Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg . (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg . (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

L’inflation reste la préoccupation principale du moment d’un point de vue économique.

 Au cours de la semaine dernière, plusieurs membres de la Réserve fédérale américaine ont fait part de leurs craintes liées à l’évolution des prix et ont souligné l’importance que la Fed réagisse rapidement et de manière décisive. Ce changement brusque de ton de la part des banques centrales, et de la Fed en particulier, peut paraître étrange étant donné que l’augmentation des prix est loin d’être un phénomène nouveau. La vérité, c’est que les banques centrales ont mis trop de temps à adapter leur politique monétaire face à l’augmentation des prix. La conséquence sera des hausses de taux beaucoup plus agressives qu’imaginé précédemment, non sans conséquences pour l’économie.

Le retour d’une vieille connaissance

La réapparition de l’inflation, qui était globalement absente depuis la crise financière de 2008, peut être expliquée par trois facteurs qui se sont enchaînés et entremêlés au cours des deux dernières années. Premièrement, elle est née d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de biens. Pendant les mois de confinement à partir du printemps 2020, la demande mondiale de biens a été dopée par l’impossibilité de consommer certains services, due aux mesures de restriction, et par la hausse du revenu disponible des ménages américains, en raison du support fiscal inédit de l’État. Cette forte demande de biens a mis à rude épreuve les chaînes de production mondiales. Ce qui a débuté par une pénurie de semi-conducteurs s’est ensuite étendu à d’autres composants et produits intermédiaires. Des problèmes liés à l’offre entrent aussi en considération. Certaines usines, notamment en Asie, ont été contraintes de fermer temporairement en raison des mesures prises par les autorités qui visaient à limiter la propagation du virus. Cette forte demande pour les biens et les contraintes sur l’offre ont naturellement entraîné des pressions inflationnistes sur les produits manufacturiers.

Dans un second temps, lorsque les mesures de restriction furent relâchées, la demande pour les services domestiques a rapidement rebondi alors que certaines personnes étaient en incapacité de retourner travailler (ce phénomène s’est surtout observé aux États-Unis). Le manque de main-d’œuvre a entraîné une inflation salariale élevée pour les revenus les plus faibles.

Enfin, la hausse plus récente de l’inflation est également expliquée par l’augmentation du prix des matières premières. Le renchérissement du prix de l’énergie peut être attribué à plusieurs facteurs: la forte demande liée à la levée des mesures de restriction, la stratégie de limitation de l’offre de l’Opec ainsi que la transition énergétique vers des énergies renouvelables dont l’offre peut être volatile. Enfin, la guerre en Ukraine et les sanctions qui suivirent ont rajouté une couche à la hausse du prix des matières premières.

Des banquiers centraux sous pression

La posture plus agressive des banquiers centraux intervient à un moment où la hausse des prix à la consommation et des rendements obligataires toutes maturités confondues impactera déjà significativement la croissance économique par deux canaux principaux: la consommation et les secteurs de l’économie les plus sensibles à l’évolution des taux. Le taux fixe d’emprunt immobilier américain à 30 ans a dépassé 5% la semaine dernière. Ce renchérissement du coût du crédit a fait chuter les demandes de prêts immobiliers de 13% par rapport au même moment de l’année dernière. La demande automobile pourrait également être affectée par la hausse des taux, les voitures étant souvent achetées à crédit. Du côté de la consommation, l’inflation ronge le pouvoir d’achat des ménages, et la progression récente du prix des matières premières due à l’invasion russe n’a rien arrangé. En zone euro, les hausses salariales peinent à dépasser 2% en variation annuelle alors que l’inflation a atteint 7,5% le mois dernier. Par conséquent, la perte de pouvoir d’achat pour les ménages est aiguë. Aux États-Unis également, les hausses salariales ne permettent pas de compenser la montée de l’inflation et le retrait des aides fiscales. Là aussi, l’évolution des revenus disponibles est devenue négative après inflation.

Le cycle de resserrement monétaire des banques centrales débute alors que des signes plus encourageants en ce qui concerne l’inflation sont dernièrement apparus. Du côté de la demande, les derniers chiffres aux États-Unis montrent que la consommation de biens a baissé de 2,5% en février, alors que les dépenses en services ont accéléré. Cette normalisation des habitudes de consommation post-confinement devrait contribuer à alléger les goulots d’étranglement présents dans les chaînes mondiales d’approvisionnement. Cependant, les nouvelles mesures de restriction en Chine ainsi que les perturbations liées à la guerre en Ukraine sont un risque pour cette amélioration. Deuxièmement, les progressions salariales aux États-Unis ont ralenti dernièrement et certains indicateurs qui mesurent les pénuries de main-d’œuvre se sont stabilisés. Enfin, le prix des matières premières a baissé depuis les plus hauts atteints en mars en raison de l’avancée dans les négociations entre l’Ukraine et la Russie. L’évolution du conflit et des sanctions sont évidemment des grandes inconnues et le prix des matières premières y sera intimement lié.

Le durcissement substantiel du discours des banques centrales de ces dernières semaines est peu compréhensible étant donné que la hausse des prix en mars est liée à un (autre) choc externe pour lequel la politique monétaire n’a pas d’emprise et que des améliorations commençaient à s’observer dans les éléments qui ont conduit à une hausse de l’inflation depuis l’été 2020. Leur posture plus agressive, qui se reflète directement dans les rendements obligataires, risque d’empirer le ralentissement économique qui était déjà en cours.