(Illustration: Marielle Voisin)

  (Illustration: Marielle Voisin)

L’industrie des fonds se transforme et entend davantage peser dans la transition vers un monde plus durable. Comment? En allouant ses ressources financières aux projets qui soutiennent les Objectifs de développement durable des Nations unies, ou encore en demandant aux sociétés investies de s’engager autour de thématiques bien définies. Agissant de la sorte, la gestion collective se positionne comme un rouage-clé du changement. 

#Mobiliser

Au sein de l’Union européenne, la finance est envisagée comme un élément-clé de la transition environnementale et sociale souhaitée par les dirigeants. «En la matière, l’Union européenne fait preuve d’une très forte ambition, commente Nathaële Rebondy, head of sustainability Europe au sein de Schroders. À ce titre, elle a mobilisé les acteurs de l’industrie des fonds, dont nous faisons partie, afin de mobiliser l’épargne disponible et d’orienter les flux financiers vers les activités durables, les acteurs qui contribuent à cette transition.» Relever les défis climatiques, et plus largement répondre aux 17 Objectifs de développement durable définis au niveau des Nations Unies, implique de mobiliser des moyens conséquents pour permettre à de nouvelles activités vertueuses d’émerger et de se développer.

La transition, en effet, ne pourra pas s’appuyer sur les seuls pouvoirs publics. «Ces derniers mois, et notamment durant la période de crise, on a assisté à une croissance très soutenue des capitaux épargnés. L’épargne mondiale en actifs financiers des particuliers a en effet dépassé la barre symbolique des 200.000 milliards d’euros, explique , membre de la direction et responsable pays pour Société Générale Securities Services. Un des enjeux, pour l’industrie des fonds, est d’aider à capter ces actifs, en répondant à une clientèle qui a à cœur de donner du sens à son épargne à travers ses investis­sements, et de les mettre au service d’objectifs vertueux.»

#Allouer

 C’est la réglementation européenne, au premier chef, qui invite les acteurs de l’industrie des fonds à jouer ce rôle de catalyseur. Ces acteurs, pour beaucoup, appréhendent ces nouveaux défis avec enthousiasme, voyant des opportunités importantes liées à ces changements. «Dans ce contexte, c’est la recherche de progrès et de performance en matière sociale ou environnementale que nous devons aller chercher aux côtés des performances financières, poursuit Nathaële Rebondy. À ce titre, nous devons nous assurer que les investissements durables auxquels nous procédons répondent à la promesse faite aux investisseurs, tout en accompagnant la juste transition nécessaire de nombreuses entreprises. Nous devons donc pouvoir suivre les performances des sociétés investies en la matière.» 

Dans un monde où la gestion et l’allo­cation d’actifs tiennent compte des performances sociales et environnementales, il deviendra plus difficile pour des sociétés n’intégrant pas ces enjeux de se financer sur les marchés. Des sociétés polluantes ou peu regardantes en matière de respect des droits humains auront beaucoup de difficultés à accéder à de nouveaux moyens. «Toutefois, lorsque l’on parle de transition, tout n’est pas blanc ou noir. Notre rôle, dans ce contexte, sera d’accompagner la transition, en nous dotant des outils adaptés pour s’assurer d’une bonne allocation, vers des projets qui servent des objectifs définis clairement, commente Mathieu Maurier. Cela implique de développer une autre approche du métier et de repenser les portefeuilles, comme les processus d’investissement. Dans ce contexte, certains financements sont appelés à être stoppés, au profit, notamment, d’autres activités vertueuses et porteuses d’avenir.»

#Contrôler

Au-delà de l’allocation des moyens disponibles, l’industrie des fonds sera aussi appelée à rendre compte de la contribution des investissements à la transition environnementale et sociale. Pour cela, les acteurs de l’industrie des fonds vont devoir récupérer de nouvelles données, leur permettant d’évaluer les impacts sociaux et environ­nementaux des activités financées, ainsi que les progrès réalisés en la matière. «C’est un tout nouvel écosystème qui doit se mettre en place, avec de nouvelles expertises, de nouveaux processus, en phase avec les attentes des réglementations qui sont définies en la matière, explique Mathieu Maurier.

«Nous sommes au début d’un processus qui va redéfinir l’industrie des fonds en profondeur. Le chemin à parcourir est encore long. Actuellement, les textes se précisent, et les critères permettant d’évaluer la performance environnementale, dans un premier temps, puis sociale et de bonne gouvernance par la suite, sont progressivement définis. Petit à petit, les acteurs gagnent en maturité, apprennent à gérer ces nouvelles variables, à se repositionner par rapport aux objectifs poursuivis. Des normes émergent, soutenues aussi par des labels. En tant qu’acteurs au service des gestionnaires, nous devons appréhender tous ces enjeux pour faciliter cette transition.»

L’enjeu, à travers la mise en place de nouveaux processus opérationnels, est de garantir une transparence optimale, tant vis-à-vis des régulateurs que des investisseurs. Les gestionnaires, en s’appuyant sur des prestataires de services, doivent s’assurer de la véracité des données, contrôler leur qualité, se doter des moyens de les analyser. Des reportings réguliers autour des enjeux de durabilité devront être établis. Les acteurs de la finance, brassant toutes ces données, occuperont une position privilégiée permettant de rendre compte des efforts entrepris par les acteurs économiques au service de la transition. «Un des enjeux, pour nous, est de nous positionner en tiers de confiance, à même de garantir que les financements opérés sont bien mis au service des Objectifs de développement durable poursuivis», précise Mathieu Maurier.

