La démocratisation de l’accès aux investissements alternatifs, notamment, constitue à la fois un défi et une opportunité de taille pour les gestionnaires offrant ce type de produits. (Photo: Shutterstock)

La démocratisation de l’accès aux investissements alternatifs, notamment, constitue à la fois un défi et une opportunité de taille pour les gestionnaires offrant ce type de produits. (Photo: Shutterstock)

Au Luxembourg, il a fallu attendre le début des années 2000 pour voir s’installer une réelle dynamique autour de l’investissement dans les actifs privés. En développant un cadre adapté aux besoins des investisseurs, le pays a su tirer profit de l’intérêt croissant du marché pour ces placements alternatifs.

La croissance de l’industrie des fonds luxembourgeoise, depuis quelques années, est dopée par l’attrait des investisseurs pour les actifs privés. Cette appellation rassemble une grande diversité de stratégies d’investissement, dans le private equity, l’immobilier, les infrastructures ou encore la dette privée. Ces investissements sont aujourd’hui majoritairement gérés à travers des fonds alternatifs. 

Pour se rendre compte de l’attrait du marché pour ces actifs, il faut aller voir du côté de la CSSF. Dans son dernier AIFM Reporting Dashboard (2021), le régulateur évalue le marché de l’investissement alternatif au Luxembourg à près de 7.000 fonds et quelque 1.482 milliards d’euros investis. On y apprend surtout que la croissance du volume d’actifs gérés par ces véhicules, entre 2020 et 2021, a été de… 42%.

Comment la place financière est-elle parvenue à se positionner pour tirer avantage de l’attrait croissant des investisseurs pour ces actifs privés? Cette épopée luxembourgeoise, comme d’autres, doit beaucoup à une approche pragmatique du marché et à une volonté des acteurs de saisir les opportunités lorsque celles-ci se présentent. L’adoption de la directive AIFM au début de l’année 2010 est un bel exemple en la matière.

Au-delà des OPCVM…

Au fil de son développement, l’industrie des fonds luxembourgeoise a compris l’importance de se diversifier pour continuer à prospérer. Si, au milieu des années 80, les autorités et les acteurs de la place financière n’avaient pas aussi bien décelé l’opportunité de transposer rapidement la directive OPCVM, l’industrie des fonds luxembourgeoise n’aurait sans doute pas connu ce développement fulgurant.

En marge de cette activité de gestion de fonds régulés, le Luxembourg a toujours permis à d’autres formes d’investissements d’émerger et de prospérer. Si l’on parle d’actifs privés, il a toutefois fallu attendre le début des années 2000 pour voir une réelle dynamique s’installer.

Bien sûr, ces acteurs locaux ont ­toujours investi dans l’immobilier, pour compte propre. Évidemment, le Luxembourg compte depuis de nombreuses années des business angels, investissant personnellement dans des structures locales pour soutenir leur croissance. Depuis très longtemps, la juridiction est aussi connue pour accueillir des sociétés holdings, aussi connues sous l’appellation de sociétés de participations financières (soparfi).

Cependant, si l’on évoque la mise en place de démarches structurées de collecte et d’investissement dans des actifs privés, les acteurs se faisaient rares jusque-là. À la fin des années 90, on dénombre quelques fonds (régis par la loi de 1991 concernant les organismes de placement collectif [OPC] et dont les titres ne sont pas destinés à être placés auprès du grand public). Dans le domaine du private equity et du venture capital, le Luxembourg est alors une terre aride.

Premier coup d’éclat

Mangrove Capital Partners est sans doute la première structure importante à mettre en œuvre une approche d’investissement en capital-risque au départ du Luxembourg au début des années 2000. Pour la petite histoire, à l’époque, la structure investit dans le développement d’une jeune société innovante répondant au nom de Skype Technologies. Celle-ci s’apprête alors à révolutionner la manière dont nous communiquons les uns avec les autres.

En 2005, le rachat de Skype par eBay constitue le premier coup d’éclat de Mangrove. La suite de l’histoire de Skype, tout le monde la connaît. En 2011, c’est Microsoft qui met la main sur la technologie qui préfigure ­l’actuelle application Microsoft Teams. La plus-value réalisée par Mangrove avec cette opération a le mérite de révéler au monde des venture capitalists l’existence du Luxembourg, invitant d’autres structures à s’inscrire dans les pas de la société d’investissement.

Nouvelle dynamique

À l’écoute des besoins de ces structures, avec l’ambition de répondre aux besoins des sociétés d’investissement et de diversifier son industrie, le Luxembourg fait évoluer son cadre législatif. En 2004, le législateur crée un nouveau véhicule: la société d’investissement en capital à risque (sicar). Les sicar s’adressent à des investisseurs avertis qui souhaitent apporter leurs fonds à des entités en vue de leur lancement, de leur développement ou de leur introduction en bourse. Supervisés par la CSSF, ces véhicules bénéficient d’un régime fiscal favorable et d’une réglementation plus souple, notamment en matière de concentration des risques.

En 2007, l’introduction du fonds d’investissement spécialisé (FIS) vient renforcer la boîte à outils. Véhicule d’investissement souple, mais néanmoins supervisé, le FIS permet de mettre en œuvre des stratégies d’investissement mixtes dans le respect de limites bien établies. À travers lui, un panel plus large d’investisseurs avertis ont la possibilité d’investir dans l’immobilier, les créances ou encore le private equity. Alliant flexibilité et sérieux, grâce à un cadre réglementaire adapté, ces véhicules vont rapidement rencontrer un réel succès.

