«Un urgent besoin de simplification se fait ressentir» selon la communauté RH du pays.  (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

«Un urgent besoin de simplification se fait ressentir» selon la communauté RH du pays.  (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

La communauté des professionnels des ressources humaines, s’est penchée sur l’avenir de l’emploi au Luxembourg.

Fin novembre 2023, HRCommunity.lu a convié ses membres à la présentation d’un livre blanc sur l’avenir du travail au Luxembourg. Ce document, aboutissement d’une étroite collaboration avec un groupe de travail de professionnels des ressources humaines du secteur bancaire, détaille les grands challenges auxquels est confronté le pays en matière d’emploi. Rencontre avec (Neurolead) et Magali Maillot (Allen & Overy), membres du conseil d’administration de HRCommunity.lu, accompagnées de (Pictet & Cie (Europe) AG), Josette Meyssonnier (Banque Julius Baer Europe) et François Bade (Deloitte Luxembourg, en charge de la coordination et de la synthèse des avis récoltés auprès des professionnels). Ensemble, ils se font, à l’unisson, les porte-parole de toute une profession désireuse de faire davantage entendre sa voix et ses préoccupations, afin de soutenir l’attractivité du pays, en bonne entente avec toutes les parties prenantes.

Quel est l’objectif de ce livre blanc sur l’avenir du travail au Luxembourg ?

«En tant que professionnels des ressources humaines, nous sommes convaincus que le Luxembourg est un pays qui dispose de très nombreux atouts (opportunités professionnelles, environnement multiculturel, qualité de vie, niveau de salaires…). En parallèle, nous sommes aussi pleinement conscients que le pays doit aujourd’hui faire face à une multitude de challenges, notamment en matière d’attractivité et de rétention des talents, mais aussi dans la prise en compte des nouvelles façons de travailler ou des obligations légales.

Chaque jour, nous sommes au contact de nos employés et nous entendons les difficultés et les frustrations qu’ils rencontrent. Ces sujets reviennent également sur la table lors des discussions entre employeurs, dans de nombreuses assemblées. Notre volonté est d’apporter notre pierre à l’édifice pour que le Luxembourg conserve la place privilégiée qui est la sienne en Europe, pour ne pas subir les évolutions en cours, mais être force de proposition, aux côtés de toutes les forces vives du pays, pour trouver des solutions pratiques et pragmatiques à ces enjeux de nature sociétale.

Le premier challenge identifié concerne l’attractivité des talents. Comment peut-on relever ce défi commun à tous les secteurs d’activité ?

«Nous pensons qu’il faut travailler à la promotion du Luxembourg comme une destination de choix pour les meilleurs talents en Europe et au niveau global. Beaucoup de personnes, à l’étranger, ont une idée biaisée de ce qu’est le Luxembourg. Nous devons mettre davantage l’accent sur la diversité des métiers, l’environnement multiculturel et véritablement inclusif, l’offre d’enseignement internationale, les langues… C’est aussi un pays où la méritocratie occupe une grande place et où les opportunités d’évolution de carrière sont nombreuses. Il faut absolument montrer au monde entier les atouts qui sont les nôtres, de manière coordonnée, avec le support du gouvernement, en utilisant tous les réseaux à notre disposition.

Un autre sujet touche à la reconnaissance des diplômes des non-Européens.

La communauté des professionnels des ressources humaines

Cette attractivité passe aussi par le développement de politiques spécifiques en matière d’immigration. Nous devons faciliter la venue des non-Européens. Mettre en place un processus plus rapide et plus simple pour des profils très demandés est un sujet très important à nos yeux. On peut souligner les efforts menés par l’Adem au cours de l’année écoulée à ce niveau, mais les procédures auprès du ministère des Affaires étrangères ont des délais qui, raccourcis, constitueraient un vrai avantage compétitif. Un autre sujet touche à la reconnaissance des diplômes de ces non-Européens. Dans le secteur financier, mais aussi dans celui de la santé, ou dans la tech, le pays se prive d’une main-d’œuvre importante parce que leurs compétences ne sont pas reconnues. Nous gagnerions à poursuivre le travail initié afin que le Luxembourg se positionne comme le pays de l’inclusion, au cœur de l’Europe, un endroit où il est facile de s’installer, de s’intégrer et s’épanouir.

