«Une banque est libre de décider si elle souhaite entrer en relation avec un client ou non», explique la CSSF. «Il s’agit ici d’une décision purement commerciale.» (Photo: Shutterstock)

«Une banque est libre de décider si elle souhaite entrer en relation avec un client ou non», explique la CSSF. «Il s’agit ici d’une décision purement commerciale.» (Photo: Shutterstock)

Les entreprises en constitution auraient de plus en plus de difficultés à ouvrir des comptes dans les banques luxembourgeoises, du fait des exigences de due diligence. Et si rien n’interdit d’ouvrir un compte dans une autre banque européenne, la réalité est plus contraignante.

«Il faudrait que les banques jouent le jeu de l’économie luxembourgeoise», déclare le député (CSV). «On ne peut pas prétendre être une des plus importantes places financières du monde et que des entreprises n’arrivent même pas à ouvrir un compte bancaire.»

Dans une question parlementaire du 27 janvier dernier puis lors d’une interpellation à la Chambre en mars, le député alertait sur les difficultés que rencontrent les entreprises en voie de constitution lorsque celles-ci veulent ouvrir un compte bancaire auprès d’une banque luxembourgeoise.

Difficile cependant de se rendre compte de l’importance du phénomène. La commission de surveillance du secteur financier (CSSF) reconnait bien avoir «connaissance de cette problématique, mais ne dispose pas de données sur l’étendue de la problématique».

De plus en plus difficile

L’association des banques et banquiers du Luxembourg (ABBL) précise d’ailleurs qu’«il n’existe aucune statistique à ce sujet». De son point de vue, aucune «tendance généralisée» ne se dégage et, si un tel phénomène existe, il reste «marginal»: «quelques cas isolés nous ont en effet été rapportés», relativise ainsi l’ABBL.

Toutefois, sur le terrain, le phénomène semble bien palpable: «Ouvrir un compte bancaire professionnel est plus difficile aujourd’hui et prend plus de temps à réaliser qu’il y a quelques années», assure le CEO de la Luxembourg house of financial technology (Lhoft), , qui a constaté une intensification des difficultés à partir de 2019. «Les banques sont plus prudentes», explique-t-il, et les procédures de due diligence n’en deviennent que plus lourdes. D’autant plus que «les banques luxembourgeoises sont assez strictes dans leur approche», constate-t-il.

Une pétition publique a par ailleurs été des députés sur le sujet. «Il n’est pas rare que l’ouverture d’un compte devienne un parcours du combattant pour une nouvelle structure», constate l’auteur de la pétition, qui réclame que «le législateur impose un service bancaire minimum», à l’image de la Belgique.

Un IBAN LU nécessaire

Mais pourquoi, alors, ne pas ouvrir un compte dans un autre pays de l’Union européenne? De fait, «la localisation d’un compte en banque d’une société n’est pas régie par la loi», rappelle le ministère des Finances dans la réponse, publiée le 2 mars dernier, à la question parlementaire de Laurent Mosar. «Il n’existe par ailleurs pas de base légale pour exiger un IBAN luxembourgeois uniquement.»

Pourtant, ouvrir un compte bancaire luxembourgeois reste bien de facto une condition, explique Nasir Zubairi: «Lorsque vous allez enregistrer votre entreprise, le notaire vous demandera d’avoir un IBAN avec le code LU. Par conséquent, tout le monde a besoin, afin d’enregistrer une entreprise ici, d’avoir un compte bancaire local», explique-t-il.

Il y a un manque de concurrence dans le secteur bancaire, et le fait que vous ayez besoin d’une banque luxembourgeoise ne fait qu’aggraver la situation.
Nasiz Zubairi

Nasiz ZubairiCEOLhoft

Dans le cadre de la réponse à la question parlementaire, la Chambre des notaires se garde bien de confirmer une telle obligation: «les notaires acceptent des certificats de blocage émis tant par des banques luxembourgeoises que par des banques étrangères», a-t-elle ainsi précisé au ministère des Finances. Mais ce dernier ajoute toutefois qu’«il a été rapporté que des difficultés peuvent surgir lorsque le notaire est amené à contrôler les pouvoirs de signature des signataires des certificats de blocage des banques étrangères, celles-ci pouvant se montrer réticentes à fournir leur liste de signatures ou à fournir un certificat de blocage conforme aux lois luxembourgeoises».