#S’engager

Plus que de se contenter d’allouer des moyens en faveur des Objectifs de développement durable, les gestionnaires de fonds entendent jouer un rôle actif aux côtés des acteurs économiques. «La prise de participation au niveau des entités investies nous offre la possibilité de nous engager concrètement, d’influer sur la politique de l’entreprise en matière de développement durable», explique Nathaële Rebondy.

À ce niveau, le gestionnaire d’actifs peut agir de différentes manières, à l’occasion du vote lors de l’assemblée des actionnaires, ou encore à travers l’établissement d’un plan d’engagement. «Cela commence par un dialogue avec les dirigeants de l’entreprise, visant à comprendre comment elle agit et à préciser ce que l’on at­tend d’elle sur des sujets bien précis, comme le climat, la préservation de la biodiversité, la gouvernance, la diversité et l’inclusion, les droits humains, pour ne citer que quelques exemples, poursuit la représentante de Schroders. La démarche, sur des aspects définis comme prioritaires, vise à produire des effets tangibles dans une période déterminée, au-delà de la prise de participation.

Si, malgré nos démarches, l’entreprise ne répond pas à nos attentes, une procédure d’escalade peut être enclenchée, avec, par exemple, la possibilité de s’exprimer publiquement.» De plus en plus, des groupements d’actionnaires se mobilisent de manière coordonnée, pour augmenter leur influence auprès des dirigeants et influer sur la politique durable de l’activité.

Mathieu Maurier (Société Générale Securities Services): «À nous de répondre à une clientèle qui souhaite donner du sens à son épargne en la mettant au service d’objectifs vertueux.» (Photo: Société Générale)

Mathieu Maurier (Société Générale Securities Services): «À nous de répondre à une clientèle qui souhaite donner du sens à son épargne en la mettant au service d’objectifs vertueux.» (Photo: Société Générale)

#Accompagner

Les gestionnaires d’actifs savent mieux que quiconque que le changement sera progressif, et qu’il doit s’envisager de manière réaliste et pragmatique. Si l’urgence est bien présente, si les ambitions sont exceptionnelles, la transformation ne sera pas pour autant radicale, et c’est sans doute une bonne chose. «Des choix vont certainement être posés dans le temps. Dans certains cas, des gestionnaires arrêteront d’apporter leur soutien à certaines activités, excluront une série d’acteurs de leurs univers d’investissement parce qu’ils ne répondront pas aux critères de durabilité définis. Il y a cependant un réel enjeu, plutôt que de se désengager de certains secteurs, à accompagner leur transformation vers un monde durable, à soutenir leur transition», explique Mathieu Maurier.

«On ne peut pas, d’un coup, quitter tout un pan de l’industrie de l’énergie qui est capable de soutenir la transition, pour uniquement investir dans Vestas (fabricant danois d’éoliennes, ndlr). Si tout le monde, du jour au lendemain, ne fait plus qu’investir chez les super-leaders en matière de durabilité, on risque de créer des bulles, commente Nathaële Rebondy. Plus que jamais, nous souhaitons accompagner les entreprises dans leur évolution, en considérant les activités qu’elles mènent, leur progression, leur capacité à contribuer aux Objectifs de développement durable.» C’est le propre d’une transition. Il faut donc une approche cohérente, qui intègre les risques en présence, avec la volonté de transformer les modèles actuels, en s’appuyant sur les forces de chacun et en veillant à gommer les faiblesses.

#Élever l’ambition

 L’industrie des fonds se voit, dès aujour­d’hui, comme un partenaire essentiel de cette transition. «La direction est donnée. Une ambition a été fixée. Il n’y a pas si longtemps, l’investissement durable constituait une classe d’actifs à part entière, un segment dans lequel on choisissait d’investir par conviction. Désormais, on a dépassé ce stade. Ces critères et enjeux s’incorporent au cœur des métiers, intègrent naturellement toutes les politiques d’investissement», commente Mathieu Maurier. L’investissement durable est de cette manière devenu mainstream. Et la tendance devrait se renforcer, faisant converger les investissements vers ces Objectifs de développement durable avec un effet multiplicateur.

De plus en plus de gestionnaires d’actifs, dans la conduite de leurs activités propres, intègrent les Objectifs de développement durable, et ce avant d’exiger des entités dans lesquelles ils investissent qu’elles fassent de même. «Nous avons par exemple défini un plan net zéro émission pour nous-mêmes et pour nos investissements», explique Nathaële Rebondy. Elle évoque aussi, pour Schroders, un plan «inclusion et diversité», ou encore la mise en place d’une équipe RSE très engagée. «Nous avons défini un plan pour décarboner notre entreprise et nos portefeuilles d’investissement. C’est aujourd’hui un engagement ferme, aligné avec le scénario d’une limitation du réchauffement à 1,5 °C en 2040», poursuit-elle.

Mais les ambitions ne doivent pas se limiter à l’enjeu climatique, qui correspond à l’urgence du moment. Les Objectifs de développement durable définis au niveau des Nations unies, au nombre de 17, abordent de nombreuses thématiques. «Les acteurs de l’industrie des fonds doivent se donner les moyens de les appréhender pour mieux y contribuer, explique Nathaële Rebondy. Dans ce domaine, par exemple, nous développons des outils dédiés, permettant de déterminer, pour divers objectifs durables, comment une entreprise dans laquelle nous investissons y contribue à travers les diverses activités menées.» En d’autres termes, il s’agit de parvenir à établir une comptabilité analytique, par entreprise, des performances durables. Un tel outil, qui permet de regarder toute activité sous un autre spectre que celui des résultats financiers, devrait nous inviter aussi à envisager le monde autrement.

 Cet article a été rédigé pour  paru le 27 avril 2022 avec  

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