Dans le cas d’investigations digitales, Stéphanie Lhomme insiste sur l’importance d’opérer de sorte que les preuves ne puissent pas être contestées. L’intégrité des données doit être préservée. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Dans le cas d’investigations digitales, Stéphanie Lhomme insiste sur l’importance d’opérer de sorte que les preuves ne puissent pas être contestées. L’intégrité des données doit être préservée. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Les investigations relatives à la criminalité financière couvrent souvent plusieurs juridictions et impliquent de nombreuses parties prenantes. De la collecte jusqu’à la présentation des éléments de preuve, Stéphanie Lhomme, head of forensic investigations & litigation support chez Arendt, évoque comment la technologie appuie les investigations complexes.

Chez Arendt, quel est votre positionnement sur les services d’investigation forensique?

Stéphanie Lhomme. – «Au Luxembourg, quand on parle de services forensiques, les gens pensent souvent à l’AML et à la remédiation KYC. Mais en réalité, ce n’est pas du forensique. Ces expertises sont limitées au Luxembourg et souvent confondues avec le réglementaire AML. Mon parcours et celui des membres de mon équipe cumulent des investigations sur des cas souvent internationaux et touchant à des sujets variés (corruption, fraude fiscale, scandales comptables ou boursiers, blanchiment…) pour lesquels de multiples expertises sont nécessaires (technologies, corporate intelligence…). Nous intervenons aussi sur des affaires internes, comme les soupçons de fraude, de corruption, de harcèlement moral ou physique. Avec la nouvelle loi sur le harcèlement et la directive sur les lanceurs d’alerte qui devra être transposée, les entreprises auront besoin de mesures d’investigation suffisantes.

N’est-ce pas justement unique de collaborer au sein d’un groupe qui compte un cabinet d’avocats? 

«Travailler au sein d’un groupe avec un cabinet d’avocats est un modèle courant aux États-Unis et de plus en plus au Royaume-Uni, mais c’est assez unique en Europe. Ce qui m’a attirée chez Arendt, c’est cette vision stratégique, en intégrant des expertises complémentaires au travail des avocats. Dans mon métier, je travaille souvent avec des avocats pour les aider dans la stratégie de défense, pour décider d’aller ou non en justice, et même pour évaluer si ça vaut le coup d’aller en arbitrage. Par ailleurs, mon équipe est logée au sein d’une entité juridique différente, ce qui nous permet aussi d’assister des avocats d’autres cabinets, et ce partout dans le monde.

Comment ce modèle bénéficie-t-il aux clients?

«Notre positionnement leur permet d’être accompagnés de A à Z, y compris pour les investigations complexes, comme celles initiées par les régulateurs. Les clients préfèrent souvent avoir un point de contact unique pour gérer ces situations difficiles, surtout quand il y a plusieurs autorités impliquées, comme une investigation qui commence en Alle­magne avec des ramifications au Luxembourg et une collaboration avec la Cellule de renseignement financier (CRF) et le Parquet financier français, dans lesquels il y a déjà plusieurs cabinets d’avocats nécessaires. Avoir les équipes d’investigation en interne dans l’un d’eux facilite la gestion de ces affaires.

Quand des millions de documents ou dizaines de térabytes doivent être revus, sans outil, cela devient une tâche insurmontable.
Stéphanie Lhomme

Stéphanie Lhommehead of forensic investigations & litigation supportArendt

Selon quelle structuration avez-vous composé votre équipe? 

«Mon équipe se compose de trois piliers d’expertise. Tout d’abord, nous avons un expert en forensic accounting, possédant un profil financier et capable de mener des investigations impliquant l’analyse de flux financiers et de comptabilité. Ensuite, nous avons un spécialiste en corporate intelligence, responsable de la recherche d’informations en exploitant des sources telles que les données en sources ouvertes, les renseignements humains et les médias sociaux. Enfin, notre troisième pilier concerne la technologie forensique. Dans ce domaine, nous utilisons des outils d’e-discovery (la recherche de données électroniques dans le cadre d’un litige ou d’une investigation, ndlr) pour gérer d’importantes quantités de données.

