Après Luxembourg et Vienne, Bady Minck a ouvert Amour Fou en Allemagne. (Photo: Guy Wolff)

Après Luxembourg et Vienne, Bady Minck a ouvert Amour Fou en Allemagne. (Photo: Guy Wolff)

Première femme à porter la casquette de productrice de films au Luxembourg, la fondatrice de la société de production Amour Fou, Bady Minck, n’a jamais cessé de partager à travers le cinéma son fol amour pour les arts. Ses productions qui parcourent le globe veulent questionner et livrer une autre vision du monde.

Vous êtes réalisatrice et productrice, comment définiriez-vous l’ADN d’Amour Fou, la société de production que vous avez fondée?

. – «Du cinéma d’auteur avec une approche visuelle, et des films qui font progresser le cinéma, qui transcendent les frontières et les genres, et qui soulèvent souvent des questions. À la base, je suis réalisatrice. J’ai réalisé une douzaine de films invités à de grands festivals (Cannes, Berlin, Venise, Sundance Film Festival). En 1995, Alexander Dumreicher-Ivanceanu et moi avons fondé Amour Fou Luxembourg pour produire mes propres films. Puis, en 2001, nous avons fondé Amour Fou Vienna, en Autriche. Alexander vient d’Autriche et moi du Luxembourg, il était évident de couvrir les deux pays.

Comment est né cet intérêt pour le cinéma?

«Déjà dans mon enfance, j’étais fortement attirée par les arts: sculpture, peinture, cinéma… À l’adolescence, j’ai commencé à filmer avec une caméra Super 8, analogue bien sûr, j’aimais beaucoup ça. Je faisais des petits films, en stop-motion, une technique où l’on procède photo par photo, cela donne un autre rythme au film. Il fallait envoyer la pellicule au labo, on n’avait pas de négatifs, on ne pouvait pas les conserver… C’était beaucoup plus compliqué à l’époque!

Quelles étaient vos sources d’inspiration?

«Des films qui m’ont beaucoup inspirée, aux images fortes, comme ceux de Luis Buñuel, Agnès Varda, Maya Deren, Jean Cocteau et Sergueï Paradjanov.

Après le bac, vous vous étiez dirigée vers la sculpture. Quel lien voyez-vous avec le cinéma?

«Le cinéma est, selon moi, un amalgame de tous les arts. Il réunit les images, le rythme, le mouvement, l’architecture, la dramaturgie, le jeu des acteurs, les costumes, les couleurs, la lumière, les VFX, mais aussi le son, la musique et la parole. C’est cette combinaison que je trouve la plus intéressante. Quand j’ai étudié à l’Académie des beaux-arts de Vienne, j’ai senti des limites. Les sculptures peuvent bouger, comme les sculptures cinétiques, mais ne peuvent pas évoluer dans le récit. On peut y projeter des histoires, mais pas les développer. J’avais donc proposé au professeur de lancer un atelier de création de films pour dépasser ces limites, mais il n’y avait pas de budget pour. J’ai changé d’école et j’ai intégré la classe de la fameuse artiste peintre Maria Lassnig à l’université des arts appliqués de Vienne. Dans sa classe, je pouvais peindre et faire des films avec une forte signature visuelle, différents de ceux dans lesquels l’histoire est en grande partie racontée par les dialogues.

En fait, vous avez toujours fait des films…

«Oui. Mon père et ma grand-mère ne voulaient pas que je vive ‘dans un pays facho’, car ils avaient été résistants pendant la guerre. Alors, pour financer mes études, j’ai fait beaucoup de films de commande, quelques pubs... J’ai travaillé un peu dans le cinéma. J’ai aussi créé des dessins et des illustrations, j’ai fait des expositions et vendu mes œuvres, pendant 10 ou 15 ans.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de disposer des deux casquettes: réalisatrice et productrice?

«Cela me permet d’augmenter mon output, parce que travailler sur un film personnel prend plusieurs années. Il faut écrire le scénario, ce qui prend déjà un ou deux ans, puis financer la production, faire des castings et des repérages, ce qui prend en moyenne encore un ou deux ans, établir des contrats, trouver des distributeurs, puis il y a ensuite le tournage et la postproduction… Cela permet de pouvoir travailler sur plusieurs films à la fois.

Le Film Fund a contribué à inclure les femmes.

Bady MinckfondatriceAmour Fou

Avez-vous été confrontée à des difficultés du fait d’être une femme?

