Philip Crowther garde un œil attentif sur la politique étrangère de Donald Trump, caractérisée par un certain manque de prévisibilité. (Photo: Associated Press)

Philip Crowther garde un œil attentif sur la politique étrangère de Donald Trump, caractérisée par un certain manque de prévisibilité. (Photo: Associated Press)

Philip Crowther fait partie des rares journalistes à pouvoir approcher un président des États-Unis aussi imprévisible qu’intéressant pour la presse. Décryptage d’un phénomène politique en précampagne pour sa réélection en 2020.

Philip Crowther a grandi au Luxembourg. Après ses études, le virus du journalisme l’a conduit à être free-lance pour RFI, puis collaborateur de France 24 depuis 2008. Lorsque l’opportunité de reprendre la correspondance de la Maison Blanche s’est présentée en 2011, ce passionné de politique étrangère n’a pas hésité à accepter le poste.

International affiliate reporter pour Associated Press (AP) depuis mars dernier, il se met à disposition – en cinq langues – des chaînes clientes d’AP. On le retrouve toujours sur France 24, mais aussi épisodiquement sur RTL Télé Lëtzebuerg et Radio 100,7.

Est-ce qu’on peut exercer son métier de journaliste «normalement» avec Trump?

Philip Crowther. – «Nous devons garder la même éthique journalistique et traiter la présidence de Trump comme toute autre présidence. Mais en même temps, le contexte de travail a changé, avec beaucoup de mensonges formulés par le président. Nous sommes tous devenus, en quelque sorte, des ‘fact checkers’. Nous devons vérifier si ses déclarations sont exactes et lui dire, le cas échéant, quels sont les éléments faux. Cela entraîne une relation beaucoup plus directe avec un président auquel nous avons beaucoup plus accès que sous Obama. Nous avons presque tous les jours l’opportunité de l’avoir devant nous et de lui crier nos questions.

Il y a donc une autre manière d’aborder le président des États-Unis avec Donald Trump…

«Avec Obama, tout était très respectueux. Chaque question commençait par ‘Monsieur le Président’, et il disposait de temps pour répondre. Avec Trump, le style est différent, il accepte qu’on l’interrompe. Il encourage, en quelque sorte, les conversations un peu plus combatives qui créent parfois l’actualité au travers de la réponse qu’il formule.

Il n’y a pas de doute sur le fait que Trump dit des choses racistes.
Philip Crowther

Philip Crowthercorrespondant à la Maison BlancheAP

Donald Trump communique en permanence sur Twitter. Quel impact cela a-t-il sur votre travail?

«Personne ne sait ce qu’il peut dire d’un moment à un autre, quitte parfois à contredire le point de vue ou la communication officielle de la Maison Blanche. Nous avons dû nous adapter au fait qu’un tweet du président est en soi une communication officielle. C’est à prendre au sérieux. Ces tweets sont d’autant plus sérieux qu’ils peuvent provoquer des crises diplomatiques mondiales et changer la politique des États-Unis dans certains dossiers.

Vous aviez participé à un documentaire télévisé de C8, consacré à la psychologie, qui posait la question suivante: «Donald Trump est-il (vraiment) fou?». Vous maintenez le constat d’un président définitivement imprévisible?

«C’est un président qui peut changer d’opinion d’un moment à l’autre et qui réagit par exemple à ce qu’il voit à la télévision, souvent sur sa chaîne favorite: Fox. En tant que journaliste, on ne sait pas vraiment ce qu’on va couvrir d’un jour à l’autre.

Tout à coup, il peut envoyer des tweets à caractère raciste sur des membres démocrates du Congrès, comme il vient de le faire récemment, et créer une actualité dont on parle pendant des jours entiers. Il faut toujours être prêt à se lever tôt, dès les premiers tweets.

Concernant ses tweets à caractère raciste, pensez-vous que cela traduit véritablement le fond de sa pensé?

«Il est difficile pour nous, journalistes, de définir le président d’une telle ou telle manière. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’il dit des choses racistes. Cela nous donne-t-il le droit, en tant que journaliste, de dire qu’il est raciste?

Nous sommes parfois critiqués, car nous nous cachons derrière les avis ou les témoignages d’autres personnes, mais c’est une manière pour nous de mettre ses déclarations en lumière. Tout en rappelant aussi les paroles qu’il a prononcées par le passé et pour lesquelles il ne s’excuse pas. D’autant plus qu’il constate que cela marche auprès de son électorat.

Donald Trump vous a répondu «Ultimately I’m always right» à une question de politique étrangère que vous lui aviez adressée dans le bureau ovale. Question qui l’avait désarçonné sur la situation au Venezuela… Que traduit cette réponse?

