Les responsables des ressources humaines d’entreprises luxembourgeoises évoquent le défi de la rétention des talents. (Visuel: Maison Moderne)

Les responsables des ressources humaines d’entreprises luxembourgeoises évoquent le défi de la rétention des talents. (Visuel: Maison Moderne)

Dans le cadre de la première édition des awards «Paperjam HR Leaders 2025», nous avons interrogé les responsables des ressources humaines d’entreprises luxembourgeoises sur les enjeux auxquels le secteur est confronté. Si la problématique du recrutement des talents arrive haut dans les priorités, celle de leur rétention se classe au même niveau. Pour réduire au maximum le turnover, l’attention est portée sur le parcours employé.

«Attirer les talents et les fidéliser sont les deux aspects d’un même défi.» En une formule, le DRH de CDCL Group, Julien Bossu, résume l’autre enjeu associé au recrutement dans les départements RH: comment retenir les collaborateurs?

«L’attractivité et la rétention des talents reposent sur les mêmes fondamentaux, principalement la raison d’être de l’entreprise. Un employeur qui permet à ses collaborateurs de donner du sens à leur travail et d’être fiers de leur appartenance crée naturellement un environnement propice à l’engagement durable», répond la dirigeante de Post, Isabelle Faber. «S’il est important d’intégrer de nouvelles visions, un souffle nouveau dans nos équipes, il est tout aussi essentiel de pérenniser les expertises et les savoir-faire, lui fait écho Louis de Looz-Corswarem, de BGL BNP Paribas. Dans un monde où le rapport au travail et à l’entreprise évolue et où la guerre des talents s’intensifie, c’est un vrai défi d’inscrire des carrières dans la durée. Mais je suis convaincu qu’en proposant des perspectives professionnelles qui permettent de se réinventer et un projet d’entreprise qui a du sens, qui permet de nourrir ses valeurs et de préserver son équilibre personnel, on peut écrire de belles et longues histoires.»

«Attention continue»

«Dans un marché où les opportunités sont nombreuses, fidéliser les talents nécessite une attention continue: opportunités de développement, reconnaissance, équilibre vie professionnelle/vie personnelle et culture d’entreprise forte. La conclusion est claire: retenir les talents est tout aussi complexe que de les attirer, car la fidélité ne se décrète pas, elle se construit jour après jour», explique, chez Lalux, Marc Parage.

«Personnellement, je pense que la rétention se joue essentiellement sur le volet de la satisfaction des besoins en flexibilité et en développement professionnel, détaille le deputy head of HR & people management-leadership coach de la Spuerkeess, Didier Lemeire. En tant qu’acteur important dans notre domaine d’activité, nous pouvons proposer un contenu de poste et une exposition à des enjeux stimulants. Les mesures de flexibilité et de développement continu apportent un autre élément intéressant.»

«Oui, la rétention des talents est tout aussi cruciale que leur attraction. Notamment les nouvelles générations, qui sont peut-être moins loyales, moins rattachées, recherchent en permanence de nouveaux défis», prévient le DRH de la Banque Raiffeisen, Laurent Derkum. «Pour retenir nos talents, nous jouons sur deux leviers: nous mettons en place des modèles de carrière clairs avec des perspectives de parcours professionnels intéressants; nous investissons dans le développement des compétences et expertises», illustre, à la Banque de Luxembourg, Nicole Dochen.

À la Société Générale Luxembourg, «nous avons renforcé notre dispositif d’accueil et d’intégration des nouveaux collaborateurs, indique Aurélie Ederle. Dans le parcours employé, nous avons un séminaire ‘Culture et Conduct’, qui permet de travailler sur les valeurs du groupe Société Générale et de créer une dynamique collective. Les entretiens carrière et mobilité sont également des éléments forts de notre dispositif d’accompagnement des collaborateurs.»

Accompagnement individuel

«Retenir les talents est tout aussi complexe que de les attirer, notamment dans un marché aussi compétitif que le nôtre, confirme le DRH du Luxembourg Stock Exchange, Christopher Frères. Cela exige une offre complète: carrière, formation et bien-être. Sans oublier d’apporter des réponses adaptées aux besoins des nouvelles générations.» Delphine Bath, de La Mondiale Europartner, image: «Attirer les talents, c’est essentiel; mais les retenir, c’est stratégique. Sinon, on ne fait que remplir un panier percé. L’attraction et la fidélisation des talents passe par la qualité du projet d’entreprise, de sa culture, de ses leaders, de son management, de l’attention portée au bien-être, au développement des compétences et aux perspectives d’évolution.»