«Oui, les 20 premières années ont été extrêmement difficiles. En 1995, au Luxembourg, il n’y avait que trois ou quatre sociétés de production, j’étais la première femme productrice. Je n’étais pas prise au sérieux par de nombreux collègues. J’étais souvent ignorée par les associations et fédérations professionnelles. On me coupait régulièrement la parole lors des meetings. La plupart du temps, la presse interviewait les réalisateurs et les producteurs masculins et les modèles étaient toujours des hommes. Le Film Fund Luxembourg a contribué à inclure les femmes. En Autriche, nous avons créé des associations et avons fait bouger les choses, notamment en permettant à plus de femmes de participer aux décisions des fonds de soutien.

Avez-vous remarqué un changement avec #MeToo?

«Oui, tout s’est soudainement accéléré. Ça a été d’une grande aide, et il y a même maintenant un quota de 50% de femmes dans le financement des films en Autriche. Plein de productrices et de réalisatrices ont maintenant accès à des financements en Autriche. C’était un long chemin, un combat difficile. Mais, aujourd’hui, il y a aussi de plus en plus d’hommes qui promeuvent cette égalité. Souvent, ce sont les jeunes.

De quoi êtes-vous particulièrement fière dans votre carrière?

«Qu’Alexander et moi ayons réussi à produire plus de 50% de films de femmes en 28 ans de carrière, sur une centaine de films. Il faut savoir qu’à l’époque, les projets dirigés par des femmes étaient en moyenne trois fois plus souvent rejetés pour un financement.

Vous produisez peu de films pour la télévision, pourquoi?

«Nous en produisons si le cadre n’est pas trop classique. Nous avons tourné cet automne ‘Femmes Pirates’, un film cofinancé par cinq pays et qui sortira en 2024, avec un casting luxembourgeois. Mais, principalement, nous produisons des films de cinéma à l’international, comme ‘Hannah Arendt’ de Margarethe von Trotta en 2012 vendu dans plus de 55 pays.

Dans quels pays vendez-vous vos films?

«Chine, Turquie, États-Unis, Canada, pays de l’Est… Mais il y a des règles. Par exemple, les Chinois n’achètent pas les films dans lesquels les femmes fument, qui sont explicitement politiques, ni ceux dans lesquels il y a de la drogue... Sinon, on vend pratiquement dans tous les pays qui ont une infrastructure cinématographique. La Scandinavie, par exemple, est un peu fermée, ses pays préfèrent s’échanger des films, et en produisent beaucoup. Les territoires lointains achètent bien plus nos films que la Scandinavie si proche, c’est fou, non?

En matière de production, comment le Luxembourg se démarque-t-il?

«Ici, par exemple, nous pouvons produire et financer des films avec beaucoup de langues. Alors qu’en Autriche, en Allemagne, en Italie et en France, il y a des restrictions linguistiques. Ici, nous n’avons pas cette contrainte. C’est un grand avantage qui nous permet d’être plus créatifs.

Sur quoi travaillez-vous actuellement?

«À côté des films internationaux, nous développons des projets luxembourgeois – comme le film d’animation ‘Nuage violet’ de Sophia Kolokouri, ‘Lizardqueen’ réalisé par Jacques Molitor, ‘Ora et Labora’ de Dzhovani Gospodinov et un projet de science-fiction d’Anne Simon et Jeff Schinker – et deux de mes projets, ‘Résistance’ et ‘Grete Lihotzky’. Notre but est de mettre en valeur nos 28 ans d’expérience pour situer ces projets aux niveaux européen et international. Nous venons aussi de sortir ‘Ingeborg Bachmann’, en trois semaines, le film a attiré plus de 100.000 spectateurs en Allemagne, 30.000 en Autriche et jusqu’à 2.000 au Luxembourg.»

Cap sur l’Allemagne

Nouveauté

En cette fin d’année, la société de production Amour Fou annonce qu’après Luxembourg et Vienne, l’ouverture d’une nouvelle entité en Allemagne «pour développer et réaliser des projets avec, aussi, des talents allemands (réalisateurs, auteurs, comédiens) et d’agrandir ainsi notre pool créatif, y compris pour nos films avec des talents luxembourgeois et autrichiens, pour les combiner avec les talents belges, autrichiens, français…», explique Bady Minck. Elle sera dirigée par le producteur André Fetzer.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de paru le 12 décembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

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