Après avoir attiré les bons profils, il faut les conserver. Comment s’assurer que le Luxembourg puisse développer et retenir les talents nécessaires et en quantité suffisante ?

«Là encore, le pays dispose déjà de nombreux atouts, à commencer par son offre en matière de formation professionnelle continue, tous secteurs confondus. Le seul point à améliorer concerne sans doute la formation des dirigeants et l’offre en matière de cursus universitaires. Le pays a déjà développé des parcours de formation dans les domaines du droit, de la médecine ou encore des nouvelles technologies. Cependant, la majorité des étudiants doit encore partir à l’étranger pour se former, avec le risque qu’ils construisent leur vie à l’étranger.

La question de la rétention des talents passe aussi par l’identification des métiers de demain. Le Luxembourg, comme tous les pays européens d’ailleurs, va devoir se préparer rapidement pour s’assurer que les compétences s’adaptent aux nouvelles évolutions techniques, technologiques ou environnementales. Comment passer d’un monde dans lequel on recrutait des compétences et de l’expérience à un monde dans lequel on va rechercher avant tout une attitude et une capacité d’adaptation. Le changement est conséquent, d’autant que la nouvelle génération développe de nouvelles attentes vis-à-vis du travail. La chance du Luxembourg réside dans la proximité entre les entreprises et le gouvernement. C’est un avantage compétitif qu’il faut mettre à profit pour dégager rapidement des schémas plus agiles et imaginer de nouvelles façons de travailler.

L’accord-cadre sur la sécurité sociale est quasiment inapplicable dans la pratique.

La communauté des professionnels des ressources humaines

Comment, justement, encourager ces nouvelles façons de travailler ?

«Il faut offrir davantage de flexibilité, et cela passe par une revue du Code du travail. Aujourd’hui, nous n’avons pas la possibilité d’adapter notre organisation parce que le cadre légal, souvent, ne le permet pas. Mais la toute première priorité est d’établir une «sphère de sécurité» pour permettre le télétravail à domicile pour les frontaliers jusqu’à deux jours par semaine. Il serait par exemple très utile de disposer d’un guide précis sur le sujet du télétravail des frontaliers, tant pour les employés que pour les employeurs. Peut-on ouvrir ses mails le matin à son domicile avant de partir travailler? Peut-on rallumer son PC le soir pour terminer un dossier? Personne n’a de réponse claire et celle-ci peut varier d’un pays de résidence à l’autre… Le Luxembourg ne cesse de perdre du terrain par rapport aux pays voisins, qui offrent cette flexibilité à leurs travailleurs résidents. Aujourd’hui, il n’est plus rare de voir des collaborateurs nous quitter, s’installer à Metz ou n’importe où en France, pour travailler en présentiel un jour par semaine à Paris et gagner le même salaire qu’au Luxembourg. Il est urgent d’arrêter l’hémorragie. C’est un point très crispant pour tout le monde.

La crise du Covid a changé la manière dont les employés perçoivent leur façon de travailler en Europe et dans le monde, sauf au Luxembourg, où les contraintes et les limites pour nos 216.000 frontaliers travaillant au Luxembourg sont énormes. Au-delà du fait qu’il est de plus en plus difficile d’attirer des talents, nous sommes en train de créer des situations d’inégalités de traitement et un sentiment d’injustice entre les résidents et les non-résidents. En tant que DRH, nous sommes obligés de traiter différemment nos salariés en fonction du lieu où ils résident alors que nous vivons tous au sein de l’Union européenne. C’est un véritable problème de fond, qui touche aux valeurs de notre société.

