Crise climatique, préservation de la biodiversité, réduction des émissions de gaz à effet de serre… Les enjeux liés au développement durable sont au cœur des préoccupations des citoyens, des États, mais aussi des entreprises, appelées à revoir leur modèle et leur stratégie en faveur d’une économie plus verte et résiliente.
Dans ce monde en pleine mutation, le secteur bancaire, qui finance directement ou indirectement une part majeure de l’économie de l’Union européenne, est appelé à jouer un rôle central d’accompagnement et de soutien en faveur de cette nécessaire transition. «Cet engagement prend plusieurs dimensions. Pour commencer, nous avons ce souci d’être un banquier responsable, fortement engagé en faveur du développement durable, et notamment de toutes les initiatives qui visent à protéger l’environnement, limiter le réchauffement climatique et préserver la biodiversité», confie , CEO de Société Générale Luxembourg.
«Cela nécessite bien sûr de mesurer notre propre impact en tant qu’entreprise. Mais, plus fondamentalement, notre objectif est d’avoir un impact positif dans le cadre des activités que nous menons en tant que banque: d’une part, par une participation active au financement de l’économie, en accompagnant les entreprises dans leur propre transition énergétique, et plus largement dans leur prise en compte de toutes les problématiques RSE, et, d’autre part, dans le cadre de nos activités de banque privée notamment, par des offres d’investissement durable à destination de nos clients, afin de leur permettre de soutenir cette transition.»
Nous ne pouvons évidemment pas réaliser seuls notre engagement, qui est d’atteindre la neutralité carbone de nos activités à l’horizon 2050.
Aujourd’hui, l’Europe se positionne comme la zone mondiale de pointe sur ce sujet de l’investissement durable. Cette dynamique se traduit concrètement par la construction d’un environnement législatif et réglementaire très fort, s’accompagnant de nouveaux standards, notamment pour permettre aux banques de classifier leurs produits d’investissement selon leur caractère durable ou non. Le cadre concernant la finance durable est de mieux en mieux défini grâce à des textes tels que la Sustainable Finance Directive Regulation (SFDR) et la taxonomie. Au travers de ces directives, le régulateur vise la transparence et incite les entreprises à communiquer sur l’impact environnemental et social de leurs produits et activités. Avec de nombreux défis à la clé.
Une information nécessaire et parcellaire
Pour évaluer au mieux l’impact d’une entreprise donnée, les banques ont besoin d’avoir accès à une information fiable et régulièrement mise à jour. «Obtenir des données de qualité est un défi majeur pour tout le secteur», témoigne Daniel Biever, head of investment desk chez Raiffeisen. «Nous travaillons dans un environnement qui évolue en permanence, notamment du point de vue réglementaire, il n’est donc pas toujours évident de gérer la fiabilité des données dont nous avons besoin. D’autre part, nous sommes confrontés à une masse d’informations hétérogènes qu’il faut pouvoir trier. Par exemple, les avis sur le caractère durable d’un fonds peuvent varier d’un fournisseur à un autre.»
À cela s’ajoutent des réglementations complexes qui, bien qu’elles aient le même but, utilisent parfois des critères différents pour évaluer le caractère durable ou non d’un investissement. «Contrairement aux données financières, les données ESG ne sont pas encore standardisées et sont, en conséquence, plus difficiles à obtenir et à exploiter», précise Benn Wurth, head of risk management de Spuerkeess. «La croissance rapide du marché de la donnée engendre un certain nombre de limites, dont les fournisseurs doivent se saisir afin d’améliorer les pratiques, notamment en matière de transparence des méthodes. En outre, pour une grande partie des entreprises luxembourgeoises, les fournisseurs de données internationales ne disposent pas de données ESG. Nous sommes donc amenés à collecter nous-mêmes ces nouvelles informations auprès des clients.»
