· La procédure d’imposition dans le cadre d’une scission de société
En matière de scission avec dissolution de sociétés de capitaux, jusque-là, la position de l’Administration des Contributions Directes (« ACD »), ainsi que la pratique du marché, avaient été de déclarer une éventuelle plus-value latente découverte à l’occasion de ladite opération de scission dans le chef de la société scindée et d’émettre le bulletin d’imposition à l’attention de cette dernière. En même temps, l’ACD estimait que les stipulations du projet de scission constituaient des conventions entre personnes privées qui ne lui étaient pas opposables, notamment en ce qui concerne l’attribution d’un passif fiscal découlant de la découverte par l’effet de la scission de plus-values latentes ne remplissant pas les conditions de neutralité fiscale.
La Cour administrative d’appel a cependant donné raison au contribuable en jugeant que même si la dette d’impôt naissait dans le chef de la société scindée, une société dissoute sans liquidation ne peut plus être le destinataire d’un bulletin d’imposition, qui est donc à adresser au successeur en droit auquel le plan de scission avait attribué la dette fiscale. Dans ce contexte, la Cour a ainsi reconnu que les stipulations du plan de scission sont, par le truchement des dispositions sur la procédure de scission de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, opposables à tous tiers, y compris le fisc.
En effet, la Cour a statué que
« […] la loi reconnaît un effet légal à l'égard des tiers à la répartition du passif de la société scindée retenue dans le projet de scission […], à partir de la date d'effet de la scission, la société bénéficiaire qui s'est vue imputer la dette par ledit projet est à considérer comme le seul débiteur de cette dette. »
Ce n’est qu’à partir du moment que le tiers créancier n’obtient pas satisfaction auprès du successeur en droit désigné qu’il peut s’adresser aux autres entités issues de la scission.
Il en découle également l’intérêt de définir clairement dans le plan de scission quelles sont les attributions au niveau de l’actif et du passif de la société scindée, pour éviter tout doute à ce sujet. Si l’attribution d’un élément du passif n’est pas clairement définie dans le plan de scission, un créancier peut s’adresser à toutes les entités issues de la scission.
· Pas de suspension de la prescription vis-à-vis de tiers qui ne sont pas parties à une procédure judiciaire
L’ACD avait émis des bulletins d’imposition à l'attention d'une société issue d'une scission qui étaient manifestement hors délai de prescription.
Le contribuable ayant soulevé la prescription, l’ACD a argumenté par une prétendue suspension du délai de prescription pendant le cours d’un litige devant les juridictions administratives relatif à des premiers bulletins d’imposition qui avaient été émis préalablement à l’attention de la société scindée et annulés dans le litige antérieur par décision de la Cour administrative.
Dans ce contexte, les deux degrés de juridiction administrative ont tranché qu’un tel effet de suspension ne pouvait en tout état de cause pas exister vis-à-vis d’une entité qui n’avait pas été partie à la procédure relative au litige antérieur.
· L’obligation d’informer le contribuable avant l’émission de bulletins d’imposition incombant à l’ACD
Dans une affaire, suite à la vente d’un immeuble considéré par les cédants comme leur résidence principale, l’application de l’exonération de la plus-value fut rejetée par l’ACD.
Or, les dispositions de la Loi Générale des Impôts (Abgabenordnung, « AO ») font obligation à l’ACD d’informer le contribuable, préalablement à l’émission des bulletins, de l’ensemble des éléments sur lesquels s’appuie l’ACD pour envisager de diverger de manière substantielle de la déclaration fiscale.
Ces dispositions permettent ainsi au contribuable de pouvoir prendre position utilement par rapport aux redressements envisagés par l’ACD.
Or, le contribuable s'est vu adresser par l’ACD des bulletins d’imposition traitant le bénéfice de cession comme une plus-value imposable sans que cette intention n’eût été préalablement communiquée au contribuable par l’ACD.
Faisant application de l’AO, le juge administratif a conclu à l’annulation des bulletins d’imposition concernés pour violation des dispositions de l’AO et plus précisément des droits de la défense et du principe du contradictoire.
· Le sursis à exécution en matière fiscale
Il est de principe en droit fiscal qu’un recours, que ce soit devant le Directeur de l’ACD ou devant le tribunal, ne suspend pas l’obligation de payer les montants d’impôts réclamés.
À ce principe existe une exception consistant en le fait de demander et d’obtenir un sursis à exécution. Le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision litigieuse apparaissent comme sérieux.
Autant dire que son obtention est difficile et peu fréquente.
Néanmoins, en un cas d'espèce, il a pu être démontré que le paiement immédiat du montant de la dette d’impôts réclamée, par son ampleur, était de nature à causer un préjudice non seulement grave, mais aussi définitif, alors qu’un tel paiement aurait perturbé de manière irrémédiable la situation financière du contribuable jusqu’à entraîner sa faillite.
De plus, il a été possible de démontrer le caractère sérieux des arguments du contribuable, de sorte que le Président du Tribunal administratif a été à même de conclure que le recours au fond présentait de solides chances de succès.
Le Président du Tribunal Administratif a donc accordé le sursis à exécution.
L’avocat fiscaliste au cœur de l’évolution actuelle du droit fiscal
Les décisions précitées mettent en lumière le rôle de l'avocat fiscaliste au Luxembourg.
En effet, le durcissement et la multiplication de la règlementation fiscale à l’échelle internationale et européenne ayant des profondes répercussions sur le droit fiscal national sont autant de facteurs complexifiant les règles en vigueur, de sources d’insécurités juridiques engendrant un risque accru de contentieux fiscal.
Par :
· , Managing Partner – Avocat à la Cour
· , Partner Tax – Avocat à la Cour.
Découvrez la compétence
[1] Voir Point 16., « Activité contentieuse », dans le rapport d'activités de l'ACD pour 2021,