«Quand il est confronté à ce genre de situation où il pourrait prononcer des erreurs faute de connaissance, il devient combatif. C’était, en fin de compte, une réponse assez typique du président, mais lorsqu’il vous répond cela droit dans les yeux, je peux vous dire que c’est assez difficile d’enchaîner par une relance.

L’élection de Donald Trump a laissé apparaître une fracture au sein de la population américaine, à différents égards. Son mandat a-t-il permis de faire évoluer la situation?

«La division qui existait déjà s’est empirée depuis son arrivée au pouvoir. C’est une division entre des parties urbaines et rurales, entre Démocrates et Républicains, entre les deux côtes, entre l’ethnie blanche et les autres… ce sont les pires que j’ai pu observer. Je crains que la division ne s’amplifie dans les affrontements à venir entre Démocrates et Républicains durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2020… qui est déjà en cours.

Ces résultats positifs sur le plan économique pourraient normalement suffire pour une réélection.
Philip Crowther

Philip Crowthercorrespondant à la Maison BlancheAP

Ces divisions contrastent avec un bilan économique pourtant positif…

«Ces résultats positifs sur le plan économique pourraient normalement suffire pour une réélection. Mais Donald Trump continue à prononcer des paroles qui divisent. Je pense qu’il n’aura jamais la discipline d’arrêter de parler et de se concentrer sur les statistiques positives.

Son message en vue de l’élection de 2020 sera de dire que son pays va bien, mais qu’il reste beaucoup [à faire] sur des sujets pour lesquels il prône une approche agressive ou qui divise, comme celui du traitement de l’immigration illégale. N’oublions pas qu’il a promis la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique.

Qui pourrait l’affronter chez les Démocrates?

«La grande question est de savoir si des ‘vaches sacrées’ vont vouloir concourir à l’investiture, en premier lieu l’ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden. Je note toutefois que sa candidature ne suscite que peu d’enthousiasme. Les Démocrates doivent se trouver quelqu’un qui inspire davantage. Je pense à Kamala Harris, la sénatrice de Californie qui est beaucoup plus agressive envers Trump et qui reflète assez bien la réalité du parti démocrate en tant que femme, noire, issue d’une minorité.

D’autres profils plus jeunes pointent comme Pete Buttigieg, le maire de South Bend dans l’Indiana. Il ne dispose pas d’une grande expérience politique, mais il pourrait avoir un ticket pour la vice-présidence…

Quels sont les éléments forts de la première partie de l’année que vous retenez, vus des États-Unis?

«Je m’intéresse particulièrement aux questions de politique étrangère et force est de constater que nous ne savons pas dans quelle direction va Donald Trump sur les dossiers étrangers. Tantôt il essaie de faire chuter un régime comme au Venezuela, tantôt il se concentre sur l’Iran. Le problème est qu’il n’est pas capable de gérer plusieurs problèmes à la fois. Je serai attentif dans les prochains jours à sa réponse quant à la nouvelle crise d’Ebola au Congo, qui avait été une priorité à l’époque pour Obama.

Comment faut-il interpréter durant laquelle il a brièvement foulé le sol de la Corée du Nord?

«C’était une mise en scène. C’est probablement le moment de TV en direct le plus réussi de Donald Trump. Il aura dû être content de la couverture médiatique. Donald Trump éprouve une fascination pour les dictateurs, les hommes forts.

Ce président est motivé par l’idée de défaire ce qu’avait réalisé son prédécesseur.
Philip Crowther

Philip Crowthercorrespondant à la Maison BlancheAP

Ensuite, il ne faut jamais oublier que ce président est motivé par l’idée de défaire ce qu’avait réalisé son prédécesseur. Et de faire le contraire de Barack Obama en matière de relations internationales. Nous l’avons vu avec la sortie de la Cop21 et de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran.

Comment qualifier la place réservée à l’élection d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne dans les médias américains?

«Pour le dire franchement, les États-Unis et la presse américaine sont obsédés par Trump. Il n’y a donc que peu de place pour Mme von der Leyen. Le président n’en a même pas fait mention.

Comment le Luxembourg est-il perçu depuis les États-Unis?

«L’actualité luxembourgeoise n’apparaît ici que lorsqu’un ministre luxembourgeois effectue une visite. C’est l’occasion pour moi d’évoquer avec eux la politique américaine.

Savent-ils se faire comprendre de Donald Trump?

«Même s’il n’est plus actif sur la scène nationale, je dirais que celui qui a réussi à être bien compris par Trump, c’est . Le président américain le respectait, car il n’avait pas peur de lui dire ce qu’il pensait, et surtout de lui dire lorsqu’il n’avait pas raison.»