Vérifier la crédibilité des engagements
Ce besoin d’informations précises et vérifiables doit permettre aux banques d’offrir toute la transparence nécessaire à destination de leurs clients. «Nous ne pouvons évidemment pas réaliser seuls notre engagement, qui est d’atteindre la neutralité carbone de nos activités à l’horizon 2050», reprend Arnaud Jacquemin. Ceci ne peut se faire qu’en étroite collaboration avec les clients que nous finançons, qui eux-mêmes doivent évaluer leur propre impact. Nous avons donc, collectivement, un besoin d’accéder à l’information la plus complète et la plus fiable possible, y compris de la part d’agences de notation indépendantes, afin de bien calibrer les modèles qui permettront de mesurer le chemin à parcourir précisément pour remplir les engagements qui sont pris.»
Ces thématiques nécessitent des compétences spécifiques, d’où l’importance de collaborer avec la communauté scientifique.
Avant même l’accès à l’information, l’un des premiers défis que rencontre le secteur consiste, avant tout, à se mettre d’accord sur la définition d’un investissement durable. «Les questions qui tournent autour des thèmes de l’environnement, du social et de la gouvernance posent des défis inédits et complexes qui ne relevaient auparavant pas des attributions des établissements financiers», constate Marco Rasqué Da Silva, secrétaire général et vice-président de Spuerkeess. «Ces thématiques nécessitent des compétences spécifiques, d’où l’importance de collaborer avec la communauté scientifique, afin d’améliorer les pratiques relatives au climat et à l’environnement. Afin de répondre à cet enjeu, nous avons créé un conseil consultatif de la durabilité. Ce projet novateur a reçu le soutien officiel du ministre des Finances ainsi que du conseil d’administration de Spuerkeess et de ses dirigeants. Il apporte non seulement une valeur significative aux projets et aux activités de Spuerkeess, mais il enrichit également le secteur financier luxembourgeois dans son ensemble, de même que d’autres secteurs exposés aux risques environnementaux.»
Une matière complexe à appréhender
Au centre de cette nouvelle galaxie de l’investissement ESG se trouve le client, parfois bien démuni face à la multitude d’informations qui circulent sur le sujet. «Le véritable enjeu est de construire une offre compréhensible et transparente, afin de permettre à notre client de prendre les bonnes décisions», confie Jacques Hoffmann, responsable ESG de Raiffeisen. «Nous devons parvenir à mettre des mots simples sur des matières complexes. Peu importe les réglementations en vigueur, l’objectif doit être de servir au mieux le client, de lui proposer des produits qui correspondent à ses attentes, de la carte de crédit durable – qui permet de planter des arbres – aux prêts pour financer des projets écologiques, en passant par une gamme de produits d’investissement que peut proposer une banque coopérative, responsable et durable par essence.»
La création de cette offre durable s’accompagne d’un important besoin de pédagogie, à destination du public, mais aussi des collaborateurs de la banque. «Nous voulons éviter d’avoir des spécialistes RSE qui travaillent isolément», explique le CEO de Société Générale Luxembourg. «Bien évidemment, il faut des experts, car la matière est complexe et évolutive, mais notre volonté est de former l’ensemble des équipes afin d’intégrer nativement la dimension ESG dans nos activités, que ce soit dans la manière dont nous structurons des financements ou des produits d’investissement, mais aussi dans la façon dont nous fonctionnons au quotidien en tant qu’entreprise responsable.» Ce besoin de formation, afin d’offrir au client la bonne information, est partagé par l’ensemble de nos interlocuteurs.
Enclencher une dynamique salvatrice
Une des grandes difficultés, aujourd’hui, est d’agir à très court terme pour avoir un réel impact sur l’environnement et le climat. «Nous sommes encore au début du chemin. Les normes et réglementations commencent à être plus cohérentes et organisées, mais le torrent d’informations actuel rend parfois inaudibles certains messages de fond», constate Marco Rasqué Da Silva. «Ces évolutions impliquent notamment d’adapter nos systèmes informatiques afin de traiter tous ces paramètres et d’avoir une visibilité sur les chemins à suivre, car la réponse à apporter aux défis ESG n’est pas unique.» Face aux attentes grandissantes de l’Europe et des régulateurs, il est important pour les banques d’apprivoiser la matière afin de les mettre en œuvre de la meilleure des manières.
Le défi reste d’expliquer de façon simple toute cette thématique de l’investissement durable, qui regroupe une multitude de dimensions. Mais je compare cela à l’essor de la compliance.