Comment résoudre ces problèmes liés à l’impact de la fiscalité, mais aussi de la sécurité sociale?

«En matière fiscale, le système doit être plus simple, si possible harmonisé et automatique.

Concernant la sécurité sociale, le Luxembourg a signé, le 5 juin 2023, l’accord-cadre européen prévoyant le passage du seuil de télétravail de 25% à 49,9%. Mais cette mesure est quasiment inapplicable dans la pratique. Pour donner un exemple très simple, si j’habite à Arlon et que je dois me rendre à une journée de formation à Bruxelles, je ne rentre plus dans le cadre de cet accord parce qu’il ne concerne que le télétravail à domicile. Les commerciaux et beaucoup d’autres fonctions en sont automatiquement exclus.

Dans le secteur bancaire, environ trois quarts des employés, du fait de leurs fonctions, n’y ont pas droit non plus. Au final, la très grande majorité des employeurs ne permettent pas à leurs salariés d’augmenter les jours de télétravail, à la fois pour éviter d’accroître les inégalités, mais aussi pour ne pas s’exposer inutilement à de nouveaux risques. Nous avons un besoin urgent de clarification, d’harmonisation et de simplification des règles en vigueur. Cela serait possible notamment grâce à un suivi et un reporting digital proposés par les autorités gouvernementales pour les employeurs et les employés. Une harmonisation par une solution sûre et digitalisée permettrait à toutes les entreprises d’implémenter le cadre en place en toute sécurité.

La croissance est moins dynamique pour les salariés frontaliers. (Source: Statec/Comptes nationaux)

La croissance est moins dynamique pour les salariés frontaliers. (Source: Statec/Comptes nationaux)

Un dernier challenge révélé dans votre livre blanc concerne le développement d’un cadre de travail propice et adéquat. Quelles sont les problématiques en jeu ?

«Tout le monde connaît les problèmes du Luxembourg en matière de logement ou de mobilité et nous sommes témoins, au quotidien, des difficultés rencontrées par nos employés pour trouver un logement, peu importe leur âge d’ailleurs.

Nous ne sommes pas des experts de l’immobilier, mais nous voyons que certains employeurs n’hésitent pas à prendre en charge la garantie locative d’un collaborateur par exemple. D’autres louent eux-mêmes des appartements pour les mettre à disposition de leurs salariés à un prix moindre, ce qui est considéré comme un avantage en nature. Ce ne sont que des initiatives éparses. Cette situation est toutefois intenable sur le long terme.

Aujourd’hui, un couple avec deux salaires corrects n’est plus en mesure d’accéder à la propriété au Luxembourg et il s’agit d’un frein important à la rétention des talents.

La communauté des professionnels des ressources humaines

Aujourd’hui, un couple avec deux salaires corrects n’est plus en mesure d’accéder à la propriété au Luxembourg et il s’agit d’un frein important à la rétention des talents. Dans de nombreux cas, ce couple va préférer retourner n’importe où en France, travailler pour un employeur à Paris et profiter pleinement du télétravail. Les déplacements sont évidemment un autre problème. Au final, tous ces éléments sont intimement liés. Une plus grande flexibilité du temps de travail, en octroyant par exemple la possibilité de commencer sa journée au domicile avant de prendre la route, permettrait de réduire le trafic aux heures de pointe, et peut-être de réduire sensiblement la pression sur le logement…

Au regard de ces nombreux challenges, notre volonté est de prendre part aux débats, de travailler concrètement sur ces sujets avec le nouveau gouvernement, que nous inviterons à notre prochain événement dédié, de manière pragmatique, pour faire bouger les lignes. Les employeurs ont besoin de simplification, c’est une évidence. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront se concentrer sur les véritables challenges que constituent l’attraction et la rétention des talents dont le pays aura besoin dans les années à venir.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 28 février 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via