Muriel Bouchet:  «Le calcul actuel des frais de déplacement forfaitaires domicile-travail, qui viennent en déduction du revenu imposable, ne prend nullement en compte le mode de déplacement. » (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Muriel Bouchet:  «Le calcul actuel des frais de déplacement forfaitaires domicile-travail, qui viennent en déduction du revenu imposable, ne prend nullement en compte le mode de déplacement. » (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

En guise de conclusion à ce dossier dédié à la prochaine réforme fiscale, Paperjam a donné «carte blanche» à la Fondation Idea. Son directeur, Muriel Bouchet, met en lumière plusieurs mesures pourtant peu explorées lors des chantiers fiscaux.

Après une réforme fiscale d’envergure mise en œuvre en 2017, le gouvernement compte «remettre le couvert» au cours de l’actuelle législature, avec des accents quelque peu différents toutefois. Seraient particulièrement visées, cette fois, l’individualisation de l’imposition des personnes physiques, une fiscalité plus verte et plus durable, et des mesures visant à pallier le manque de logements (l’impôt foncier, notamment, a été évoqué).

Sans remettre en cause ces accents proclamés, Idea tient d’ores et déjà à attirer l’attention sur trois aspects souvent oubliés par le législateur – et par de nombreux autres acteurs économiques ou sociaux au demeurant – au cours des années récentes.

Stimuler les pensions complémentaires

Les pensions complémentaires, tout d’abord. Les régimes complémentaires de pension dans le cadre professionnel (le fameux «2e pilier») sont principalement financés par les entreprises pour le compte de leurs employés. Or, ces contributions font l’objet d’une taxation forfaitaire de 20%. Il s’agit là d’un taux peu stimulant pour les titulaires des plus bas revenus, car il est du même ordre de grandeur que les cotisations sociales et impôts grevant leurs salaires ordinaires – une situation tout à fait différente de celle d’un salarié dont les revenus courants subissent un taux marginal d’imposition de 40%, par exemple.

Un tel contraste revient dans les faits à dissuader l’accès des moins nantis aux régimes complémentaires de pension d’entreprises, qui leur permettraient pourtant de compléter utilement leur future pension légale. Afin de mettre fin à cette discrimination de fait, ne pourrait-on pas abaisser le taux forfaitaire en faveur des «bas revenus», en le ramenant à 5 ou 10%, par exemple?

Ne pourrait-on pas prévoir pour les ‘bas revenus’ un crédit d’impôt spécifique?
Muriel Bouchet

Muriel Bouchetdirecteur de la Fondation Idea

La pénalité de fait frappant les plus défavorisés est encore exacerbée par le traitement fiscal des pensions complémentaires personnelles (le «3e pilier», alimenté par une épargne individuelle). Les versements effectués par le contribuable dans le cadre de la prévoyance vieillesse sont déductibles du revenu imposable, ce qui signifie que le gain net du dispositif dépend du taux marginal d’imposition, qui croît lui-même avec le revenu.

Prenons l’exemple d’un couple dont le revenu imposable est de 30.000 euros par an: son taux marginal de taxation à l’impôt sur les personnes physiques étant de 9%, ce ménage ne sera guère incité à nouer un contrat d’assurance vieillesse (soumis en outre à un impôt à la sortie). Ne pourrait-on pas prévoir pour les «bas revenus» un crédit d’impôt spécifique, couvrant (schématiquement) la différence entre, d’une part, un taux de référence de 40%, disons, et, d’autre part, leur taux marginal effectif (ce crédit couvrirait 31% des versements pour «notre» ménage)?

Moins de boulimie foncière

Le problème du logement est également pressant au Lux­embourg, avec des prix immobiliers en hausse constante (+6,9% au 1er trimestre 2019 par rapport au trimestre correspondant de 2018, d’après Eurostat). Par ailleurs, selon le projet de budget 2019, les avantages fiscaux (ou «dépenses fiscales») liés au logement se monteraient au total à quelque 660 millions d’euros en 2019. Il con­viendrait pour le moins d’analyser leur pertinence au cas par cas, d’autant que leur efficacité en termes d’accessibilité au logement est loin d’être établie.

