Les banques à guichet font face à une concurrence croissante des banques en ligne, y compris sur le segment des entreprises. (Photo: Shutterstock)

Les banques à guichet font face à une concurrence croissante des banques en ligne, y compris sur le segment des entreprises. (Photo: Shutterstock)

Ouvrir un compte bancaire au Luxembourg demeure un défi pour de nombreuses entreprises. Malgré des efforts pour améliorer les procédures, la lenteur du processus KYC et le manque de transparence sur certains refus continuent de soulever des critiques.

Attention, sujet sensible. Des entreprises ont manifestement . «Chaque jour, je reçois encore des appels, des e-mails et des messages de personnes me disant: ‘Nous rencontrons à nouveau des difficultés pour ouvrir des comptes bancaires’», assène le député (CSV), qui en a fait son cheval de bataille.

Selon l’élu chrétien-social, deux principaux griefs ressortent. D’une part, l’obligation pour les entreprises de se soumettre à une nouvelle procédure de connaissance du client (KYC), réputée lourde, à chaque ouverture de compte dans une nouvelle banque. D’autre part, la lenteur de cette procédure. «Entre le dépôt de votre demande KYC et l’obtention du feu vert, plusieurs mois peuvent s’écouler. C’est beaucoup trop long si l’on compare avec les procédures en vigueur dans d’autres pays», déplore le député.

Cela fait pourtant plus de deux ans que le sujet a émergé dans le débat public. Depuis, des progrès ont été réalisés, reconnaît Laurent Mosar: «Il y a eu une lente prise de conscience, tant du côté des banques que de la politique luxembourgeoise, qu’il était impossible de continuer ainsi, sous peine de créer un réel problème pour le bon fonctionnement de notre système économique. Des efforts ont été entrepris ces deux dernières années, notamment par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et les banques. Mais nous n’avons pas encore trouvé une solution qui me satisfait pleinement.»

ABBL: un vadémécum

L’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) déclare avoir «pris ce dossier au sérieux», en agissant sur quatre tableaux:

Rôle de facilitateur entre l’offre et la demande. L’ABBL connecte les entreprises aux banques et aux prestataires de services bancaires au Luxembourg. d ans les banques et d’autres prestataires pour aider les entreprises à accéder à cet écosystème complexe.

Initiatives pédagogiques. L’ABBL a commencé à produire une série de guides pratiques. En décembre, elle a publié un vadémécum sur l’ouverture de comptes pour des entreprises. Il vise à les sensibiliser aux obligations des banques et à expliquer pourquoi des documents ou informations supplémentaires peuvent être demandés.

Renforcement des efforts en matière de formation. L’ABBL s’est associée à la House of Training pour offrir une formation spécialisée aux responsables conformité. Elle a aussi lancé, avec d’autres associations, une nouvelle certification pour «compliance officers» dans les secteurs bancaire et des fonds.

Dialogue continu avec le régulateur. L’ABBL dialogue avec la CSSF pour favoriser une application «cohérente et proportionnée» des réglementations en matière de connaissance du client. L’objectif est d’approfondir la collaboration en matière de formation et d’application des réglementations.

CSSF: neuf réclamations en deux ans

Si les difficultés liées à l’ouverture de comptes font beaucoup parler d’elles, elles restent mal documentées. L’ABBL les juge «difficiles à chiffrer, dans la mesure où il n’y a, pour nos membres, pas d’obligation de reporting en matière de refus d’ouverture ou sur les dossiers difficiles, ni envers l’ABBL, ni envers la CSSF». L’Association, sur la base de discussions avec des parties prenantes, ajoute que cette problématique semble «surtout concerner les PME, les start-up et les promoteurs de fonds alternatifs».

Parmi les plus de 100.000 entreprises enregistrées au Luxembourg, ainsi que les milliers créées chaque année, combien de problèmes ont été rapportés à la CSSF? «Au cours des deux dernières années, la CSSF a été contactée neuf fois par des personnes morales qui se sont vu refuser l’ouverture d’un compte bancaire», indique l’autorité. Elle précise que, selon la loi, elle ne peut recevoir que les réclamations de clients d’entités sous sa surveillance. Une personne qui souhaite ouvrir un compte n’est pas encore considérée comme un client.

Contactées, BGL BNP Paribas et la Spuerkeess se refusent à tout commentaire et renvoient aux réponses données par l’ABBL. La Banque Raiffeisen déclare ne pas disposer «de statistiques spécifiques concernant le pourcentage ou les motifs de refus des demandes d’ouverture de comptes pour les personnes morales en 2024».

Les refus d’onboarding sont au final relativement faibles.
Vincent Pelletier

Vincent Pelletierresponsable de la communication externeBil

«Les rares demandes d’ouverture de compte professionnel non concluantes sont principalement dues à des dossiers incomplets restés sans réponse de la part du prospect ou concernent des entreprises qui n’ont aucune activité au Luxembourg», note pour sa part Post Finance. «Dès lors que l’ensemble des informations et documents ont pu être collectés en bonne collaboration avec les prospects, après avoir fait notre analyse, les refus d’onboarding sont au final relativement faibles», ajoute la Bil.

