Depuis la crise financière mondiale de 2007-2008, qui a ébranlé l’économie mondiale et provoqué une réévaluation des cadres de politique monétaire, l’approche de la Banque centrale européenne a connu des changements significatifs. L’un des changements les plus notables a été le rôle de plus en plus central du taux de facilité de dépôt de l’Eurosystème dans le pilotage de la politique monétaire, a noté , gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), dans un récent . Il a expliqué comment le taux de facilité de dépôt est devenu le principal outil d’orientation de la politique monétaire de la zone euro par le conseil des gouverneurs de la BCE, en particulier pour maintenir la stabilité des prix dans un contexte économique fluctuant.
Avant la crise
Avant la crise financière de 2007-2008, le système bancaire de la zone euro fonctionnait dans un environnement caractérisé par un déficit structurel de liquidité. Ce déficit était principalement dû à la demande de billets de banque et aux obligations des banques en matière de réserves obligatoires. M. Reinesch a expliqué que durant cette période, le système bancaire de la zone euro s’est appuyé sur le refinancement de l’Eurosystème. La majorité des liquidités de la banque centrale ont été fournies aux banques par le biais des opérations principales de refinancement, menées chaque semaine par les banques centrales nationales au sein de l’Eurosystème. Ces opérations, d’une durée d’une semaine, ont été conçues pour permettre aux banques de répondre sans difficulté à leurs besoins de liquidités. La liquidité totale disponible pour le système bancaire était déterminée par l’Eurosystème, et les banques de la zone euro ne détenaient généralement que de faibles montants de réserves excédentaires.
Le taux d’intérêt appliqué à ces opérations principales de refinancement est devenu le principal outil pour déterminer les conditions de refinancement des établissements de crédit dans la zone euro. M. Reinesch a noté que le taux des opérations principales de refinancement avait également un impact direct sur les conditions de financement au sens large, influençant les décisions d’épargne, de dépense et d’investissement des ménages et, en fin de compte, l’inflation. Le taux du marché monétaire au jour le jour, mesuré par l’Euro overnight index average (Eonia), a suivi de près le taux des opérations principales de refinancement, soulignant le rôle crucial joué par cet instrument de politique monétaire dans l’orientation de la politique monétaire.
La crise financière
Cependant, la crise financière mondiale a entraîné un changement radical du paysage financier. L’incertitude accrue, le risque de contrepartie et la fragmentation du marché ont perturbé le bon fonctionnement des marchés monétaires. Les banques ont été confrontées à d’importantes difficultés pour obtenir des liquidités et l’allocation efficace des fonds est devenue de plus en plus difficile. En octobre 2008, le conseil des gouverneurs de la BCE, son organe de fixation des taux d’intérêt, a introduit une procédure d’appel d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servie, pour les opérations principales de refinancement, permettant aux banques participantes de soumissionner pour obtenir des liquidités à un taux fixe défini par l’Eurosystème. Le montant total des liquidités allouées était fonction des offres, pour autant qu’une garantie adéquate soit fournie.
Ce nouveau système a marqué le passage d’un déficit structurel de liquidité à une situation de liquidité abondante dans le système bancaire. Gaston Reinesch a observé qu’au lendemain de la crise, certaines banques ont choisi de conserver les réserves excédentaires de la banque centrale plutôt que de les prêter, par crainte du risque de contrepartie. Pour stabiliser la transmission de la politique monétaire, la BCE a introduit des mesures telles que des opérations de refinancement à grande échelle à des conditions attrayantes et des achats d’actifs à grande échelle.
Le paysage de l’après-crise
Le passage à une liquidité abondante a sensiblement modifié la relation entre les taux directeurs de la BCE et les taux interbancaires au jour le jour. À mesure que l’excès de liquidités dans le système bancaire augmentait, les taux au jour le jour non garantis ont commencé à suivre le taux de facilité de dépôt de plus près que le taux des opérations principales de refinancement. En raison de l’abondance des liquidités excédentaires, les banques n’étaient guère incitées à emprunter à des taux plus élevés sur le marché interbancaire. Par conséquent, le taux de facilité de dépôt, qui constituait un plancher pour les taux du marché monétaire au jour le jour, est devenu l’outil efficace pour signaler l’orientation de la politique monétaire de la BCE, selon M. Reinesch. Le taux de facilité de dépôt est donc devenu le point central du cadre de la politique monétaire, guidant les taux du marché monétaire à court terme.
De l’Eonia à l’€STR
Outre les changements dans la gestion des liquidités, le paysage financier a encore évolué. M. Reinesch a noté que le volume des transactions interbancaires au jour le jour non garanties, mesuré par l’Eonia, a chuté de manière spectaculaire après la crise. D’un pic quotidien moyen de près de 48 milliards d’euros en 2007, le volume moyen des transactions est tombé à moins de 2,5 milliards d’euros en 2019. Cette évolution a suscité des inquiétudes quant à la fiabilité de l’Eonia en tant que référence, ce qui a conduit à son remplacement par le taux à court terme en euro (€STR) en 2019. Le €STR, recommandé par le groupe de travail sur les taux sans risque de l’euro, inclut un éventail plus large de transactions, y compris les transactions entre les banques et les entités financières non bancaires, telles que les fonds du marché monétaire et les compagnies d’assurances.
Depuis son introduction, le €STR a généralement suivi de près le taux de facilité de dépôt, l’écart entre les deux taux variant au fil du temps. M. Reinesch a souligné que l’excédent de liquidités dans la zone euro a varié entre 1.700 et 4.700 milliards d’euros depuis la publication du €STR, et que cet excédent de liquidités continue d’influencer les conditions du marché monétaire. «Les variations du taux de facilité de dépôt continuent donc de se répercuter de manière fiable sur les coûts des emprunts de gros au jour le jour et sur les conditions de financement au sens large, sur les décisions d’épargne, de dépense et d’investissement des ménages et des entreprises et, en fin de compte, sur le taux d’inflation», a commenté M. Reinesch, soulignant le rôle central joué par le taux de facilité de dépôt dans l’orientation des résultats économiques tels que l’inflation, l’investissement et la dépense dans la zone euro.
Cet article a été rédigé initialement , traduit et édité pour le site de Paperjam en français.