Daniel Schneider, partner chez Tenzing Partners et membre du conseil d’administration de Maison Moderne. (Photo: Maison Moderne/archives)

Daniel Schneider, partner chez Tenzing Partners et membre du conseil d’administration de Maison Moderne. (Photo: Maison Moderne/archives)

Le cycle d’expansion économique, la politique des banques centrales et les stratégies d’expansion des entreprises ont influé sur les fusions et acquisitions durant les derniers mois. Parfois en déconnexion avec la valeur des sociétés prisées. Daniel Schneider nous éclaire sur ces dynamiques.

Nous sommes actuellement dans le plus long cycle d’expansion économique jamais observé. Tandis que les banques centrales continuent d’essayer de stimuler l’économie par des politiques monétaires assez extraordinaires, la croissance du PIB en Europe et aux États-Unis durant ces 10 dernières années est restée très médiocre, respectivement 1% et 2% en moyenne.

Quant aux dettes d’entreprises, elles ne cessent d’augmenter, 10% des entreprises cotées de la zone OCDE et 14% de celles du S&P 500 sont des zombies, c’est-à-dire incapables de couvrir leurs dettes avec leurs profits actuels, et ce malgré des taux d’intérêt historiquement bas. Les États voient également leur dette grimper à un rythme accéléré: 1.300 milliards de dollars supplémentaires pour les États-Unis en 2019. À un moment ou à un autre, une contraction naturelle du marché risque de s’opérer.

Il y a différents facteurs négatifs qui planent au-dessus de l’économie, et qui peuvent avoir un impact négatif sur 2020: entre autres, la dette automobile américaine, les montants exorbitants de dettes souveraines qui doivent être repayés tôt ou tard, les conflits économiques, la faible profitabilité des institutions financières, et comme déjà évoqué la durée du cycle économique.

Une dynamique de transmission

Ensuite, en se tournant plus directement vers les fusions et acquisitions, voici quelques observations. II faut d’abord comparer les sociétés européennes et américaines: en Europe, la plupart des emplois privés viennent de petites et moyennes entreprises familiales, tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, les grandes entreprises sont celles qui emploient le plus.

Dans le premier cas, nous sommes actuellement dans une dynamique de transmission où une grande partie des dirigeants de ces sociétés peinent à trouver en leur sein des repreneurs passionnés pour pérenniser leur héritage. Or, la libre circulation des capitaux à travers l’espace Schengen facilite le rachat de ces PME familiales par de grands groupes ambitieux en pleine consolidation. Ces rachats sont principalement dirigés vers des entreprises du même secteur: soit pour agrandir leur portefeuille client, soit pour ne pas perdre de ressources à développer leurs activités dans des zones géographiques où leur présence est faible ou inexistante. Ces acheteurs européens cherchent à augmenter leur marge opérationnelle et leur profitabilité par une stratégie de croissance externe.

Une stratégie de croissance externe

Les grandes sociétés américaines ont, quant à elles, des enjeux différents: leur marché y est certes contrasté selon les États, mais les barrières linguistiques et culturelles y sont bien plus faibles que dans l’espace européen. L’une des stratégies dominantes pour une grande entreprise consiste à entrer dans une quête continue des dernières innovations technologiques afin d’ajouter à son catalogue des entreprises à fort potentiel. On peut citer comme exemple Google, qui a racheté plus de 200 entreprises depuis sa création en 1998: certaines de ces opérations sont réussies, comme pour Youtube ou Waze, d’autres comme pour Motorola ou Slide le sont beaucoup moins.

En parallèle, les moyens nécessaires pour financer ces stratégies de croissance externe sont facilités par des taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi bas. De nombreux investisseurs sont attirés par le potentiel d’une meilleure rentabilité et n’hésitent pas à financer la croissance de nombreuses sociétés, ce qui contribue à pousser les prix vers des valorisations parfois déconnectées des performances réelles. Des événements concrets viennent parfois rappeler les investisseurs à la réalité.

Un exemple en 2019 est l’entrée en bourse abandonnée de la société WeWork: la société était évaluée à 48 milliards de dollars en janvier avant de sombrer à 8 milliards quelques mois plus tard jusqu’à l’annonce en novembre de la suppression de 2.400 postes, c’est-à-dire 20% des employés de la société. Cette même année, d’autres géants en croissance tels qu’Uber ou Lyft étaient également touchés par leurs cours boursiers assez médiocres suite à leur entrée en bourse, pourtant faite en fanfare.

Vers un retour à la norme

Quelques mots sur l’évolution des valorisations des sociétés: l’expansion économique, des indices boursiers qui sont à des niveaux records et l’argent bon marché ont tous contribué à l’envol des multiples. Par exemple, le secteur des SaaS (logiciels en tant que service) a vu ses multiples de chiffre d’affaires grimper aux États-Unis de moins de 5 début 2015 à plus de 8 au troisième trimestre 2019.

Dans ce même secteur, l’Europe voit le nombre de transactions augmenter de plus de 35% dans les 6 premiers mois de l’année 2019, avec des achats dépassant parfois le milliard comme celui de Gemalto par Thales pour 5,7 milliards d’euros. Il y a fort à parier que nous sommes à la fin de ce cycle de hausse des valorisations et qu’un retour à la norme va s’opérer entre maintenant et les 18 à 24 mois à venir.

Cependant, d’un point de vue plus local, le Luxembourg reste assez protégé vu sa situation favorable actuelle. Il y a une continuation de demande étrangère venant autant des pays limitrophes que de sociétés anglo-saxonnes pour des sociétés luxembourgeoises, tant dans les services (finance, soins à la personne, fiduciaires, hôtellerie) que dans des secteurs industriels et autour de la construction. Il faut à ceci ajouter que l’entrepreneuriat est en vogue, et qu’un nombre record de start-up a élu domicile à Luxembourg.

Il y a aussi un flux continu d’entrepreneurs proches de l’âge de la retraite et qui cherchent donc des repreneurs externes ou qui font un management buy-out/buy-in avec ou sans financiers externes. Un contexte qui devrait permettre au Grand-Duché de rester sur la carte européenne des localisations attractives grâce à sa croissance économique et sa stabilité politique.