La BEI s’alarme du déficit d’investissement productif en Europe. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

La BEI s’alarme du déficit d’investissement productif en Europe. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

C’est un véritable constat de carence que livre la Banque européenne d’investissement dans son dernier Investment Report couvrant la période 2022/2023: l’Europe accuse un retard en matière de dépenses d’investissement productif. Un retard qui menace sa croissance future.

L’investissement en période de récession et de polycrises est difficile. La guerre en Ukraine coûte à l’économie européenne 3,5% de PIB rien que par la flambée des coûts de l’énergie. Mais cela ne doit pas empêcher l’Europe «d’augmenter considérablement ses dépenses d’investissement productif si elle veut suivre le rythme de la concurrence mondiale et atteindre les objectifs de consommation nette zéro», insiste la BEI. Une BEI qui voit quatre défis majeurs à adresser dans les prochains mois.

Des entreprises moins innovantes

Et ce d’abord au niveau des entreprises. Des entreprises qui d’abord sont moins susceptibles d’innover ou d’adopter de nouvelles technologies que leurs homologues américaines. «Il s’agit d’un écart persistant, exacerbé par la pandémie, lorsque les entreprises européennes se sont révélées moins susceptibles de se transformer que les entreprises américaines. Le sous-investissement dans l’innovation ainsi que dans les machines et équipements pourrait compromettre la capacité de l’Europe à être compétitive à long terme.» Dans les chiffres, la part des entreprises engagées dans l’innovation a baissé l’année dernière par rapport à 2021. L’écart s’est en fait creusé d’environ 10 points de pourcentage dans l’enquête 2022, pour atteindre 19 points de pourcentage. «Cet écart s’explique par le fait que les entreprises de l’UE investissent moins souvent dans l’adoption de nouvelles technologies et pratiques», explique la BEI.

Des entreprises dont «les investissements sont freinés par l’incertitude, les pénuries de compétences et les coûts énergétiques». Comme pour les investissements dans la lutte contre le changement climatique «qui, malgré les incitations créées par la hausse des prix de l’énergie, restent freinés par les obstacles administratifs et les incertitudes économiques».

Pour ce qui est des compétences, 69% des collectivités locales sondées pour le rapport indiquent «ne pas disposer des compétences en matière d’évaluation environnementale et climatique nécessaires pour faire progresser les investissements verts».

Le fossé se creuse avec les États-Unis

Ensuite au niveau des investissements eux-mêmes.

L’investissement productif en Europe est inférieur de 2% du PIB à celui des États-Unis – et ce depuis plus de dix ans – constate la BEI. «Si l’on exclut l’investissement dans le logement, les données montrent qu’un écart de 1,5 à 2 points de pourcentage du PIB en matière d’investissement productif s’est creusé entre l’Europe et les États-Unis après la crise financière mondiale, et qu’il persiste encore. Cet écart s’explique par le fait que les États-Unis investissent davantage dans les machines et équipements et dans l’innovation, notamment dans les équipements liés aux technologies de l’information et de la communication (dans le secteur des services) et dans la propriété intellectuelle (dans les secteurs publics et de la défense). Les dépenses des entreprises en matière de recherche et de développement sont également faibles dans l’Union européenne par rapport à ses concurrents internationaux (1,5% du PIB dans l’Union européenne en 2020 contre 2,6% aux États-Unis et au Japon).

Dernier défi: les investissements visant à limiter le changement climatique. S’ils augmentent, «ils restent bien en deçà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif européen de zéro émission nette d’ici 2050». «L’Union européenne doit investir 1.000 milliards d’euros par an pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030. Cela représente 356 milliards d’euros de plus par an que pour la période 2010-2020», calcule la BEI.

Pour qui le leadership en matière de technologies vertes sera essentiel à la compétitivité future, «mais la prééminence de l’UE dans ce domaine est menacée».

De la nécessité de protéger l’investissement public

La solution? «Dans un contexte de ralentissement de la croissance et de pressions budgétaires, l’investissement public doit être protégé.» La BEI veut éviter que les effets conjugués du resserrement monétaire et de la période d’assainissement budgétaire qui s’ouvre fassent passer l’investissement au second plan. Elle incite les États à utiliser le mécanisme de redressement et de résilience (RRF). Le RRF est le principal instrument du programme NextGenerationEU et est doté de 723,8 milliards d’euros. «Cette facilité représente environ 1% du PIB de l’UE à décaisser sur quatre ans, soit près d’un tiers de l’investissement public total.»

«L’avenir de l’Europe dépend de notre capacité à nous transformer et à embrasser les transitions numérique et écologique. Cela nécessite des investissements audacieux, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Cependant, l’incertitude, due à l’imprévisibilité des politiques et des marchés, s’avère être un obstacle aux décisions d’investissement», a déclaré Debora Revoltella, chef économiste de la BEI, lors du Forum inaugural de la BEI à Luxembourg. «Il ne faut pas laisser passer l’occasion de la transition verte. L’Europe peut tirer parti de son avance en matière d’innovation dans de nombreuses technologies vertes et devrait exploiter davantage le potentiel du marché unique européen, en réduisant les obstacles administratifs à l’investissement et en comblant les lacunes en matière de compétences.»