Cinq banques au choix

Ce qui dans les faits tend à privilégier le choix de banques luxembourgeoises et rend les choses «difficiles», selon Nasir Zubairi. Au Luxembourg, le choix est en effet «limité» à cinq banques quand «un pays comme l’Allemagne a environ 2.000 banques». «Il y a un manque de concurrence dans le secteur bancaire, et le fait que vous ayez besoin d’une banque luxembourgeoise ne fait qu’aggraver la situation, car cela signifie que vous ne pouvez vous adresser qu’à l’une des cinq banques», constate le CEO de la Lhoft.

Or, «la banque a tout de même une mission», considère Laurent Mosar, qui souhaiterait que les banques luxembourgeoises soient plus disposées à ouvrir de tels comptes. Toutefois, dans les faits, «une banque est libre de décider si elle souhaite entrer en relation avec un client ou non», explique la CSSF. «Il s’agit ici d’une décision purement commerciale de la banque.»

Ce que confirme le ministère des Finances: «Les modalités d’ouverture de comptes bancaires sont guidées par les politiques commerciales des établissements financiers et par leurs politiques internes de gestion des risques. Dans ce contexte, l’État ne peut ni restreindre la liberté contractuelle des institutions bancaires ni leur dicter quelle devrait être leur tolérance au risque.»

Régulation ou manque à gagner?

Laurent Mosar avance néanmoins une solution radicale: «Ne faudrait-il pas prévoir une obligation d’ouvrir un compte pour une société?», propose-t-il franchement. «Bien entendu, en respectant toutes les règlementations, notamment sur le blanchiment. Mais à partir du moment où une société remplit ses conditions, il faudrait tout de même qu’elle puisse ouvrir un compte…»

Je ne peux pas admettre que des entreprises n’arrivent plus à ouvrir un compte
Laurent Mosar

Laurent MosardéputéCSV

Car selon lui, si les banques sont réticentes, cela n’est pas dû à un problème de régulation, mais du fait d’un manque à gagner. «De plus en plus de comptes génèrent trop de frais par rapport à ce qu’ils rapportent», estime-t-il. «Dans ce cas, s’il le faut, les banques doivent facturer ces services aux entreprises – mais je ne peux pas admettre que des entreprises n’arrivent plus à ouvrir un compte.»

La remontée des taux d’intérêt décidée par la banque centrale européenne (BCE) devrait toutefois amoindrir ce problème. «Avec des taux d’intérêt de 0%, utilisez un compte de dépôt représentait un coût pour la banque. Peut-être désormais que la situation changera un peu…», juge Nasir Zubairi.

Trouver l’équilibre

Par ailleurs, du point de vue de la régulation, «les banques sont des entités indépendantes et si elles choisissent d’être prudentes, on ne peut rien y faire», admet le CEO de la Lhoft. D’autant que cette approche a ses avantages. «Il est important d’être rigoureux en termes de due diligence, car nous avons une réputation à protéger et nous voulons donc des entreprises solides et de qualité». Il s’agit toutefois de trouver un meilleur équilibre entre prudence et «stimuler les affaires», et ce grâce à des procédures simplifiées – «plus rapides, moins chères, plus efficaces», résume-t-il.

Surtout, il faut que la nécessité d’avoir un IBAN LU, comme le réclament les notaires, prenne fin. Ou à tout le moins que la concurrence entre banques luxembourgeoises soit plus forte. «C’est un réseau fermé ici…», constate Nasir Zubairi. Un exemple, certes «extrême», pourrait servir d’inspiration, selon lui: le Royaume-Uni. Un pays où enregistrer son entreprise «coûte 60 livres et prend 20 minutes» en ligne. Et où la profession de notaire n’existe plus.