Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for Finance. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/Archives)

Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for Finance. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/Archives)

Le secteur de la banque privée luxembour­geoise occupe une place de choix sur le marché européen de la gestion patrimoniale. Une position qui aiguise les appétits de la concurrence venue d’Europe, mais aussi du monde entier.

Le Luxembourg est aujourd’hui un centre reconnu et apprécié à l’international pour ses services de banque privée à destination d’une clientèle fortunée. L’expertise développée par les institutions financières au fil des années porte ses fruits. Le pays attire un nombre croissant de banques privées et, dans un même temps, la somme des actifs sous gestion atteint des sommets: plus de 500 milliards d’euros fin 2020. «Avant même de parler de concurrence, il est important de rappeler ce qui fait notre spécificité et, partant de là, notre succès, lance Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for Finance (LFF). La banque privée au Luxembourg, c’est une offre de services et de produits destinés à répondre aux besoins d’une clientèle relativement spécifique. Elle est fortunée, c’est une première chose. Mais, surtout, elle évolue dans un univers multijuridictionnel, tant du point de vue de sa vie quotidienne que de son patrimoine. Le profil type du client de la banque privée luxembourgeoise, tel qu’on a pris l’habi­tude de le décrire aujourd’hui, c’est un industriel ou un entrepreneur, qui vit dans un pays, et qui a des intérêts économiques, des usines ou des entreprises dans d’autres pays. Ses enfants ont construit leur vie dans des pays différents, parfois lointains. Son épouse est originaire d’une autre région du monde… Se pose alors la question de savoir comment organiser la gestion de son patrimoine et sa transmission dans un tel environnement.» Le Luxembourg dispose aujourd’hui de toute l’expertise requise pour y répondre.

Une stabilité reconnue et appréciée

Ces dernières années, les autorités et les acteurs de la place financière ont multiplié les efforts de promotion à travers le monde, avec un focus important sur le Moyen-Orient ou encore l’Amérique du Sud. Plusieurs banques chinoises ont établi leur quartier européen au Luxembourg. Le pays est aussi désormais l’unique tête de pont des banques suisses en Europe. «Dans ce contexte concurrentiel, le Luxembourg a traditionnellement su mettre en avant sa présence au cœur de l’Union européenne. Sa stabilité constitue par ailleurs un actif précieux, cultivé année après année, décennie après décennie. Il faut encore ajouter un environnement réglementaire réputé, tout à la fois rigoureux et agile, et une histoire presque centenaire en structuration de patrimoines privés», résume François-Louis Thoreau, desk head au sein de HSBC Private Bank Luxembourg. La stabi­lité politique, sociale et économique du Grand-Duché, confirmée par son triple A, attire aussi bien les institutions bancaires internationales que les clients. De plus, la «boîte à outils luxembourgeoise», et notamment les véhicules d’investissement, régulés ou non, représente un élément de structuration patrimoniale essentiel pour la clientèle visée. Or, le repositionnement des banques privées luxembourgeoises est très clair. Entre 2011 et 2020, la part des familles très fortunées, ces ultra high net worth individuals qui possèdent plus de 20 millions d’euros d’actifs, est passée de 41 à 58%.

Il en résulte qu’en Europe, dans le segment du client multijuridictionnel que nous avons décrit précédemment, le Luxembourg n’a pas réellement de concurrent. «C’est notre niche, l’élément qui permet de distinguer le Luxembourg dans le domaine de l’industrie européenne de la gestion patrimoniale, reprend Nicolas Mackel. Aujourd’hui, une grande fortune belge, française ou allemande, qui évolue dans un écosystème purement national, n’a normalement pas d’intérêt à venir au Luxembourg, si ce n’est pour des raisons de stabilité et de sécurité. Il ne faut surtout pas dénigrer ce dernier aspect qui est devenu un grand argument de vente pour les banquiers ­luxembourgeois.» Si l’on se compare aux autres Places de banque privée à vocation internationale, une certaine humilité reste toutefois de mise. «La Place est cinq fois plus petite que celle de la Suisse et quatre fois plus petite que celle du Royaume-Uni, si l’on ne regarde que les actifs internationaux, rappelle François-Louis Thoreau. Connaître sa juste place n’empêche toutefois pas d’avoir de l’ambition! À ce titre, l’arrivée de nouveaux acteurs d’envergure, la croissance des actifs sur ces dernières années et le franchissement du cap symbolique des 500 milliards d’euros sous gestion sont des motifs légitimes de fierté.»

