En avril 2021, Bernard Tapie avait encore livré une interview pugnace lors du 20h de TF1. (Photo: Capture d’écran/TF1)

En avril 2021, Bernard Tapie avait encore livré une interview pugnace lors du 20h de TF1. (Photo: Capture d’écran/TF1)

Bernard Tapie s’est éteint dimanche entouré des siens. Âgé de 78 ans, il luttait depuis 4 années contre la maladie. Sportif, chanteur, acteur, chef d’entreprise, ministre, président de club de foot ou encore animateur télé, il aura connu 1.000 vies en une, des échecs, mais aussi des succès.

«Il n’y a rien de pire que d’être capitaliste avec des gens qui ne le sont pas.» Voilà qui aurait sans doute convenu comme épitaphe à Bernard Tapie, décédé ce dimanche 3 octobre à l’âge de 78 ans. Cette phrase, elle est d’ailleurs de lui, prononcée dans le cadre de son émission «Ambitions», rapidement devenue culte en France en 1986. 

Tout au long de ses parcours, il n’aura jamais laissé indifférent. Ce qui explique sans doute l’émotion suscitée par sa disparition et le basculement de nombreux médias, dont France Info, en «édition spéciale».

Pourtant, rien ne prédestinait Bernard Tapie à la popularité ou au succès. Issu d’un milieu modeste, avec un papa ouvrier et une maman aide-soignante, il grandit au Bourget, commune populaire. À 23 ans, il se rêve chanteur, se produit sous le nom de Bernard Tapy. Puis il tâte de la Formule 3, mais rate un virage et passe plusieurs jours dans le coma. En 1967, le voilà vendeur de télévision. Il tue la concurrence en proposant ses produits 25% moins cher. Le succès est là, mais la chute est tout aussi rapide, alors qu’il vend aussi de l’électroménager en discount. Tapie flambe, roule en berline, mais se soucie peu de la gestion quotidienne. Il est déjà dans le collimateur de la justice.

Donnay, Wonder, La Vie Claire, Manufrance…

Mais il a pris goût à l’entreprise. Il se forme en travaillant alors aux côtés de Marcel Loichot, spécialisé dans la reprise des entreprises en difficulté. Tapie réussit un premier «coup» en rachetant des biens au dictateur centrafricain Bokassa, lui disant que ceux-ci vont être saisis par la justice. Une opération qui suscite l’intérêt et la curiosité du NY Times, mais vaut des ennuis à Tapie une fois que Bokassa comprend que la menace de saisie était imaginaire. La vente est annulée, une condamnation tombe à Abidjan, où Bokassa est en exil.

Les années 80 débutent et Tapie connaîtra alors un âge d’or. Il obtient d’abord l’exploitation de Manufrance, fabricant ultra populaire de vélos et d’armes qui vient de déposer le bilan. Sa spécialité devient alors la reprise pour le franc symbolique des entreprises en difficulté, ou contre d’importants abandons de créance. Terraillon, Look, La Vie Claire, Donnay, Testut ou Wonder passent entre ses mains, comme une quarantaine d’autres. 

Il devient alors la coqueluche des médias, véritable symbole de réussite et incarnant les valeurs de l’époque. Au point d’avoir sa propre émission de télé, «Ambitions», dans laquelle il aide un jeune entrepreneur à monter son projet. Hâbleur, charismatique, excellent tribun, il participe à la popularisation du rôle des entrepreneurs et «contribue à ce que réussir ne soit plus un gros mot en France». Il crée d’ailleurs des écoles de la réussite pour des publics fragiles, ce qui le rend d’autant plus apprécié par les Français.

Du coup, même les promesses non tenues envers ses ouvriers, ses plans sociaux parfois sanglants ou ses échecs commerciaux et industriels n’y changent rien.

Ministre démissionnaire après 52 jours

Place ensuite au sport. Il relance Bernard Hinault, dont l’équipe Renault ne veut plus, crée la formation cycliste La Vie Claire et fait exploser les salaires. Au point, selon de nombreux observateurs, de changer à jamais la réalité du cyclisme professionnel. Parisien, il devient président du club de foot de l’Olympique de Marseille, bâtit une équipe exceptionnelle à coup de millions pour remporter la Ligue des champions, rêve de faire venir Maradona au Vélodrome… Mais il se brûle les ailes, suspendu d’abord de toutes ses fonctions officielles pour «manquement grave à la morale sportive», puis condamné pour tentative de corruption dans le cadre de l’affaire Valenciennes-OM. Il purgera pour cela 6 mois de prison.

À l’époque, il est en tout cas le seul à mener de front business, sport et politique. Car Tapie devient ministre de la Ville, sous Mitterrand, mais doit démissionner 52 jours après son entrée en fonction, inculpé pour abus de biens sociaux. Il réintègre le gouvernement une fois blanchi. Proche des radicaux de gauche, il se présente aux élections européennes et contribue à la chute de Michel Rocard. On se souviendra aussi de lui pour sa lutte incessante contre le Front national.


Lire aussi


Mais l’étoile Tapie brille de moins en moins au milieu des années 90. Le Crédit Lyonnais le met en faillite, en mars 1994, en cassant le mémorandum qui lui permettait de rembourser sa dette restante dans le cadre de l’achat puis de la revente d’Adidas. En juillet 1996, il est condamné pour abus de biens sociaux aux dépens de la société Testut. Un an plus tard, nouvelle condamnation pour fraude fiscale dans le cadre de la gestion de son yacht le Phocea. C’est aussi l’époque du dossier des «comptes de l’OM», qui lui vaudra une autre lourde condamnation.

À jamais innocent

Tapie ne se laisse pas abattre, devient acteur grâce à Claude Lelouch, anime une émission de radio sur RMC. Et attaque le Crédit Lyonnais qui l’a, selon lui, lourdement floué dans le cadre du dossier Adidas. C’est le début d’un combat de 25 ans, qu’il dira être celui de sa vie. Plusieurs jugements lui sont favorables et il obtient finalement, en 2008, 405 millions de dédommagement via un arbitrage, dont 45 pour préjudice moral. Il aurait touché réellement 245 millions. Un argent dépensé dans des villas et autres biens «pour mettre ses proches à l’abri du besoin», et dans le rachat du journal La Provence.

Mais l’arbitrage rendu est contesté, l’un des trois arbitres ayant reçu, de 1997 à 2006, plus de 40% de ses honoraires en travaillant pour les avocats de Bernard Tapie. Ce dernier est contraint, sur le plan civil, en 2015, de rembourser ces montants jamais vraiment perçus en intégralité. Ses pourvois en cassation seront rejetés, rendant les jugements civils définitifs.

Deux ans plus tard, alors qu’un procès pénal s’annonce pour la manipulation présumée de cet arbitrage, Bernard Tapie se découvre un nouvel ennemi: le cancer. Sa santé se dégrade, il est de fait jugé en mars 2019 pour «complicité de détournement de fonds publics» et pour «escroquerie». Mais le La décision devait être prononcée le 6 octobre. Son décès met fin à l’action publique. Bernard Tapie sera donc à jamais considéré comme innocent. Là où il se trouve, cette dernière pirouette doit sans doute lui donner le sourire.