Parmi les cas qui se racontent sur la Place, il y a celui d’une entreprise de taille moyenne fournissant une infrastructure technologique basée sur la blockchain. Malgré des mois d’efforts, elle n’a pas réussi à ouvrir un compte bancaire local au Luxembourg et a fini par quitter le pays. Bien qu’ayant levé des fonds conséquents, les banques locales refusaient toute implication avec la blockchain ou la crypto, jugées trop risquées.

Ce genre de cas est-il exceptionnel? Laurent Mosar ne se démonte pas: «Nous faisons face à un problème ponctuel qui pourrait avoir des conséquences structurelles. Si les entreprises ne parviennent plus à ouvrir de comptes, elles cesseront de venir ou finiront par partir. Si le Luxembourg acquiert la réputation d’un pays où il est difficile, voire quasi impossible, d’ouvrir un compte bancaire, les gens iront ailleurs! C’est un enjeu particulièrement crucial pour les start-up.»

Il n’est pas forcément souhaitable que les entreprises se tournent massivement vers des solutions alternatives.
Nasir Zubairi

Nasir ZubairiCEOLhoft

Le CEO de la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft), , se montre plus nuancé: «Des cas problématiques, il y en avait quelques-uns il y a trois ou quatre ans, mais ce problème n’existe plus aujourd’hui.» Selon lui, des prestataires de services de paiement alternatifs, comme OlkyPay, offrent désormais des solutions adaptées aux PME. «Les entités réglementées de bonne taille et les institutions de paiement ne rencontrent pas de difficulté majeure. C’est dommage que les comptes ne soient pas forcément ouverts auprès des banques luxembourgeoises, mais c’est ainsi.»

Malgré cela, le CEO de la Lhoft estime que la situation actuelle reste insatisfaisante: «Je sais que toutes les banques luxembourgeoises y travaillent, mais des efforts restent à faire de leur côté pour faciliter l’ouverture de comptes. Du point de vue de la stabilité financière et de la gestion des risques, il n’est pas forcément souhaitable que les entreprises se tournent massivement vers des solutions alternatives pour leurs besoins bancaires. N’oublions pas que ces options n’offrent pas, par exemple, les garanties de dépôt et autres protections similaires.»

KYC: mutualiser les procédures

Laurent Mosar appelle les banques à concentrer leurs efforts sur la mutualisation des procédures KYC. , représente à ses yeux «la solution idéale». «Pour les clients existants, le transfert des données pourrait être simplifié. À partir du moment où j’autorise ma banque à transférer mes données, je ne vois pas pourquoi cette instruction ne pourrait pas être exécutée. Il est assez incompréhensible que nous n’ayons pas avancé davantage sur ce sujet. Cela dit, je garde bon espoir que des progrès seront faits dans les mois à venir au niveau de la plateforme i-Hub.»

Parmi les autres chantiers évoqués par le chrétien-social figurent la durée des procédures («pour moi, un compte devrait être ouvert au plus tard une semaine après la demande») et la transparence sur les motifs de refus. Le compte est-il jugé trop coûteux? Le client présente-t-il un risque trop élevé? «Si une banque refuse d’ouvrir un compte à une société ayant, directement ou indirectement, des liens avec la production d’armement, à la limite, je peux le comprendre. Mais qu’elle l’assume clairement, au lieu d’incriminer la réglementation ou son application par la CSSF.»

En 2024, 80% des comptes professionnels étaient opérationnels en moins de deux semaines.
Paul Rausch

Paul Rauschresponsable relations pressePost

Concernant les délais, Post Finance répond avoir «simplifié la procédure d’onboarding, notamment afin de faciliter la compréhension des documents à fournir par le client». En 2024, ajoute la banque postale, «80% des comptes professionnels étaient opérationnels en moins de deux semaines». Chez Raiffeisen, «la durée moyenne d’onboarding varie de quatre à cinq jours ouvrables pour un dossier complet, mais peut s’étendre à une période significativement plus longue pour des structures complexes». En principe, résume l’ABBL, «l’ouverture d’un compte bancaire se fait dans un délai raisonnable à condition de recevoir du client tous les documents et informations requis».

Quant à la transparence, la CSSF rappelle qu’«une banque n’est pas tenue d’indiquer pourquoi elle ne souhaite pas entrer en relation avec un client, ceci vaut de même pour les résiliations de relation d’affaires». Tant Post Finance que Raiffeisen affirment qu’elles s’efforcent de fournir des explications aux clients refusés.

Du côté politique, Laurent Mosar promet de rester vigilant. «Si, malgré un dialogue avec toutes les parties, nous n’avons pas de solution satisfaisante, je n’exclus pas, et me réserve le droit, de déposer une proposition de loi en vue d’étendre l’obligation déjà en place pour les particuliers aux personnes morales. Le gouvernement pourrait d’ailleurs aussi agir de sa propre initiative.»

(Qu’est-ce qui bloque dans l’ouverture des comptes d’entreprises? Ce sujet sera approfondi dans un second volet.)