La Suisse, numéro 1 mondial

Aujourd’hui, la Suisse reste le numéro 1 mondial de la gestion de fortune, devant Singapour. En 2020, les actifs sous gestion des banques privées suisses ont encore bondi de 2,8% pour se fixer à 2.900 milliards de francs, selon l’étude Private Banking Switzerland: Market Update 2021 de PwC. «Pour cette clientèle très fortunée, nous restons clairement le petit concurrent de la Suisse. Notre avantage principal est de faire partie de l’Union européenne et cela joue en notre faveur pour certains clients, constate Nicolas Mackel. Aussi, ces grandes fortunes ne laissent pas simplement leur argent sur un compte bancaire. Elles sont à la recherche de solutions d’investissement, elles veulent profiter de diverses opportunités et s’intéressent à l’immobilier, au private equity, des domaines dans lesquels le Luxembourg dispose d’une expérience intéressante.» Pour la partie fondamentale de la gestion patrimoniale, les bonnes raisons de venir au Luxembourg sont donc nombreuses.

Mais quels sont les avantages compétitifs du Luxembourg face à la Suisse, à Londres, aux Pays-Bas ou à l’Irlande? «Bien que bénéficiant d’un environnement économique très dynamique et international, l’Irlande et les Pays-Bas semblent aujourd’hui encore briller davantage par leur attractivité pour les corporates, y compris financières, que pour les ­patrimoines privés internationaux. Vu du Luxembourg, commenter les forces et performances des autres grandes places financières est toujours un exercice délicat, précise François-­Louis Thoreau. Si l’on en croit la dernière publication The Deloitte International Wealth Management Centre Ranking 2021, la Place suisse maintient aujourd’hui encore sa position de leader en matière de compétitivité, ceci en dépit d’une plus faible profitabilité de ses acteurs et d’un marché domestique modeste. Le parallèle avec le Luxembourg est, sur ce dernier point, à souligner. En ce qui concerne le Royaume-Uni, la croissance des actifs internationaux (3,7% sur la période 2017-2020) apparaît décevante en comparaison avec la Suisse, les États-Unis, Singapour et le Luxembourg. Au sein de l’Union européenne, un concurrent sérieux pour le Luxembourg demeure la Place de Francfort. Dans la recomposition du paysage de la banque privée européenne, elle a su faire valoir de sérieux atouts et attirer à elle quelques acteurs de référence qui, à la différence de HSBC et d’autres, n’ont pas fait du Luxembourg un siège de leur activité au sein de l’Union européenne.»

De nombreux marchés à explorer

Dans une moindre mesure, la France et la Belgique conservent des avoirs sous gestion importants dans le secteur de la banque ­privée. «Nous avons d’ailleurs tout intérêt à mieux expliquer la valeur ajoutée du Luxembourg auprès de nos voisins directs. Nous sommes dans l’Union européenne. L’un vend du chocolat, le deuxième des produits de luxe, le troisième des voitures… Nous, nous vendons des services bancaires. Tout cela est parfaitement légitime. Des règles ont été mises en place. La première est que chacun doit payer ses impôts là où ils sont dus. Pour le reste, l’expertise, qui est le service, peut être proposée n’importe où. Il n’y a donc aucune honte et aucune gêne à aller promouvoir ce que nous faisons de mieux», glisse le directeur de Luxembourg for Finance.

Aujourd’hui, la concurrence au niveau mondial reste très active, et l’origine des clients des banques privées luxembourgeoises s’est beaucoup diversifiée, même si 85% des avoirs sous gestion proviennent encore du Vieux Continent. «Le marché de base reste en Europe, mais on voit quand même de plus en plus de clients internationaux. Parmi les concurrents, j’ai mentionné Singapour, mais il y a aussi Hong Kong, plus orienté vers la Chine, reprend Nicolas Mackel. Au Moyen-Orient, on retrouve Dubaï, et Miami aux États-Unis pour toute une clientèle venue d’Amérique latine. On le voit, le Luxembourg attire aussi des clients latino-américains, en particulier pour l’aspect stabilité et sécurité. Mais quand vous regardez les volumes, la disproportion est encore plus grande qu’avec la Suisse.» Miami reste le hub du continent américain pour la gestion de fortune latino-américaine.