Au moment du dépôt du projet de loi relatif aux FIS, 181 OPC étaient régis par la loi de 1991 concernant les organismes de placement collectif dont les titres ne sont pas destinés à être placés auprès du grand public. Un an plus tard, la CSSF recensait 638 FIS, pour un montant de quelque 120 milliards d’euros, soit un sixième du patrimoine global des OPC au Luxembourg à l’époque. Une nouvelle dynamique était alors lancée.

Nouveau cadre, nouveau marché

À bien des égards, en faisant évoluer son dispositif légal de la sorte, le Luxembourg a pris les devants sur les autorités européennes. Quelques années plus tard, en effet, l’Union entend instaurer un cadre réglementaire harmonisé pour les fonds alternatifs. Dans cette optique, elle adopte la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (plus connue sous son acronyme anglophone AIFMD pour alternative investment fund managers directive). À travers elle, la volonté est de réglementer les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (et non les véhicules directement), ainsi que la distribution de ces fonds. Ce cadre doit garantir la protection des investisseurs et permettre de se prémunir des risques systémiques.

En 2013, année de l’entrée en vigueur de la directive, le Luxembourg est l’un des premiers pays à la transposer en droit national. Si certains acteurs sont restés sceptiques face à cette volonté d’imposer une surveillance à des acteurs qui étaient jusque-là peu encadrés, le Luxembourg y a vu une opportunité. Sans nul doute, les autorités de l’époque avaient en tête l’essai qui avait été brillamment transformé une trentaine d’années auparavant avec la transposition de la directive OPCVM.

Relais de croissance

En offrant des garanties de confiance supplémentaires, la directive AIFM allait faciliter la levée de fonds auprès d’investisseurs désireux de diversifier leurs placements à travers des actifs «alternatifs». L’industrie des fonds luxembourgeoise y a directement vu un potentiel relais de croissance important. Le développement du segment alternatif, de 2013 à nos jours, révèle que les autorités et professionnels du secteur financier luxembourgeois de l’époque ne se sont pas trompés.

Si le Luxembourg était déjà bien positionné sur le segment de l’investissement alternatif, avec les FIS et les sicar, les autorités ont profité de cette évolution du cadre réglementaire européen pour introduire un nouveau véhicule: le fonds d’investissement alternatif réservé (Fiar). L’intérêt? Celui-ci n’est pas directement supervisé par le régulateur luxembourgeois, mais l’est indirectement via son gestionnaire autorisé (comme le prévoit la directive AIFM). Le régulateur, de cette manière, facilite la mise en place du véhicule sans pour autant sortir du cadre réglementaire. Pour attirer des gestionnaires, rien ne vaut un cadre souple et dynamique. Le Luxembourg l’a compris depuis longtemps.

Un succès avéré

Ces efforts ont permis au Luxembourg de se positionner comme principal domicile des fonds alternatifs en Europe. Ces investissements, comme escompté, ont considérablement soutenu la croissance de son industrie des fonds déjà prospère. Entre 2009 et 2021, les actifs sous gestion des fonds régulés sont passés de 1.841 milliards d’euros à la fin de l’année 2009 à 5.151 milliards d’euros en mai 2023. Si l’on se réfère au AIFM Reporting Dashboard (2021), entre 2018 et 2021, la valeur nette d’inventaire (VNI) des fonds alternatifs gérés par des gestionnaires luxembourgeois, tous régulés par la CSSF, a considérablement évolué pour atteindre 1.482 milliards d’euros. En 2018, cette VNI n’était encore que de 653 milliards d’euros.

Quelle est la part des actifs privés parmi ces véhicules alternatifs? Fin 2021, on estimait à 381 milliards d’euros le volume d’actifs sous gestion domiciliés dans des fonds de private equity (comprenant également les fonds de venture capital). 84 milliards d’euros se trouvaient dans des fonds de fonds de private equity. Du côté des fonds de real estate, la CSSF et l’Alfi font état d’un volume d’actifs sous gestion équivalent à 126,8 milliards d’euros (3e trimestre 2022). En ce qui concerne les fonds de dette privée, la dernière étude de KPMG et de l’Alfi sur le sujet (2022) estime le volume d’actifs à 267,8 milliards d’euros (en hausse de 45,5% sur un an).

De belles perspectives

Le succès des fonds alternatifs, avec un appétit croissant des investisseurs pour les actifs privés, se confirme année après année. Et le Luxembourg, en veillant à répondre aux besoins des investisseurs et des gestionnaires, est parvenu à se positionner comme un centre d’excellence incontournable, accueillant, assurant la gestion de ces véhicules, facilitant la distribution de ces produits d’investissement à travers toute l’Europe.

Au fil du temps, les gestionnaires ont gagné en maturité sur l’ensemble des classes d’actifs alternatifs, développant des stratégies toujours plus robustes, proposant de nouvelles approches. L’intérêt pour les actifs privés, dans ce contexte, ne fait que se confirmer, avec de belles perspectives à venir. La démocratisation de l’accès à ces investissements, notamment, constitue à la fois un défi et une opportunité de taille pour les gestionnaires offrant ce type de produits. Le Luxembourg, dans ce contexte, doit rester à l’écoute et continuer à s’adapter pour tirer profit des évolutions à venir.

Cet article a été rédigé pour le supplément ALFI de l’édition de  parue le 13 septembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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