«La rétention ne s’opère plus sur autant d’années que par le passé. Il faut accepter que, parfois, la rétention la plus optimale sera temporaire; il est donc tout aussi complexe, voire occasionnellement plus complexe, de retenir les talents [que de les recruter], situe la DRH de Lombard International Assurance, Edith Brunner. Toutes les actions entreprises ces dernières années montrent aujourd’hui un résultat avec un taux de turnover en continuelle baisse depuis deux ans.»

«Selon la récente enquête PwC 2024 Global Workforce Hopes & Fears, plus d’un quart (28%) des employés interrogés dans le monde déclarent qu’ils sont très ou extrêmement susceptibles de changer d’employeur au cours des 12 prochains mois, rappelle Delphine Berlemont, du cabinet d’audit. L’étude conclut qu’aujourd’hui, les employés donnent la priorité au développement des compétences et adoptent des technologies comme GenAI pour booster leur carrière. La satisfaction au travail à elle seule ne suffit pas; une plus grande attention est accordée au développement des compétences dans un contexte de changements technologiques en cours. Les employeurs doivent investir dans leur main-d’œuvre et leurs plateformes technologiques pour alléger la pression exercée sur les employés et retenir les meilleurs talents.» «Améliorer le processus d’intégration, les programmes de bien-être et les aménagements de travail flexibles», tels sont les ressorts, liste Matina Korma, actionnés chez BDO.

Partir, revenir…

Chez Pictet, «nous observons une tendance particulière, relève Lise Roda. Certains de nos talents nous quittent, mais finissent par revenir parce que nos valeurs leur manquent. Nous sommes ravis qu’ils acquièrent de l’expérience à l’externe et nous sommes très heureux de les voir revenir avec de nouvelles expertises.»

«Il est indispensable de tenir un discours cohérent et authentique dès les premières phases du recrutement. L’intégration et la formation sont cruciales. Les premières semaines et mois sont décisifs pour créer l’engagement», prévient, pour le compte d’A&O Shearman, Magali Maillot. «Lorsque les attentes sont bien gérées et alignées avec la réalité, il devient plus facile de fidéliser les talents, notamment grâce à des solutions d’évolution de carrière et un environnement de travail favorable», convient Julian Troian, chez ING Luxembourg. «Les attentes des collaborateurs évoluent constamment, ajoute, à l’ABBL, Myriam Sibenaler. Nous croyons que l’épanouissement personnel et les opportunités de développement adaptées aux aspirations de chacun sont essentiels pour fidéliser nos équipes.»

Pour quelques euros de plus

Chez Sodexo Luxembourg, Ann De Jonghe constate: «Nous avons vu notre ancienneté moyenne baisser. Certains salariés, pourtant épanouis, nous quittent pour quelques euros de plus ou ‘juste’ pour voir autre chose. Rien n’est jamais acquis et cette volatilité nous entraîne à être un maximum à l’écoute de nos collaborateurs.»

«Chez Delhaize, nous misons sur une culture d’entreprise fondée sur la transparence et l’authenticité, ce qui permet de réduire les désillusions et de renforcer la fidélité des collaborateurs», esquisse pour sa part Marine Cardé. «La rétention devient une priorité, insiste Liliana Alves, à La Provençale. Nous avons revu les parcours employé en renforçant l’intégration et les opportunités d’évolution.»

«Les salariés ne recherchent plus un emploi pour des raisons alimentaires, mais pour un épanouissement et un développement personnels, avec des attentes élevées en termes de flexibilité afin de concilier vie privée et vie professionnelle, remarque Léa Piot, chez Cocottes. L’environnement dans lequel le salarié évolue est primordial pour une relation à long terme, c’est pourquoi nous promouvons des évolutions internes tant verticales que transversales.»