«La difficulté vient du fait que ces différentes réglementations sont toutes récentes et ne sont pas toujours alignées. Les mettre en musique pose de nombreuses difficultés de fond et techniques. Mais dans l’esprit, ces règles ont beaucoup de sens et doivent progressivement permettre à toute l’industrie financière de suivre une voie commune. La taxonomie, par exemple, est la première brique d’un ensemble, qui nous donne un dictionnaire commun; on sait que celui-ci n’est pas encore complet puisque, par exemple, il ne traite actuellement que du volet environnemental et que la dimension sociale est à venir. De manière générale, tout n’est pas encore écrit. Il est donc important de maintenir un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes afin de faire converger les interprétations et les pratiques», souligne Arnaud Jacquemin.
Aussi, depuis août 2022, les banques sont obligées de demander à leurs clients s’ils souhaitent que leurs investissements soient durables et, si oui, pour quelle proportion de leur portefeuille d’investissements. «En pratique, nous avons établi un questionnaire Mifid afin de définir les préférences de nos clients en matière de durabilité», résume Daniel Biever.
«Aujourd’hui, le défi reste d’expliquer de façon simple toute cette thématique de l’investissement durable, qui regroupe une multitude de dimensions. Mais je compare cela à l’essor de la compliance que nous avons vécu voici quelques années. Au départ, c’était contraignant et difficile à mettre en place, cela représentait des coûts importants, mais aujourd’hui, c’est devenu le standard.» Sur ce sujet, les banques attendent encore des déclinaisons techniques du régulateur, mais cela ne doit pas les empêcher d’avancer. «En matière de transition environnementale, les chantiers sont gigantesques. Cela dit, il ne faut surtout pas attendre de disposer de la connaissance parfaite, de l’exhaustivité et de la fiabilité absolue des données et des modélisations. Il faut, au contraire, enclencher la dynamique, même partielle. Quand on voit l’urgence qu’il y a sur le climat et la biodiversité, il faut avancer de façon volontariste, quitte à affiner les leviers progressivement», complète Arnaud Jacquemin.
Un risque climatique à intégrer
Enfin, un autre enjeu concerne la prise en compte des risques climatiques de manière durable. «C’est un sujet central qui est activement suivi par la Banque centrale européenne (BCE)», souligne Benn Wurth. «Ces dernières années, le risque climatique a été intégré dans le risk management framework de la banque. Dans une première phase, Spuerkeess a mis en place des indicateurs pour mesurer le risque climatique en distinguant le risque de transition, par exemple par rapport aux émissions financées, et le risque physique, comme celui de financer un immeuble construit dans une zone inondable. Au deuxième trimestre 2022, nous avons participé au stress test climatique de la BCE. Il serait aberrant que chaque banque développe son propre modèle, et nous avons donc des discussions régulières avec l’ABBL et les autres acteurs de la Place.»
L’évolution climatique et la dégradation de la biodiversité sont des processus qui ont des impacts sur les grandes catégories de risques que gère une banque: risque de crédit, risque de marché, risque opérationnel…
La prise en compte de ce risque climatique ou environnemental va redéfinir la relation avec les clients. «À nos yeux, les risques liés au climat ou à la biodiversité ne sont pas de nouvelles catégories de risque qu’il faudrait traiter à part. L’évolution climatique et la dégradation de la biodiversité sont des processus qui ont des impacts sur les grandes catégories de risques que gère une banque: risque de crédit, risque de marché, risque opérationnel…», analyse Arnaud Jacquemin. «Désormais, nous devons intégrer nativement cette dimension dans l’analyse globale d’un client que nous finançons, par exemple. Cela nécessite de faire évoluer les compétences de nos collaborateurs qui évaluent ces risques, mais aussi notre risk management framework. Cette évaluation du risque va s’affiner dans le temps avec la disponibilité de plus en plus grande d’informations fiables, l’émergence de standards suscités par nos superviseurs. Mais, là encore, il est essentiel de prendre le sujet à bras-le-corps dès maintenant. C’est central. Fiabiliser les trajectoires va prendre du temps, mais ce n’est pas une raison pour ne pas commencer maintenant.»
Cet article a été rédigé pour de l’édition de parue le 26 octobre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via