Selon Ettore Recchi, «la majorité des gens voient le confinement comme un moment de réflexion pour se consacrer à une vie moins frénétique». (Photo: Shutterstock)

Selon Ettore Recchi, «la majorité des gens voient le confinement comme un moment de réflexion pour se consacrer à une vie moins frénétique». (Photo: Shutterstock)

La pandémie de Covid-19 marquera longtemps les esprits. Mais en sera-t-il de même au niveau de la société et de son organisation? Pour un vrai et durable changement, il faudra des décisions claires et sans doute parfois radicales une fois le déconfinement effectif. Mais rien n’est gagné.

Ce n’est qu’une question de semaines, ou de mois. La vie va reprendre son cours au Luxem­bourg. Reste à savoir si, dans notre société, il y aura un «avant» et un «après» Covid-19. Va-t-on voir l’émergence d’un autre Luxembourg?

«Il faut être honnête: on ne le sait pas vraiment encore», explique à Paperjam Ettore Recchi, professeur de sociologie à Sciences Po Paris qui coordonne le projet de recherche «Faire face au Covid-19: comment la crise va changer la société». Les conclusions ne pourront être tirées qu’à moyen terme.

«Certains verront dans cette crise une incitation à fermer les frontières et à se replier sur les solidarités de proximité pour se protéger, d’autres verront l’opportunité d’une solidarité globale car le virus a frappé toute l’humanité, d’autres encore verront la voie pour une vie plus frugale et respectueuse de la nature…» Alors que la crise est toujours en cours, «la majorité des gens voient le confinement comme un moment de réflexion pour se consacrer à une vie moins frénétique».

Mais ce coup de frein s’inscrira-t-il dans la durée? «Cela dépendra beaucoup du cadrage politico-idéologique qui s’imposera. Quelle sera la priorité? Très probablement, il y aura une confrontation entre les champions du retour à tout prix à la croissance économique, le néolibéralisme deviendra ‘rattrapé­isme’; ceux du protec­tion­nisme sanitaire avec un nationalisme devenant sécuritarisme; et les champions d’une vie plus salubre avec un environnementalisme devenant ‘essentialisme’. Les trois visions pourront aussi s’hybrider, bien sûr », analyse Ettore Recchi.

Pour , présidente de la fraction CSV à la Chambre, l’évidence est là: des changements devront s’opérer durablement. «Comment ne pas tirer des leçons de ces événements?, se demande-t-elle. Nous demandions bien avant cela que l’on repense notre système de soins de santé, que l’on s’inquiète des effectifs et des difficultés à recruter… La pandémie a mis en exergue certains des points faibles, un petit peu plus encore. Nous devrons aussi profiter de ce moment pour nous préoccuper à nouveau de problèmes comme ceux du logement, de la mobilité…» Et sans doute se pencher à nouveau sur l’usage des langues. Dans un pays très international, où trois langues administratives sont utilisées, reproche a été fait au gouvernement d’avoir quelque peu tardé à communiquer autrement qu’en lux­embourgeois.

Laura Zuccoli, pré­sidente de l’Asti, constate en effet que, malgré des efforts évidents, «les systèmes des ministères et des services publics ne sont pas encore assez sensibilisés à l’aspect multiculturel. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, il y a une vraie envie de s’occuper de tout le monde. Mais on oublie l’aspect multiculturel.»

Une nouvelle perception des frontaliers?

Le regard sur les travailleurs frontaliers, pourrait-il lui aussi évoluer? Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreux hommages leur ont été rendus, notamment envers celles et ceux exerçant dans le secteur hospitalier. Le coronavirus sera-t-il un facteur d’évolution structurelle des mentalités quant à la perception des frontaliers au Luxem­bourg? Là non plus, rien n’est moins sûr pour Danielle Igniti et Claude Neu, qui ont tous deux observé cette relation souvent ambigüe au fil des décennies. La première, fière descendante d’immigrés italiens indissociable de la ville de Du­delange et du Plan­ning familial, soulève déjà le fait que si le personnel de santé a effectivement été très vite applaudi, «on a trouvé cela tout à fait normal que le ‘petit personnel’ frontalier, comme les caissiers, continue lui aussi de travailler au contact de la population».

Elle ajoute: «Les changements seraient arrivés il y a bien longtemps s’il y avait une vraie prise de conscience quant au caractère indispensable des travailleurs frontaliers pour notre économie. Le premier réflexe a d’ailleurs été de fermer les frontières, si l’on y pense bien. Alors que nous sommes tous en danger. Mais cela tranquillise le commun des mortels!» Et quand elle entend parler de la fin éventuelle du populisme de droite luxembourgeois, Danielle Igniti ne se fait pas de fausses idées: «Les idéologies irrationnelles, fausses et bêtes qui ont toujours été là ne vont pas disparaître du jour au lendemain, même suite à la crise actuelle. Ce serait pourtant une excellente occasion de changer…»

Claude Neu refuse quant à lui de parler d’«effet de mode», mais soutient également que cette reconnaissance envers les travailleurs frontaliers n’aura probablement qu’une courte durée de vie. «Que ce soit le 11 Septembre, Charlie Hebdo, le Bataclan… on voit bien que peu importe les élans du cœur, tout est souvent oublié dans les trois mois, et les petites habitudes reprennent leurs droits. Cette résilience est aussi une des forces de l’humanité», précise-t-il. Une dernière chose, qui le fait sourire: «Peu importent les circonstances, hier comme aujourd’hui, un(e) francophone est toujours originaire de France, jamais ou presque de Belgique!»

La crise sanitaire ne changera donc pas à elle seule la société. Mais elle pourrait donner l’envie de le faire à ceux qui la composent, à tous les niveaux.