Pour 2023, Giorgio Pradelli estime qu’après deux ou trois trimestres assez délicats, la situation va se stabiliser et compte sur la résilience des économies. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour 2023, Giorgio Pradelli estime qu’après deux ou trois trimestres assez délicats, la situation va se stabiliser et compte sur la résilience des économies. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

De passage à Luxembourg où le groupe s’est montré très actif ces dernières années, Giorgio Pradelli, le CEO d’EFG Bank, a évoqué, en exclusivité pour Paperjam, les perspectives de la banque qu’il dirige, de l’importance de son implantation grand-ducale et de l’évolution des attentes des clients des banques privées.

Giorgio Pradelli travaille dans le secteur bancaire depuis 30 ans. Après avoir fait ses premières armes à la Deutsche Bank, où il a passé 12 ans, il a rejoint EFG Group en 2003 dont il est le PDG depuis 2018.

M. Pradelli, quels sont les domaines d’activité d’EFG?

Giorgio Pradelli. – «Nous sommes actifs dans la banque privée et la gestion de fortunes ainsi que dans les services aux fonds d’investissement, en liaison avec notre activité de banque privée. Nous totalisons 144 milliards de francs suisses d’actifs sous gestion. Notre clientèle est constituée pour moitié d’UHNWI – des personnes dont les actifs financiers dépassent les 100 millions dollars – qui nous confient en moyenne 30 millions de dollars, pour 37% de HNWI et de 13% de clients fortunés. Nous leur proposons toute une gamme de services d’investissements – incluant un accès direct à la salle des marchés – ainsi que des solutions de planification successorales et pour les UHNWI des solutions de crédits sophistiquées.

Comment se porte votre banque?

«Même si 2022 a de nouveau été une année difficile où il n’était pas facile de prévoir ce qui allait se passer avec une inflation au plus haut depuis 40 ans, la grande volatilité des marchés et une guerre en Europe, notre banque se porte bien. Nous nous étions fixé pour la période 2019-2022 – avant que la crise du Covid ne survienne – une croissance nette de nos actifs sous gestion comprise entre 4% et 6%. Nous sommes en bonne voie. Cette année, la croissance sera moins forte. Fin septembre, nous étions à 2%. Principalement parce que beaucoup de nos clients ont décidé de limiter leurs effets de levier en clôturant leurs crédits Lombard (ndlr: un Crédit Lombard est un crédit consenti contre nantissement de valeurs patrimoniales liquides telles que des actions, des obligations ou des fonds de placement, à concurrence d’un certain pourcentage de leur valeur).

Comme annoncé en octobre lors de notre journée des investisseurs, nous prévoyons d’atteindre également nos objectifs de rentabilité de 85 points de base pour les revenus, un cost income ratio de 75% et un return on equity (RoTE) de 15%.

Notre position est plus solide que ce qu’elle était il y a cinq ans et nous pouvons aborder notre prochain cycle stratégique qui court jusqu’en 2025 dans une position de force.

Encore plus depuis le Brexit, le Luxembourg est notre hub dans l’Union européenne.
Giorgio Pradelli

Giorgio Pradelli CEO EFG Bank

En quoi votre entreprise se différencie-t-elle de vos concurrents?

«Nous sommes déjà une banque assez jeune, fondée à l’origine par la famille Latsis en Suisse. Nous avons vraiment commencé à nous développer dans les années 1990 et nous sommes rentrés en bourse en 2005.

Nous sommes surtout une banque entrepreneuriale. C’est notre ADN: le client est au centre de notre activité. Nos gérants s’appellent ‘Client Relationship Officer’ (CRO). La relation entre le CRO et le client est le bien le plus précieux de la banque. Nous voulons que cette relation soit une relation de confiance, une relation de long terme, une relation de trusted advisor. Même si nous développons une offre propre, nous travaillons en architecture ouverte et nous cherchons toujours à trouver la meilleure solution, celle qui répond aux besoins du client. Le CRO est comme un chef d’orchestre qui dirige tous nos spécialistes produits. Il y a cette discussion dans notre industrie de savoir si la relation avec le client doit être avec l’institution où avec le gérant. Pour nous, les CRO sont des associés, pas des commerciaux. Nous les soutenons constamment. 

Avec la multiplication des scandales qui touchent les grandes banques suisses, Credit Suisse en tête, l’image du banquier privé suisse attire-t-elle encore les clients et les investisseurs?

«Oui. La banque privée suisse est une marque qui se vend bien dans le monde. L’affaire dont vous parlez n’est pas ‘systémique’, elle ne cause aucun préjudice ni à la marque ni à notre établissement.

Quelle est l’importance du Luxembourg pour votre groupe et quelles y sont vos ambitions?

«Encore plus depuis le Brexit, le Luxembourg est notre hub dans l’Union européenne. C’est également une place centrale pour les fonds marques blanches (Private Label Funds) avec une offre de service unique.

