Quand une banque subit des pertes, par exemple sur des crédits non remboursés, ce sont les fonds propres qui absorbent ce déficit en premier lieu. Les règles de fonds propres visent donc à garantir la solidité financière des banques et à protéger le système financier dans son ensemble. À partir du 1er janvier 2025, les banques européennes devront se conformer à de nouvelles règles, définies dans le règlement CRR3. Un texte qui transpose en droit européen les dernières réformes internationales de Bâle III. Tour d’horizon des enjeux en huit questions.
Pourquoi ces règles?
Les banques jouent un rôle crucial dans l’économie en collectant l’épargne et en la redistribuant sous forme de crédits aux entreprises et aux particuliers. Un niveau minimum de fonds propres, calculé en fonction du risque pris, est donc indispensable pour éviter que les difficultés d’un établissement ne se propagent à l’ensemble du système financier et à l’économie réelle.
Si elles visent à renforcer la solidité financière des banques, ces nouvelles règles suscitent aussi des interrogations et des critiques, notamment de la part des banques. Elles mettent en avant un coût élevé, qui pèse sur leur rentabilité et limite leur capacité à soutenir l’économie réelle.
Comment est-ce calculé?
Le ratio de fonds propres considère les fonds propres que la banque est tenue de conserver, divisés par la valeur de ses actifs, une valeur ajustée en fonction des risques qu’elle prend. Pour rester dans les clous des régulations, ce ratio doit atteindre une valeur minimale, généralement située entre 8% et 10,5%, voire plus dans certains cas. Il existe deux approches pour calculer les exigences de fonds propres: l’approche standard et l’approche modèle interne.
• L’approche standard est une approche forfaitaire qui attribue un taux de risque à chaque classe d’actifs. Par exemple, un prêt à une entreprise non notée (sans notation externe) aura un taux de risque de 100%. Si la banque prête un million d’euros à cette entreprise, avec des exigences minimales de 10%, elle devra donc mettre en réserve 100.000 euros de fonds propres. Cette approche, simple et conservatrice, convient bien aux banques de petite ou moyenne taille.
• L’approche modèle interne est plutôt utilisée par les grandes banques qui peuvent estimer elles-mêmes les paramètres de risque de leurs actifs. Cette approche est plus complexe, mais elle permet aux banques de mieux tenir compte de la spécificité de leurs risques et de réduire leurs exigences de fonds propres. Les modèles internes sont très utilisés en Europe. Au Luxembourg, c’est notamment le cas de BGL BNP Paribas, de la Bil et de la Spuerkeess.
Vous avez dit Bâle IV?
Les règles de Bâle sur les exigences de fonds propres des banques sont établies par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, une institution internationale fondée en 1974 et relevant de la Banque des règlements internationaux (basée à Bâle, en Suisse). Depuis Bâle I (1988), la première version des accords, ces règles évoluent régulièrement pour s’adapter aux défis du système bancaire mondial.
La réforme de 2017, transposée en droit européen par le règlement CRR3, est appelée «Bâle IV» par l’industrie bancaire européenne car elle introduit de nouvelles règles qui ont un impact significatif sur les banques. Les superviseurs, en revanche, préfèrent parler de «finalisation de Bâle III» ou de «Bâle III plus» car ils considèrent ces réformes comme une continuation de Bâle III. Dans le monde anglo-saxon, l’expression «Basel Endgame» s’est imposée.
Comment fonctionne le «plancher» de Bâle IV?
Bâle IV vise à rapprocher les deux approches de calcul des fonds propres, en limitant la marge de manœuvre des banques utilisant des modèles internes et en rendant l’approche standard plus sensible au risque. L’objectif est d’améliorer la comparabilité des exigences de fonds propres entre les banques et de renforcer la crédibilité du système.
Un des changements majeurs introduits par Bâle IV est l’«output floor», un plancher de fonds propres qui limite les économies de capital réalisées grâce aux modèles internes. Concrètement, les actifs pondérés en fonction des risques (RWAs) calculés par les modèles internes ne pourront pas être inférieurs à 72,5% de ceux calculés selon l’approche standard. Ce mécanisme a été introduit car les régulateurs ont constaté que les modèles internes conduisaient à des résultats trop divergents entre les banques.
Fonds propres ou liquidité?
Les règles de fonds propres ne protègent pas les banques contre les problèmes de liquidité. La liquidité correspond à la capacité d’une banque à faire face à ses engagements à court terme, par exemple en cas de retraits massifs de dépôts. Une banque peut avoir un niveau de fonds propres élevé mais manquer de liquidité, comme cela a été le cas pour Credit Suisse en 2023.
La liquidité et les fonds propres sont deux dimensions différentes de la solidité financière d’une banque. Les fonds propres sont une ressource permanente qui sert à absorber les pertes, tandis que la liquidité est une ressource à court terme qui permet de faire face aux besoins de financement immédiats.
Plus de fonds propres, moins d’instabilité?
Les autorités considèrent que le renforcement des exigences de fonds propres a contribué à la résilience du système bancaire. Un exemple: en dix ans d’activité, le Conseil de résolution unique, soit l’autorité centrale en charge de la gestion des crises bancaires dans la zone euro, . Les organismes européens de stabilité financière s’affichent confiants pour l’avenir: confrontées à des scénarios macroéconomiques défavorables, les banques ont dans l’ensemble démontré leur capacité à y résister.
Quid des crises récentes?
Les crises bancaires de 2023 ont mis en évidence l’importance de la liquidité pour la stabilité bancaire. Silicon Valley Bank et Credit Suisse n’ont-elles pas été mises à terre par des «bank runs», des retraits massifs de dépôts? De quoi rappeler que les fonds propres ne suffisent pas à garantir la stabilité d’une banque et que la liquidité est un élément crucial à prendre en compte.
Autres crises récentes, la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique n’ont pas pris naissance dans le secteur financier. Mais les banques de la zone euro y ont bien résisté, ce qui, selon les autorités, témoigne aussi de l’efficacité des règles de fonds propres.
Quelle efficacité face à la numérisation?
La numérisation des services financiers peut amplifier les risques d’instabilité bancaire, notamment en accélérant les mouvements de capitaux et en amplifiant les rumeurs et les paniques. Le renforcement des exigences en matière de capital et de liquidité vise à atténuer ces risques en dotant les banques de coussins de sécurité plus importants pour faire face aux chocs.
Les autorités estiment que les banques ayant des fondamentaux solides, des coussins de capital élevés et des coussins de liquidité élevés sont mieux protégées contre les chocs et les réactions du marché. Des réactions très ciblées dans la zone euro lors des crises de 2023, invoque-t-on à preuve: plus une banque était faible, plus la correction du marché était importante. Cela signifie également que, si la situation devait se détériorer davantage, ces banques seraient mieux en mesure de résister. À cette aune, les fonds propres font figure de rempart contre les effets de contagion.