Nombre d’économistes affirment même que, face à une offre peu réactive («inélastique», en jargon économique), une telle subsidiation de la demande induit en définitive, totalement à rebours des objectifs visés, une hausse des prix, avec au final un avantage maigrelet, voire nul, pour les ménages, d’autant que les ressources finançant les dépenses fiscales doivent bien venir de quelque part (l’impôt, notamment).

Conviendrait-il également de prévoir un coup de pouce fiscal additionnel favorisant la cons­truction de logements sociaux ou d’infrastructures destinées aux seniors ou aux personnes à mobilité réduite?
Muriel Bouchet

Muriel Bouchetdirecteur de la Fondation Idea

À cette radiographie des dé­­penses fiscales devraient s’ajouter des prélèvements «micro-intel­ligents», visant à inciter les in­dividus à se montrer moins boulimiques en matière de surfaces occupées. Un tel effort s’impose d’autant plus qu’il est prévu (par le Statec notamment) que la taille moyenne des ménages continue à se réduire au cours des prochaines décennies – pour des raisons sociologiques et démographiques.

Idea a déjà proposé, dans ce contexte, que la restriction qui interdit au bénéficiaire d’un crédit d’impôt sur les actes notariés («Bëllegen Akt») de louer son logement, même partiellement, durant une période minimale de deux ans soit levée ou atténuée. Il conviendrait même de stimuler fiscalement les propriétaires occupants louant une partie de leur bien.

Conviendrait-il également de prévoir un coup de pouce fiscal additionnel favorisant la cons­truction de logements sociaux ou d’infrastructures destinées aux seniors ou aux personnes à mobilité réduite? En incitant en parallèle les ménages à prévoir une «poire pour la soif» leur permettant d’affronter dans de meilleures conditions les problèmes futurs liés au vieillissement et à la perte d’autonomie (des dépenses lourdes d’adaptation du logement, par exemple), et ce en complément de l’assurance dépendance (qui intervient déjà, mais dans certaines limites)?

Proposer un package «mobilité»

Enfin, la mobilité durable est un défi «qu’on ne présente plus» au Luxembourg, où 73% des salariés utilisent leur voiture pour se rendre au travail. Or, le calcul actuel des frais de déplacement forfaitaires domicile-travail, qui viennent en déduction du revenu imposable, ne prend nullement en compte le mode de déplacement. Ce calcul pourrait être modulé, notamment afin de favoriser le covoiturage des actifs au Lux­embourg – à l’instar, par exemple, de la situation prévalant en Belgique. Ce n’est pas du tout une anecdote: en 2016, les frais de déplacement forfaitaires ont occasionné pour l’État luxembourgeois un manque à gagner de 115 millions d’euros.

Le Luxem­bourg devrait aller plus loin, en accompagnant le dispositif des voitures de société d’un ‘package mobilité’ global ne laissant pas sur le carreau les employés recourant aux formes ‘(plus) douces’ de mobilité et aux transports en commun.
Muriel Bouchet

Muriel Bouchetdirecteur de la Fondation Idea

L’avantage en nature des voitures de société utilisées à des fins privées (dont bénéficient 8% des salariés au Luxembourg, voire 35% des cadres de direction) est, quant à lui, depuis la dernière réforme fiscale, modulé en fonction des émissions de CO2 et du type de carburant. Le Luxem­bourg devrait aller plus loin, en accompagnant le dispositif des voitures de société d’un «package mobilité» global ne laissant pas sur le carreau les employés recourant aux formes «(plus) douces» de mobilité et aux transports en commun.

L’octroi à un tarif mo­déré (ou même à titre gratuit) de la carte mPass avec participation de l’employeur permettait jusqu’à présent de pallier légèrement cette asymétrie, mais ce partiel «retour des choses» sera annihilé à partir de mars 2020 en raison de la gratuité des transports publics. Il conviendrait de remédier à ce déséquilibre.

Du pain sur la planche, assurément. Nous ne traitons pourtant ici que des «angles morts»…