Albert Moro (vice-bâtonnier), Pit Reckinger (bâtonnier) et Valérie Dupong (bâtonnière sortante) ont présenté des éléments de bilan et les perspectives, notamment en matière de santé mentale chez les avocats. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Albert Moro (vice-bâtonnier), Pit Reckinger (bâtonnier) et Valérie Dupong (bâtonnière sortante) ont présenté des éléments de bilan et les perspectives, notamment en matière de santé mentale chez les avocats. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Valérie Dupong, ancienne bâtonnière, et son successeur, Pit Reckinger, ont présenté mardi 18 octobre les résultats d’une étude sur le bien-être des avocats. Les conclusions ne sont pas bonnes et le Barreau réagit en créant une cellule d’écoute au sein d’un «barreau social» à mettre sur pied.

À l’occasion de la conférence de presse du Barreau qui s’est tenue mardi 18 octobre, , bâtonnière sortante, en a profité pour dresser un rapide bilan de son mandat, en insistant sur un point qui lui semble majeur: la création d’un «barreau social» et d’une pour les avocats en souffrance. Il est le fruit de deux enquêtes réalisées en 2022 sur la rémunération des jeunes avocats et sur le bien-être au Barreau.

La première a mis en exergue que seuls 3 à 5% d’entre eux étaient dans une situation financièrement précaire en tout début de carrière, soit «en dessous du salaire minimum qualifié» a précisé l’ex-bâtonnière. 


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La majeure partie d’entre eux exerce sous le statut de salarié, et demeure «correctement payés». Néanmoins, il existe dorénavant une circulaire (du 19 mai 2022) qui définit la collaboration entre avocats et les modalités de rémunération des avocats de liste II (stagiaires) lesquels représentent 809 personnes sur les 3.230 avocats de personnes physiques du barreau.

Harcèlement, discriminations, addictions: les avocats en souffrance?

C’est la seconde enquête qui a retenu plus fortement l’attention du Barreau, dont les résultats ne sont évoqués (et non encore publiés) que maintenant. «Les résultats ne sont pas bons, comme dans les Barreaux limitrophes. Ils nous ont poussés à créer très rapidement une cellule d’écoute avec dix avocats volontaires, qui était active avant même son lancement officiel», précise Valérie Dupong. L’enquête a été envoyée en octobre 2021 aux 3.230 membres, 1.100 retours ont été enregistrés soit environ un tiers des avocats inscrits au Barreau de Luxembourg. Ceux de la tranche d’âge 40-50 ans ont été les plus nombreux à répondre, suivis des 30-40 ans. Ils ont en moyenne une quinzaine d’années d’ancienneté au Barreau. 87% des répondants affirment avoir besoin d’un vrai soutien de l’Ordre.

Les chiffres sont édifiants: 77% des répondants affirment ressentir leur métier comme particulièrement difficile, pointant le stress comme raison principale. 35% envisagent de quitter la profession dans un avenir proche, 20% déclarent rencontrer des difficultés financières.

Il faut éduquer les avocats à se libérer. Il y a une forme de fierté à ne pas vouloir être perçus dans une situation de faiblesse. En tant que soutien légal, ils ont du mal à reconnaître avoir besoin d’être aidés eux-mêmes.
Valérie Dupong

Valérie DupongBâtonnière sortanteOrdre des avocats du Barreau de Luxembourg

L’étude fait état de comportements qualifiés d’«addictifs» relativement répandus (21% à l’alcool, 20% au tabac, 5% aux sédatifs). 25% ont souffert de discriminations (principalement liées au genre ou à l’origine), 25% de harcèlement moral (70% sont des femmes) et 5% de harcèlement sexuel (87% des harceleurs sont des hommes). Pourtant, seuls 15% des avocats victimes de harcèlements ont effectué un signalement. «Il faut éduquer les avocats à se libérer. Il y a une forme de fierté à ne pas vouloir être perçus dans une situation de faiblesse. En tant que soutien légal, ils ont du mal à reconnaître avoir besoin d’être aidés eux-mêmes.»

Plus un sujet tabou

Outre l’information, la publication légale, l’information et le contrôle, le rôle du Barreau est aussi de soutenir la profession dans l’exercice de ses fonctions. L’Ordre des avocats y voit une obligation de moyens. La création de la cellule d’écoute «[email protected]» régie par une charte en est le résultat. Les avocats volontaires pour apporter leur aide ont, au minimum, été formés au secourisme en santé mentale.

«Pour le moment, les missions de la cellule se limitent à l’écoute, le conseil et l’orientation vers d’autres professionnels.» Sur la prévention et le suivi, des partenariats avec des organismes conventionnés ou privés du secteur social luxembourgeois sont en cours. , en tant qu’ex-vice-bâtonnier, avait instauré la création d’un fonds de soutien à la cellule qui a démarré avec 83.000 euros alloués par le Conseil de l’Ordre, les futures recettes devant à l’avenir provenir également d’appel aux dons (confrères et organismes partenaires). «Ce fonds n’est pas destiné à couvrir les dettes des avocats ni à leur accorder des emprunts», précise le Barreau dans un communiqué.

Le Barreau peut-il et doit-il aller plus loin sur un sujet qui visiblement, reste tabou? «Ce n’est plus un sujet tabou, et nous avons déjà franchi une étape, là où il n’existait rien», affirme Valérie Dupong, sans pour autant vouloir jouer les lanceurs d’alerte. Pour le moment, les chiffres de l’étude restent entre les mains du Barreau, ils sont pourtant suffisamment parlants pour alerter l’ensemble de la profession sur les risques inhérents au métier. «Nous envisageons de les rendre publics prochainement», a précisé Pit Reckinger, son successeur et actuel bâtonnier depuis le 15 septembre, qui devra suivre l’évolution de la cellule jusqu’aux prochaines élections, en 2024.