Christine Lagarde (ici à Bruxelles en décembre 2019) va devoir trouver la juste réponse à une situation qui pourrait encore empirer dans les semaines à venir. (Photo: Shutterstock)

Christine Lagarde (ici à Bruxelles en décembre 2019) va devoir trouver la juste réponse à une situation qui pourrait encore empirer dans les semaines à venir. (Photo: Shutterstock)

L’issue de la réunion de la Banque centrale européenne de ce jeudi est attendue par les marchés. Sur fond de risque de crise économique en raison des conséquences économiques, sa patronne Christine Lagarde s’est dite prête à prendre ses responsabilités.

Si elle n’agit pas de manière concertée et suffisamment forte, «l’Europe pourrait connaître un scénario qui rappellerait celui de la grande crise financière de 2008».

L’avertissement rapporté par Bloomberg a été prononcé par… Christine Lagarde. Durant la vidéoconférence organisée mardi soir entre les dirigeants européens sur l’épidémie (devenue pandémie) de coronavirus, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) a ajouté que «certaines de vos économies pourraient s’effondrer».

Comme l’indiquent Les Échos, le choc ne pourrait être que temporaire si les mesures sont prises à temps. La BCE est prête à prendre ses responsabilités indique celle qui préside ce jeudi une réunion de politique monétaire très attendue.

La BCE pourrait lancer une nouvelle vague de prêt pour les banques qui s’engagent à financer l’économie et soutenir les PME.

Après que  en réponse aux conséquences du coronavirus, la Banque d’Angleterre a annoncé mercredi que son taux directeur passe de 0,75% à 0,25%. Soit la plus importante baisse depuis début 2009, autrement dit en pleine crise financière.

Quant aux dirigeants européens, faute de signal fort, pour lutter contre le Covid-19 a été annoncée mardi soir par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ce fonds prévoit notamment des mesures de soutien pour les PME.

À noter que Wall Street a connu une nouvelle séance noire mercredi: le Dow Jones Industrial Average s’est effondré de 5,87%, à 23.550,74 points, et le Nasdaq a perdu 4,70%, à 7.952,05 points.

Les prix du pétrole chutaient de plus de 6%, jeudi matin en Asie, après le discours du président américain annonçant la suspension des vols d’Europe vers les États-Unis pour une durée de 30 jours à partir de vendredi.

Avis d’expert: trois scénarios possibles

Pour Wolfgang Bauer, fixed income fund manager chez M&G, trois possibilités s’offrent à la BCE:

Possibilité n°1: opter pour le statu quo

La BCE prend simplement acte de l’accentuation des risques qui pèsent sur l’économie et l’inflation à moyen terme dans la zone euro en raison du Covid-19, mais ne modifie pas sa politique monétaire, qui est déjà très accommodante.

Même s’il pourrait y avoir des raisons valables d’opter pour le statu quo, je doute que ce soit un scénario plausible.

Premièrement, les participants au marché attendent beaucoup de la BCE. Néanmoins, si elle opte pour le statu quo, cela pourrait alimenter de nouvelles turbulences sur les marchés financiers, ce que la BCE préférera sans doute éviter.

Deuxièmement, alors que d’autres banques centrales (Fed, Banque de réserve d’Australie, Banque du Canada) ont décidé de baisser leurs taux en réaction au Covid-19, la BCE pourrait rapidement faire figure de «vilain petit canard» si jamais elle laisse ses taux inchangés, au risque d’accentuer la pression haussière sur l’euro. La monnaie unique s’est déjà appréciée d’environ 6% face au dollar américain depuis la mi-février.

Une poursuite de l’appréciation de l’euro constituerait un frein supplémentaire pour les entreprises exportatrices européennes et pour l’économie de la zone euro dans son ensemble, qui souffre déjà du fléchissement de la demande et de la perturbation des chaînes d’approvisionnement engendrés par le Covid-19.

Possibilité n°2: réagir avec modération

Dans ce scénario, la BCE procéderait à une modeste baisse de ses taux d’intérêt, de l’ordre de 10 points de base (pb). Le taux de sa facilité de dépôt tomberait ainsi à -0,6%, un nouveau plus bas historique. Dans le même temps, l’enveloppe mensuelle consacrée à ses achats d’actifs serait portée à 60, voire 80 milliards d’euros, soit une multiplication par trois ou quatre par rapport à son niveau actuel de 20 milliards d’euros.

Néanmoins, la BCE ne s’aventurerait pas pour autant en terrain inconnu: elle a déjà consacré par le passé 60 milliards d’euros par mois à ses achats d’actifs (entre mars 2015 et mars 2016, et d’avril à décembre 2017), et même 80 milliards (entre avril 2016 et mars 2017).

Je dirais qu’il s’agit peut-être du scénario le plus plausible, mais sans doute le moins souhaitable. Le danger est que la BCE obtienne à la fois la peste et le choléra. Une réaction modérée de la BCE, si elle ne s’accompagne pas d’une relance budgétaire substantielle, ne suffira sans doute pas à rétablir durablement la confiance sur les marchés, qui ont accueilli dans l’indifférence la baisse des taux de 50 points de base annoncée par la Fed.

L’aversion au risque pourrait fort bien aboutir à une véritable crise des marchés. Par ailleurs, en utilisant une partie de ses munitions, la BCE aurait réduit sa marge de manœuvre à l’avenir si jamais l’impact économique de l’épidémie de Covid-19 s’avère plus importante que prévu à l’heure actuelle.

Possibilité n°3: sortir l’artillerie lourde

L’idée ici serait de créer un autre moment «quoi qu’il en coûte» pour calmer immédiatement les marchés et éviter une véritable panique dans les rangs des investisseurs qui serait susceptible de compromettre la stabilité du système financier et, au bout du compte, de menacer l’économie réelle. Dans ce scénario, la BCE prendrait des mesures audacieuses, aussi bien en matière de taux d’intérêt que d’achats d’actifs. Elle baisserait le taux de sa facilité de dépôt d’au moins 25 pb, à -0,75%, soit au même niveau que le taux directeur de la Banque nationale suisse. De plus, elle porterait ses achats d’actifs à plus de 80 milliards de dollars par mois, voire 100 milliards. Mais surtout, pour signifier aux participants au marché qu’elle peut encore augmenter sa force de frappe à l’avenir si nécessaire, certaines modifications des règles de l’APP pourraient s’avérer nécessaires, car elles permettraient à la BCE d’acheter en priorité des BTP italiens, dont l’encours est très important, et aussi d’acheter des obligations émises par des banques.

Aussi séduisante soit-elle, cette stratégie offensive est très risquée. Si jamais la BCE parvient à éviter une véritable crise (des marchés et de l’économie réelle) en prenant d’emblée des mesures fortes, Christine Lagarde accéderait immédiatement au rang de superstar parmi les banquiers centraux.

Toutefois, si elle ne s’accompagne pas d’un assouplissement budgétaire concerté, la stratégie de l’artillerie lourde pourrait bien se traduire par un retour de flammes. Si les mesures n’ont pas l’effet escompté, que les marchés poursuivent leur dégringolade et que la transmission de la relance monétaire à l’économie réelle échoue, la BCE ne pourrait pas faire grand-chose de plus à l’avenir. Les marchés réaliseraient alors que la BCE et d’autres banques centrales ne savent plus quoi faire.