur la performance de son activité de gestion de fortune. Selon une présentation destinée aux investisseurs, les produits d’exploitation courants y ont reculé de 14% entre 2023 et 2024, passant de 242 à 209 millions d’euros. Une baisse notable qui surprend Bruno Colmant: «En matière de wealth management, que les marchés soient en hausse ou en baisse, il y a généralement une rotation des portefeuilles. Le revenu de commissions, ou fee business, reste donc normalement stable.» Cette diminution traduit-elle une perte d’actifs dans ce segment? Sollicitée pour des explications, la Bil n’est pas revenue vers nous.
Dans son rapport annuel 2024, la Bil indique avoir intensifié son ciblage de la clientèle entrepreneuriale dans la gestion de fortune. «Dans un contexte de croissance économique morose et de volatilité des marchés tout au long de l’année 2024, les équipes wealth management de la Bil au Luxembourg, en Suisse et en Chine se sont concentrées sur l’accompagnement de la clientèle existante. L’offre de services a été simplifiée afin de gagner en efficacité et de faciliter le développement. Les équipes wealth management ont été pleinement mobilisées sur la prospection et le développement commercial, avec des résultats prometteurs», écrit l’établissement.
Bureau de Hong Kong fermé
«En parallèle, la banque a engagé une revue stratégique de ses activités de gestion de fortune, afin de s’assurer que son organisation et sa dynamique commerciale sont pleinement alignées avec sa stratégie. Elle a ainsi décidé de concentrer ses ressources sur un nombre restreint de marchés clés, là où elle peut apporter le plus de valeur, tout en optimisant son dispositif sur d’autres marchés. En France, la Bil a lancé le processus d’ouverture d’un bureau commercial à Paris, dont l’inauguration est prévue en 2025. En Chine, face à une concurrence accrue et à un ralentissement économique, , BIL Wealth Management Limited.»
«C’est un choix tout à fait cohérent», commente Bruno Colmant. «Les marchés asiatiques sont éloignés, très concurrentiels, et il y est extrêmement difficile d’atteindre une masse critique. Ce recentrage me semble donc particulièrement judicieux.» L’établissement insiste néanmoins: «La Bil reste pleinement engagée auprès de sa clientèle chinoise, qu’elle continuera à servir via ses deux hubs wealth management basés au Luxembourg et en Suisse. Son bureau de représentation à Pékin reste pleinement opérationnel», lit-on dans le rapport.
Une voix critique suggère que seules la gestion privée et l’asset management sont susceptibles d’attirer les acheteurs potentiels. Une cession globale lui semble donc moins probable qu’une vente segmentée. Un concurrent de la Bil estime, au diapason, que Legend Holdings devra vendre ses activités séparément, le prix qui circule étant jugé trop élevé (on a parlé de 2,5 à 3 milliards d’euros) au regard de la qualité, par exemple, de l’asset servicing de la banque.
Vers un paysage bancaire plus resserré
Un repreneur pourrait ainsi chercher à isoler la gestion de fortune du reste de l’activité bancaire. Mais une telle opération, même si elle maximiserait la valeur du portefeuille, poserait des questions importantes: que deviendrait la banque de détail? Un acteur local pourrait-il reprendre cette activité? Faudrait-il envisager une solution nationale?
Une sortie de la Bil du marché de la banque de détail bouleverserait davantage un paysage bancaire luxembourgeois déjà en mutation. Le a marqué une première réduction du nombre d’acteurs. Si la Bil se retire, seuls resteront quelques grands acteurs – la Spuerkeess, BGL BNP Paribas, Raiffeisen, Post Finance – et quelques petites banques.
Cette concentration soulève une question clé: combien d’acteurs sont nécessaires pour assurer une vraie concurrence dans le retail bancaire au Luxembourg? Certains pensent que deux ou trois acteurs pourraient suffire pour ce marché, dans un contexte où les coûts de la digitalisation mettent la rentabilité à l’épreuve. Un débat qui pourrait, à terme, interpeller les autorités de la concurrence.
Une scission risquée et complexe
Bien que le recentrage sur la gestion de fortune soit séduisant, plusieurs raisons soutiennent le maintien de la Bil en tant que banque universelle. Le modèle intégré présente des synergies essentielles, notamment en matière de financement. Le réseau de détail fournit une base de dépôts précieuse pour soutenir les activités de crédit. Historiquement, la Bil a de fortes positions de dépôts. Cela lui permet de financer ses crédits sans nécessairement recourir aux liquidités de la banque centrale.
Sur le plan technique, la séparation des activités serait loin d’être anodine. Les fonctions centrales, et notamment les systèmes informatiques, sont fortement intégrés. Fragmenter un système informatique unique pour en créer plusieurs indépendants représenterait un chantier colossal, tant en termes de coûts que de complexité. L’infrastructure technologique, souvent invisible de l’extérieur, constitue un nœud stratégique dans toute opération de scission.
Un bon connaisseur de la Bil rappelle d’ailleurs une leçon tirée du passé: la scission d’ABN Amro en 2007. À l’époque, les groupes Santander, RBS et Fortis avaient acquis la banque néerlandaise avec l’intention de la diviser en trois entités. L’opération, jugée rationnelle sur le papier, s’est avérée catastrophique dans les faits. «C’était une vue de consultants, pas de professionnels. Cela s’est terminé en désastre pour la banque et ses acquéreurs», avertit-il. Moralité: pour la Bil, toute transformation radicale devra être pesée avec prudence.