Derniers conciliabules pour Flavio Becca et ses avocats, avant sa première comparution devant un tribunal correctionnel. (Photo: Maison Moderne)

Derniers conciliabules pour Flavio Becca et ses avocats, avant sa première comparution devant un tribunal correctionnel. (Photo: Maison Moderne)

Flavio Becca comparaît devant le tribunal correctionnel, depuis ce mardi matin et pour une durée de six jours, pour abus de bien social et blanchiment. La justice s’intéresse à 840 montres de luxe retrouvées à son domicile en 2011 lors d’une perquisition. Compte rendu d’audience.

Un vent glacial s’engouffre dans la salle du tribunal correctionnel. La main se pose sur le bois d’une table avec l’amour du menuisier. À quelques minutes de sa première apparition à la barre, Flavio Becca lâche un «ça a dû coûter cher!» à la cantonade de ses quelques proches et de ses avocats. L’entrepreneur est habitué aux joutes judiciaires, et même l’idée, pour la première fois, de risquer de un à cinq ans de prison et une amende qui peut aller jusqu’à 1,25 million d’euros, ne semble pas vraiment l’atteindre.

Il y a un peu plus de neuf ans, le 20 septembre 2011, les policiers débarquaient à son domicile – «propriété de Promobe et que je loue», expliquera-t-il – pour une perquisition. En jeu, les faramineux montants des «objets précieux» que l’Administration des contributions directes détecte dans les bilans d’un certain nombre de ses sociétés. Les enquêteurs ont attendu sept mois avant de passer aux choses sérieuses et de perquisitionner. Non seulement les policiers ont pris le temps de comprendre les ressorts de ce dossier, mais… comme Flavio Becca était aussi propriétaire de Leopard-Trek et que l’équipe cycliste comportait dans ses rangs les deux Schleck, Andy et Fränk, à leur apogée, il ne fallait pas risquer qu’une affaire éclabousse le patron de l’équipe cycliste en plein milieu du Tour de France.

Dans la cave, les enquêteurs découvrent un coffre-fort énorme, loin de ce petit cube que les hôtels mettent à disposition de leurs clients fortunés. À l’intérieur, des plateaux de montres. 670, croit se souvenir Jean-Paul Bohler, l’enquêteur principal, aujourd’hui à la retraite et dont la mémoire n’est pas souvent très précise.

Des plateaux par marque et par type de montres

«C’est le seul endroit où je peux stocker des montres de cette valeur, grâce au coffre-fort», explique Flavio Becca, lors de sa première prise de parole. «Avec une porte blindée. J’ai subi un cambriolage il y a trois ou quatre ans», ajoute l’entrepreneur d’origine italienne, comme s’il avait eu raison très tôt.

Seulement, comme tout collectionneur qui se respecte, et contrairement à ce que disent les articles sur le sujet, les montres ne sont pas dans leur emballage d’origine. Mais sur des plateaux, tandis que les emballages ne sont pas loin. «Il y a des collectionneurs qui veulent retrouver un emballage d’origine», dit M. Becca. Et les factures sont empilées dans un troisième endroit.

Si bien que les enquêteurs ont toutes les peines du monde à associer une montre avec une boîte et une facture, raconte l’enquêteur en chef. Les policiers décident de s’adresser aux 10 plus gros fournisseurs de ces marques prestigieuses pour les aider, sans beaucoup de succès. D’autant que le comptable de l’accusé aurait régulièrement insisté pour que la mention d’une montre de luxe ne soit pas sur la facture, au profit d’une «marchandise enlevée» ou d’autres mentions fantaisistes.

200 montres données en cadeau à sa famille

Les enquêteurs finissent par s’apercevoir, dans cette «mer à boire» – expression de M. Bohler – qu’il manque plus de 200 montres. Coopératif, Flavio Becca explique qu’il en a fait cadeau à des proches. Jamais la justice ne demandera à récupérer ces montres, l’entrepreneur et son avocat de l’époque, Maître André Lutgen, ayant livré un inventaire aux policiers.

La justice va devoir déterminer si les montres ont été achetées via les moyens financiers des entreprises de l’accusé – toutes celles qui sont visées ont aujourd’hui disparu, dans le cadre d’une restructuration de son groupe pour faire face à l’abolition de la loi de 1929 sur les sociétés en 2010 –, l’ont été au profit des sociétés ou au profit de leur dirigeant. Dans ce deuxième cas, ce serait constitutif d’abus de bien social, et donc de blanchiment-détention puisqu’elles étaient au domicile de M. Becca.

«Je voudrais d’abord vous demander de bien distinguer les montres achetées en mon nom propre et celles, environ 300, pour Promobe Finance», avait d’emblée demandé l’accusé, qui ajoutait préférer spéculer sur l’envol du prix des montres que sur celui de tableaux, comme d’autres sociétés.

Le ténor du barreau parisien plante ses premières banderilles

Pourquoi passer par les comptes des sociétés pour acheter ces montres? Pour pouvoir faire des achats groupés et obtenir une meilleure remise, d’un côté, et pour pouvoir profiter d’un taux de TVA luxembourgeois moins élevé que celui des pays dans lesquels il avait pu acheter certaines de ces montres.

«Combien en avez-vous acheté avec vos fonds propres?», lui demande le juge. «Je ne me souviens plus», répond M. Becca.

Comment reconnaître les montres achetées à titre personnel de celles qui sont dans le patrimoine des sociétés, en espérant réaliser une plus-value à un moment ou un autre? «Elles étaient rangées par marque et par plateau», répond-il sans vraiment répondre.

Avocat de Bernard Tapie, de Roman Polanski, de Gérard Depardieu ou d’Alain Afflelou, Maître Hervé Temime, ténor du Barreau français, met poliment l’enquêteur sur le gril, non sans caresser les juges dans le sens du poil de quelques exquises formules de politesse et d’humilité.

«– Vous souvenez-vous des termes exacts de la dénonciation de l’Administration des contributions directes?

- Non.

- Vous souvenez-vous du délai entre cette dénonciation et le redressement de ces sociétés?

- Non.

- Pourquoi n’êtes-vous pas allé au bout de cette ‘mer à boire’ en associant chaque montre à chaque boîte et à chaque certificat?

- C’était impossible à trouver.

- Comment les fournisseurs auraient pu faire leur propre travail, alors?

- Ce n’est pas comme quand vous achetez une BMW et que le constructeur a le numéro de châssis et tout le dossier avec.»

La salve est polie, calme, mais elle pointe la difficulté principale à laquelle seront confrontés les juges: déterminer de quelle poche est sorti l’argent qui a permis d’acquérir cette collection à 18 millions d’euros. Les remboursements avec intérêts auxquels a déjà procédé M. Becca l’exonèrent-ils d’une éventuelle condamnation pour abus de biens sociaux? Le procès entrera mercredi après-midi dans le cœur de ce problème.

Dans le fond de la salle, l’ennemi juré de l’accusé a envoyé ses hommes suivre le procès. Eric Lux, partie civile au procès via le fonds Olos – que se disputent les deux hommes –, a aussi tenté, par le biais de l’ancien bâtonnier, Maître Rosario Grasso, d’être partie civile pour sa holding Ikodomos, au titre du préjudice moral. Il y a cinq ans que les deux hommes ont commencé à croiser le fer au sujet du fonds Olos.

En décembre, rapportait Reporter, Flavio Becca avait demandé un milliard d’euros à Eric Lux pour solder leur différend. Becca à la barre d’un tribunal correctionnel est un moment «précieux»…