Samy Chaar est chef économiste chez Lombard Odier. S’il estime que l’inflation reste un des principaux risques pour l’économie et les marchés, il voit la situation se normaliser dans les 12 mois qui viennent. (Photo: Lombard Odier)

Samy Chaar est chef économiste chez Lombard Odier. S’il estime que l’inflation reste un des principaux risques pour l’économie et les marchés, il voit la situation se normaliser dans les 12 mois qui viennent. (Photo: Lombard Odier)

Pour Samy Chaar, la bataille contre l’inflation est en bonne voie, mais n’est pas encore gagnée. Il reste beaucoup d’efforts à faire et les banques centrales vont maintenir la pression.

Samy Chaar est chef économiste chez Lombard Odier. Selon lui, nous sommes en train d’éviter le scénario du pire: «On va même vers le mieux». L’évolution de l’inflation qui «reste un des principaux risques pour l’économie et les marchés» en témoigne. En exclusivité pour Paperjam + Delano Finance, il livre ses prévisions pour 2023.

Comment voyez-vous évoluer l’inflation aux États-Unis et en Europe?

Samy Chaar. – «Les perspectives semblent aller dans la bonne direction. Lentement mais sûrement. On va dans le bon sens certes, mais on part d’un niveau d’inflation très élevé. On sent qu’il y a encore besoin encore d’efforts économiques substantiels avant de revenir dans un environnement plus normal et une inflation plus acceptable, aux alentours de 2% à 3%. Les autorités, et tout particulièrement les banques centrales américaine et européenne vont maintenir la pression. J’insiste sur le terme maintenir. L’idée n’est pas d’augmenter la pression sur l’économie comme on l’a vu en 2022, mais elle n’est pas non plus de la faire baisser, afin de s’assurer que les efforts nécessaires au retour de l’inflation à un niveau acceptable soient fait.

Nous semblons être à un moment où l’inflation a atteint son apogée et commence à entamer une descente. Qu’est-ce qui a changé?

«Il y a trois raisons à ce retournement. La première est qu’avec le ralentissement économique, on assiste à un ralentissement de la demande de biens. Ralentissement qui touche aussi l’immobilier. Ce secteur est particulièrement exposé aux effets des hausses des taux.

La deuxième raison qui justifie l’amélioration des perspectives d’inflation est l’amélioration des chaînes d’approvisionnement et de l’offre. On assiste à une normalisation que confirme l’évolution d’indicateurs clés comme les coûts de fret, les délais de livraison, le stress sur les chaînes d’approvisionnement ou encore la disponibilité des microprocesseurs…

Mais le facteur le plus déterminant est l’évolution des coûts de l’énergie. On peut même parler de chute brutale. Si on est toujours au-dessus des niveaux que l’on a connus en 2019, on est repassé en dessous des niveaux moyens de 2021 et de 2022.

La guerre en Ukraine s’enlisant, comment expliquer cette baisse des coûts énergétique?

«D’abord à la douceur de l’hiver qui a permis de peu toucher aux stocks accumulés ces derniers mois. Mais tout attribuer au climat ne rend pas justice aux autorités européennes qui ont fait énormément pour éviter le scénario du pire pour cet hiver, mais aussi pour le prochain. 100% des importations de gaz russes ont été compensées par des importations de gaz liquéfié en provenance de Norvège, du Qatar, d’Algérie et des États-Unis.

Cela a eu un coût énorme, mais il faut saluer la réactivité des autorités européennes qui se sont mis en ordre de marche pour sécuriser l’approvisionnement énergétique, ce qui a permis d’atteindre un niveau de stockage quasiment record et qui, en plein milieu de l’hiver, reste à des niveaux très élevés. Les Européens ont compris qu’ils avaient été du mauvais côté de la stratégie énergétique ces 10 dernières années en dépendant fortement du gaz russe. Ils ont fait ce qu’il fallait pour réparer cette faute. Évidemment, quand on a 10 ans de retard, la solution est plus chère…

Même orientée à la baisse, l’inflation reste plus haute que cette dernière décennie. Où sont les freins?

«Contrairement à la demande de biens, la demande de services reste considérable. Elle est à des niveaux élevés aux États-Unis et elle augmente en Europe, ce qui nourrit l’inflation sous-jacente.

Aux États-Unis, on trouve les principales tensions sur les loyers, la restauration, les loisirs et la santé. Des secteurs très corrélés à la vigueur du marché du travail. Un marché qui reste vigoureux des deux côtés de l’Atlantique. On voit bien que pour revenir à des niveaux d’inflation de 2 ou 3%, il faudrait que les marchés de l’emploi perdent de leur vigueur, et plus particulièrement que la croissance salariale reste contenue.

C’est ici que se joue la principale différence entre les États-Unis où on continue d’avoir une croissance salariale assez vigoureuse même si elle baisse et l’Europe où la croissance salariale demeure à des niveaux relativement acceptables. C’est cette croissance salariale qui force la Réserve fédérale américaine à avoir des niveaux plus élevés que ceux de la BCE. Et c’est pour cela que les banques centrales vont “maintenir l’effort”. La Fed va atteindre les 5% et y rester un bon moment tout comme la BCE qui visera plus les 3%.

Maintenir la pression… À quel niveau et pour combien de temps?

«Au moins pour tout 2023. Mon sentiment est que l’on va retourner à des niveaux d’inflation acceptable en fin d’année. Ce qui ouvrirait la voie à un environnement plus normal dans lequel les banques centrales reviendraient à ce qu’on appelle un taux neutre, c’est-à-dire un taux qui ne stimule ni ne contraint l’économie.

La question des salaires est sensible en Europe. Voyez-vous un risque de dérapage social face à ce «maintien de l’effort»?

«Je ne le pense pas. Nous avons une croissance salariale en Europe autour de 3% à 4%. Ajustée de l’inflation, il y a bien une perte de pouvoir d’achat, mais avec la réduction de l’inflation à des niveaux proches de 3%, l’évolution du pouvoir d’achat sera plus acceptable. De quoi éviter le pire.

Et puis – et j’ai conscience d’être un peu complaisant au niveau du risque sociétal –, les gouvernements européens ont quand même beaucoup aidé les ménages à bas revenus et les entreprises surmonter la crise du Covid puis la crise énergétique. Je trouverais étonnant que cela soit oublié.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.