Focus sur le management

Rayon boîte à outils, «il est nécessaire d’avoir une feuille de route pour retenir les talents, et cela passe par le manager, qui doit connaître ses équipes et les besoins de chacun, en créant un climat de confiance et de dialogue perpétuel», analyse Chantal Trausch, pour Rak Porcelaine Europe.

«Encore une fois, le leadership et la culture d’entreprise sont des éléments déterminants, pointe Fabrice Encelle, chez SLG. Les perspectives de carrière sont également essentielles pour permettre à nos employés de se projeter à moyen terme dans l’entreprise.» «Au Luxembourg, la concurrence avec la fonction publique, qui offre sécurité et avantages, complique encore drastiquement cette tâche», compare Christelle Noel, chez Dussmann.

Concurrence de l’État

«Nous essayons de nous attarder sur une personnalisation du parcours salarié en proposant davantage de formations adaptées aux besoins de chacun. Ma porte est toujours ouverte pour un temps d’échange pour comprendre les besoins», rapporte Tatiana Escure, de la Stëmm vun der Strooss.

«Nous sommes dans un secteur encadré par une convention collective… dont la conséquence est que la guerre des talents ne se fait pas avec nos ‘concurrents’, mais avec l’État ou les hôpitaux. Pour retenir les talents, la meilleure ‘arme’, c’est de développer les compétences de notre management, promouvoir notre stratégie et surtout la marque employeur», certifie, à la Croix-Rouge luxembourgeoise, Dorothée Schneider.

«Dans le secteur de la santé, il est certes plus difficile d’attirer les candidats que de les retenir, les conditions de la convention collective étant relativement avantageuses. Toutefois, des efforts constants portent sur le développement des compétences et la reconnaissance des collaborateurs», intervient Karine Rollot, de la Fondation Hôpitaux Robert Schuman. «Nous sommes effectivement confrontés à une concurrence nationale et internationale. Il est essentiel de garder une certaine cohérence dans la politique de rémunération et de progression des carrières au sein des hôpitaux luxembourgeois et veiller à rendre nos métiers accessibles pour conserver leur attractivité», demande, au CHL, Olivier Schmitt.

Ultime exemple: l’Université du Luxembourg. «L’Université, étant une organisation encore jeune, continue de structurer son parcours employé, renseigne Claire Audollent. Après avoir mis en place une classification des emplois ainsi que des parcours de formation, elle se concentre désormais sur l’évolution de carrière, en renforçant la mobilité interne, en formalisant des plans de développement et en procédant à une révision complète de ses processus d’onboarding et d’offboarding.»

Un parcours à soigner

«La ‘guerre des talents’ se joue également dans la rétention de ses collaborateurs, et elle est d’autant plus difficile que de nombreux professionnels recherchent aujourd’hui à diversifier davantage leurs expériences et

à multiplier les secteurs d’activité ou la localisation pour enrichir leur parcours, confirme la DRH de KPMG, Géraldine Hassler. Face à cette tendance, les employeurs doivent redoubler d’efforts pour s’adapter en offrant des opportunités de développement, une flexibilité accrue et des environnements stimulants afin de les fidéliser. Il est également essentiel de bien gérer le départ de ses employés et de maintenir un contact régulier avec eux.

Cela permet de les réintégrer potentiellement dans l’entreprise, en bénéficiant de l’expérience qu’ils ont acquise jusqu’ici.» La stratégie de KPMG dans le parcours employé s’articule autour de «plusieurs axes clés», explique Géraldine Hassler: «Mettre en place un processus d’intégration (‘[pré] onboarding’) pour que les nouveaux membres se sentent déjà intégrés à l’équipe #TeamBlue avant même leur arrivée officielle; favoriser une communication interne plus instantanée et multidimensionnelle, permettant une circulation fluide et interactive des informations; encourager l’apprentissage et l’adoption de nouvelles méthodes de travail, en mettant l’accent sur le développement d’un état d’esprit de développement (‘growth mindset’) et la promotion de la co-création; maintenir le lien avec les collaborateurs absents sur le long terme, en soignant leur retour après un congé maternité/parental, une maladie ou autre absence prolongée; digitaliser de nombreux processus pour renforcer l’autonomie des employés grâce à des solutions de self-service intuitives.»

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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