Nous y sommes présents depuis 2006. Il y a cinq ans, pour acquérir une masse critique, nous avons fait deux acquisitions: et . Aujourd’hui, nous avons presque 10 milliards de francs suisses d’actifs sous gestion ici et nous employons un peu moins de150 personnes dans nos deux activités, le Private Banking-Wealth Management et les services administratifs aux fonds d’investissement ainsi que de banque dépositaire.

Pour gérer tous les aspects de la vie d’un client, familiale comme professionnelle, on a besoin de l’intelligence humaine.
Giorgio Pradelli

Giorgio Pradelli CEOEFG Bank

Comment évolue la démographie des personnes fortunées et donc leurs attentes? Et comment vous adaptez-vous?

«Dans notre business model, nous nous concentrons de plus en plus vers la clientèle haut de gamme, UHNWI et HNWI. La clientèle mass affluent qui faisait du cross-border tend à disparaître à cause du coût et du développement de solutions sur leurs marchés domestiques.

Quant à la clientèle UHNWI et HNWI, elle évolue. Une nouvelle génération émerge. Une nouvelle génération plus sensible au digital, aux thèmes ESG, au développement durable et aux investissements d’impact. Nous développons une offre pour répondre à une demande qui portée par cette nouvelle génération est inarrêtable. Même si certains acteurs sont allés un peu trop vite, un peu trop loin et aujourd’hui doivent faire marche arrière, la tendance est là.

Vous avez mentionné le digital. Quid de la digitalisation pour le métier de la banque privée et quelle est votre politique en la matière?

«Pour la nouvelle génération des personnes fortunées, la digitalisation est une condition sine qua none pour entamer une relation.

Même si nous pensons que le gestionnaire restera au centre de la relation avec le client, sur certaines parties de la chaîne de valeur – l’equity trading par exemple – le digital peut avoir une plus-value. Mais pour gérer tous les aspects de la vie d’un client, familiale comme professionnelle – beaucoup d’entrepreneurs ont des situations familiales et professionnelles ‘intégrées’ –, on a besoin de l’intelligence humaine.

Maintenant, le gestionnaire doit disposer de solutions digitales qui lui donnent la possibilité de gérer la complexité moderne. L’avantage des solutions digitales, c’est de pouvoir tout à la fois centraliser et automatiser beaucoup de services de back office et de middle office, ce qui permet de faire des économies d’échelles, tout en offrant une flexibilité optimale à la relation client. Pour une banque globale comme nous – nous sommes présents à Hong Kong, à Singapour, à Londres, à Luxembourg, à Monaco, en Suisse, à Miami, aux Bahamas et aux Cayman tout en prospectant sur 40 pays –, c’est indispensable.

Notre métier est un métier basé sur les relations personnelles. C’est toujours le cas, mais les solutions digitales peuvent aider. Si elles sont correctement sécurisées.

Nous pensons que les actifs privés vont prendre encore plus d’importance parce qu’ils donnent la possibilité de mieux lisser un cycle économique volatil.
Giorgio Pradelli

Giorgio Pradelli CEOEFG Bank

Dans le contexte actuel d’inflation, de hausse des taux et de tensions géopolitiques annonciatrices d’une démondialisation, que conseillez-vous à vos clients?

«2022 a été une des années les plus difficiles sur les marchés dont je me rappelle. Pire même que 2009 parce qu’au moins, alors, la corrélation entre les actions et les obligations n’était pas aussi étroite qu’aujourd’hui.

Dans les conditions actuelles, le principal conseil que nous donnons à nos clients c’est de diversifier. Après 10 ans de purgatoire, les obligations redeviennent une classe d’action intéressante. On ne doit plus s’aventurer dans le high yeld pour avoir des rendements corrects. Pour ce qui est des marchés actions, nous ne sommes pas négatifs pour l’instant. Beaucoup de secteurs ont subi une correction importante, d’autres pas encore. D’où l’importance d’une bonne diversification.

Nous pensons que les actifs privés vont prendre encore plus d’importance parce qu’ils donnent la possibilité de mieux lisser un cycle économique volatil. À condition de favoriser les actifs de qualité et d’éviter les effets de levier trop importants maintenant que l’argent a de nouveau un coût.

Enfin, pour une clientèle qui regarde le marché d’une manière plus tactique, nous conseillons les produits structurés, voire directement les dérivés et les options pour une clientèle ‘haut de gamme’.

Comment voyez-vous 2023?

«2023 ne sera pas une année simple. L’ajustement post-pandémique n’est pas fini et est compliqué par les tensions géopolitiques. L’inflation va rester élevée et les banques centrales vont continuer à monter leurs taux pour tenter de la contrôler, mais moins vite que ce que l’on a vu en 2022. Je pense que les économies font preuve de résilience et qu’après deux ou trois trimestres assez délicats, la situation va se stabiliser.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.