Il faut surtout se défaire de l’idée que nous pouvons enclencher le pilote automatique.
Nicolas Mackel

Nicolas MackelCEOLuxembourg for Finance

Le statu quo n’est pas une option

L’expertise internationale de la banque ­privée luxembourgeoise permet aux banquiers de gérer des questions complexes et des ­porte­feuilles contenant des biens présents sur ­plusieurs juridictions européennes. Ces conseillers bancaires peuvent aussi offrir à chaque client un ensemble de services pour le moins pléthorique. Mais le constat est clair. Si le Luxembourg occupe une position de choix, il n’en demeure pas moins que la concurrence a de l’appétit. «Depuis le Brexit, on a remarqué un regain d’activité sur les marchés étrangers. Nos principaux concurrents ont la volonté de faire mieux et surtout de ne rien nous laisser, constate Nicolas Mackel, qui appelle à la vigilance. Nous devons tout d’abord veiller à la bonne santé de nos finances publiques. Le triple A, au-delà des incantations de nos dirigeants, a une réelle valeur et une réelle importance pour le futur économique du pays. Ensuite, nous devons regarder constamment ce que nous pouvons améliorer dans notre boîte à outils afin de toujours offrir les meilleures solutions à une clientèle toujours plus exigeante et avertie.»

Enfin, il faut massivement investir dans la formation et rendre le Luxembourg plus attractif pour les talents venant de l’étranger. «Si nous voulons jouer dans la cour des grands, dans le domaine de la gestion patrimoniale, nous devons pouvoir compter sur des personnes qui sont vraiment à la pointe dans le conseil, la gestion des clients et des portefeuilles, mais aussi sur l’aspect digital, poursuit Nicolas Mackel. De grandes banques ont mis en place, au Luxembourg, des plateformes sur lesquelles elles ont connecté leurs différentes succursales européennes. Pour maîtriser les développements à venir, il faut réellement s’appuyer sur des talents performants. Si les relationship managers sont souvent au plus près du client, dans son pays de résidence, il faut des experts qui comprennent et connaissent les marchés financiers, maîtrisent les aspects réglementaires toujours plus complexes. Le statu quo n’est pas une option. Il faut sans cesse s’améliorer.»

L’attractivité vaut aussi pour les talents

Si de grands groupes bancaires ont choisi le Luxembourg comme hub européen, ce n’est pas un hasard. Le multilinguisme est la règle, et cette diversité culturelle a même un intérêt qui dépasse la seule pratique de la langue. Les professionnels de la banque privée que l’on trouve au Luxembourg ont en effet une connaissance intime de la plupart des pays d’origine de leurs clients, et c’est une vraie plus-value. «Le succès futur de la Place nécessite des talents et de l’innovation. Rien n’est facile, mais il faut surtout se défaire de l’idée que nous avons atteint notre vitesse de croisière et que nous pouvons enclencher le pilote automatique…», explique encore Nicolas Mackel. La concurrence ne fait plus aucun cadeau. Et certaines attaques récurrentes, venues de l’étranger, font partie de cette composante concurrentielle. «Le Luxembourg ne peut se contenter d’entretenir et de promouvoir ses forces, que je résumerais en trois points: la stabilité et la réputation, la régulation à la fois exigeante et pragmatique, ainsi que la rapidité et l’agilité dans l’identification des nouvelles ­opportunités sur les marchés, détaille François-Louis Thoreau. De plus en plus, l’attractivité de la Place dans le domaine des ressources humaines dépasse largement la question de la rémunération. La recherche de sens, l’ouverture aux new ways of working et la qualité de vie en général importent aux profils de haut vol, et la Grande Région ne peut suffire à les leur fournir. Dans ce domaine aussi, la concurrence internationale est implacable.» 

Parmi les nombreux défis auxquels sont confrontées les banques privées luxembourgeoises, la capacité d’attirer, de former et de développer des professionnels hautement qualifiés est essentielle. Si la lutte pour les talents n’est pas un sujet nouveau, elle prend toutefois une dimension toujours plus internationale. Et dans un contexte de transformation digitale du métier, il est encore plus difficile de prédire aujourd’hui avec précision quelles compétences seront nécessaires demain.

Cet article a été rédigé pour  paru le 30 mars 2022 avec  Le contenu du supplément est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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