Les Spac, c’est la dernière mode en matière d’investissement. En 2020, il s’en est créé outre-Atlantique 44 pour 78 milliards de dollars levés. Sur les deux premiers mois de 2021, le Wall Street Journal en a recensé 188 nouvelles, qui ont collecté 50 milliards de dollars. Et cette déferlante commence à arriver en Europe, et même au Luxembourg, où la première Spac, Lakestar Spac 1 SE, a été agréée en février dernier et a réussi son introduction en Bourse de Francfort ce 16 mars.
L’objectif de ces structures? Réaliser une ou plusieurs acquisitions, pour ensuite introduire les entreprises ciblées en bourse par un processus de «fusion» avec la société. Ce qui offre l’avantage pour la société cible d’être cotée sans passer par les longues et coûteuses procédures administratives prévues pour toute IPO (Initial Public Offering).
Un objectif abstrait
L’actuel effet de mode ne doit pas faire oublier, pour Jacques Graas et Paul Péporté – associés au sein de la firme juridique Allen & Overy –, que la Spac n’est pas une nouveauté. «La Spac est une société dont l’objectif est de rassembler les fonds d’investisseurs privés. Mais à la différence d’un fonds d’investissement traditionnel, l’objectif d’investissement n’est pas déterminé. Il reste abstrait.»
Ce qui fait actuellement son succès, c’est son placement entre fonds d’investissement classique et private equity – une passerelle en quelque sorte – et le fait qu’il y ait énormément de capitaux sur les marchés qui ne trouvent pas où s’investir. «Un des problèmes actuels est l’excès de liquidité dans les marchés face à un nombre restreint d’opportunités d’investissement. Le fait de pouvoir déployer de l’argent dans ce type de structure offre une alternative d’investissement intéressant pour un nombre grandissant d’acteurs, et du coup les promoteurs potentiels se divertissent aussi.»
Compagnies «chèque en blanc»
Son mode de fonctionnement – être à l’affût de l’opportunité – est «synonyme d’aventure, de prise de risque». C’est pourquoi certaines limites existent. Dont le fait que les Spac n’existent que pour une durée limitée. De 18 à 24 mois en général. «Ce type d’investissement n’est pas sans risque et s’adresse à des gens assez sophistiqués et aussi preneurs de risque.» Si ces produits s’adressent actuellement à un public assez restreint, des fonds d’investissement et des banques réfléchissent à développer une activité de ce type.
Il faudra attendre encore quelques mois pour voir si on a affaire à un simple effet de mode ou à une véritable alternative aux IPO.
Beaucoup d’économistes parlent des Spac comme d’un risque de bulle prête à éclater. Face aux montants élevés de liquidités, ils soulignent les dérives d’évaluations «extravagantes» et de paris hasardeux. Étant donné que la Spac dispose d’un délai maximum pour réaliser sa fusion en bourse, les fondateurs sont souvent tentés de racheter un peu n’importe quoi avec l’argent tombé du ciel. Ce qui leur a valu le surnom peu flatteur de «compagnie chèque en blanc».
Une opportunité pour la Bourse
Controverse ou non, que peut en espérer la place financière?
Pour Jacques Graas et Paul Péporté, le Luxembourg est, avec les Pays-Bas, la juridiction européenne la mieux placée et la plus considérée pour la constitution de Spac. Ils mettent en avant l’expérience acquise en matière de fonds d’investissement régulés et alternatifs et la boîte à outils suffisamment développée pour s’adapter aux besoins de ces véhicules. De fait, beaucoup de Spac se structurent comme des fonds de private equity. «Notre droit des sociétés est suffisamment souple pour faciliter les fusions transfrontalières et la réglementation européenne en matière de marchés des capitaux permet des cotations sur toutes les Places européennes. C’est l’avantage du passeport européen.» Un avantage dont s’est servie la Spac Lakestar Spac 1 SE en choisissant la Bourse de Francfort pour y coter ses actions sur le marché réglementé et ses warrants sur le marché libre.
Le deuxième avantage, ils le voient donc du côté de la bourse. La Bourse de Luxembourg n’est pas réputée pour son marché actions. Mais rien n’interdit que les Spac puissent coter tout ou une partie de leurs actions ici. Pour Jacques Graas et Paul Péporté, ce serait l’occasion de promouvoir la Bourse de Luxembourg sur les marchés actions.