Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg.  (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg.  (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Durant la pandémie, la dette publique italienne est passée de 134% du PIB en 2019 à 151% en 2021. Cette dette colossale ne posait pas de problème dans un environnement de taux bas. Depuis, la situation a changé. Il y a un an, l’Italie pouvait se financer à un taux proche de 0,5% pour une échéance à 10 ans. Le taux de financement actuel pour la même échéance a dépassé 4%.

Si 2021 était caractérisée par une inflation croissante, mais modérée, une croissance économique robuste et des taux d’intérêt faibles dus à la politique monétaire souple des banques centrales, l’année en cours est plus compliquée d’un point de vue macroéconomique. L’inflation accélère et atteint des niveaux tels que les banquiers centraux sont contraints d’agir pour atteindre leur objectif de stabilité des prix, à un moment où l’économie risque de tomber en récession en raison de la perte de pouvoir d’achat des ménages, qui est elle-même attribuable au retrait des aides fiscales et à la hausse des prix. Pour un pays aussi endetté que l’Italie, cette situation macroéconomique n’est pas favorable. L’Italie a pu se refinancer à des conditions avantageuses grâce à la politique monétaire souple de la BCE au cours des deux dernières années. Faute d’intégration fiscale en zone euro, la BCE a permis le maintien d’une certaine cohésion entre les États membres. Désormais, la Banque centrale européenne entend réduire ses aides: elle terminera ses achats nets d’actifs début juillet, pour ensuite procéder à une première hausse de taux plus tard dans le mois. Elle devrait mettre un terme aux taux négatifs d’ici septembre.

Inquiétudes sur les marchés obligataires

Les marchés obligataires commencent à s’inquiéter du retrait des aides monétaires de la BCE. Le surplus de rendement exigé par les investisseurs pour détenir une obligation italienne à 10 ans par rapport à une obligation émise par l’État allemand à même échéance a grimpé à 2,5%. Même si cet écart de rendement est encore loin de ce qu’on a pu observer lors de la crise de la dette souveraine de 2011-2012, il n’est pas impossible que les marchés continuent de questionner la volonté de la BCE de limiter l’écartement des spreads. 

En effet, les marchés sont restés sur leur faim à la suite de la réunion du 9 juin de la BCE, où les investisseurs s’attendaient à ce que la banque centrale dévoile un outil de limitation d’écartement des spreads des pays plus vulnérables. Or, rien n’a été mentionné à ce sujet, ce qui a fait augmenter la prime de risque sur la dette des pays du sud de l’Europe. La déclaration de Christine Lagarde de mars 2020, selon laquelle le rôle de la BCE n’était pas de faire baisser ces écarts de rendement, reste dans la mémoire des investisseurs. Il est difficile de concevoir comment la BCE, qui s’engage dans une lutte contre l’inflation au travers d’une politique monétaire plus restrictive, pourrait à la fois arrêter ses achats nets d’actifs, et en même temps acheter massivement de la dette italienne, qui est la seule manière plausible de limiter la hausse des rendements obligataires. De plus, la mise en place d’un outil monétaire visant à limiter l’écartement des spreads signifierait que la BCE doive altérer la clé de répartition de ses achats en faveur des pays du Sud, ce qui pourrait ne pas être conforme à ses statuts qui interdisent le financement direct des États. Enfin, une telle décision pourrait raviver les tensions au sein de la zone euro avec les pays plus conservateurs.

La BCE attendue au tournant

Prise de panique par les récents mouvements de marché, la banque centrale a convenu d’une réunion extraordinaire mercredi passé. Il en est sorti deux nouvelles qui ne suffiront sans doute pas à calmer les marchés. La première, c’est que la BCE pourra utiliser de manière flexible les réinvestissements des obligations achetées précédemment dans le cadre de son programme d’achat pandémique qui arrivent à échéance dans son bilan. Concrètement, cela signifie qu’elle pourra rediriger ses achats futurs (uniquement les montants arrivant à échéance dans son bilan étant donné que l’expansion de la taille du bilan de la BCE prendra fin début juillet) vers les obligations des pays du Sud. Deuxièmement, la BCE nous a informés que des groupes de travail s’attèlent au développement de cet outil de limitation d’écartement des spreads.

Il est difficile d’estimer le niveau de différence de rendement qui rendrait la BCE inconfortable et qui déclencherait une réaction immédiate de la part de la banque centrale. Tant que la BCE reste muette au sujet de son outil de mitigation des spreads, il est probable que les marchés forcent la main de la banque centrale. Celle-ci sera dès lors contrainte, à un moment donné, de mettre en place un mécanisme visant à limiter la hausse du coût de financement pour les États les plus endettés de la zone euro. Elle devra faire preuve d’ingéniosité afin de ne pas raviver les critiques de certains pays de monétisation de la dette publique.