Outre la capacité des outils de forensic technologies à traiter des millions de documents, quels en sont les avantages?

«L’un des atouts majeurs de ces outils réside dans la traçabilité des documents et de leur revue et la possibilité que différentes parties, basées à différents endroits, y travaillent simultanément. De plus, quand des millions de documents ou dizaines de térabytes doivent être revus, sans outil, cela devient bien évidemment une tâche insurmontable. Ils permettent en effet de suivre et d’organiser de manière optimale l’ensemble des documents examinés. Ainsi, des avocats du monde entier peuvent accéder à une même plateforme et consulter les travaux de leurs collègues, partageant ainsi leurs analyses et commentaires.

Stéphanie Lhomme est head of forensic investigations & litigation support chez Arendt. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Stéphanie Lhomme est head of forensic investigations & litigation support chez Arendt. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

La conservation de l’intégrité de l’information est donc naturellement un enjeu que vous connaissez bien. 

«La problématique de l’intégrité de l’information concerne surtout les grandes investigations où nous devons chercher des données électroniques comme des archives, des e-mails ou des disques durs. Pour assurer l’intégrité des données, nous utilisons des outils et des méthodes permettant de réaliser des copies forensiques, en l’occurrence des copies «bit à bit» qui attestent de l’intégrité de l’information. Généralement, nous conservons une copie scellée et une autre pour examen. Ensuite, les preuves électroniques sont conservées dans une chain of custody agrémentée avec des documents spécifiques signés par les différentes parties impliquées, comme le responsable IT du client ou les avocats.

En cas de mauvaise documentation, les preuves sont alors sans valeur? 

«Il est essentiel d’expliquer aux clients l’importance de la chain of custody et des copies forensiques, car cela évite que les documents et éléments de preuve soient contestés ultérieurement. Par exemple, une entreprise qui n’a pas réalisé de copie forensique adéquate a dû faire face à un employé qui s’est retourné contre elle en niant avoir envoyé des e-mails frauduleux. La chain of custody et les copies forensiques sont donc cruciales pour garantir l’intégrité des informations et éviter les contestations ultérieures.

Les réseaux sociaux représentent une source d’informations précieuse pour nous, tout comme pour les criminels.
Stéphanie Lhomme

Stéphanie Lhommehead of forensic investigations & litigation supportArendt

En ce qui concerne la recherche et la collecte d’informations en sources ouvertes, êtes-vous assistés d’outils technologiques? 

«Je suis convaincue que, malgré les efforts déployés depuis deux décennies, il est improbable que l’on puisse un jour consolider toutes les sources publiques en un seul outil. Néanmoins, nous utilisons diverses bases de données existantes, y compris celles consolidées, telles que Thomson Reuters et LexisNexis, ainsi que d’autres bases locales spécifiques à certaines régions et langues, par exemple pour des dossiers au Moyen-Orient ou en Afrique. Notre travail serait plus compliqué sans ces bases de données.

Généralement, nous commençons par consulter ces sources, car elles regroupent un grand nombre d’informations. Cepen­dant, nous devons souvent compléter notre recherche avec des bases locales lorsque nous travaillons sur des juridictions moins courantes, parfois même en ayant recours à des personnes locales pour accéder à des bases de données inaccessibles depuis l’étranger, comme en Chine, par exemple.

Qu’en est-il des réseaux sociaux dans vos investigations? 

«Ils représentent une source d’informations précieuse pour nous, tout comme pour les criminels. Il existe des outils, tels que ceux permettant le sentiment analysis, qui nous aident à examiner rapidement et efficacement l’activité en ligne des personnes concernées ou ce qui est dit sur ces personnes d’intérêt pour nos travaux. Toutefois, il est crucial de distinguer les fausses informations des vraies, car il existe de nombreuses rumeurs et désinformations circulant sur internet et qui tournent en boucle. Par conséquent, notre travail consiste à déterminer la véracité des informations.

Les investigations peuvent rapidement devenir complexes. Comment vous appuyez-vous sur des outils de cartographie conceptuelle? 

«Nous utilisons des outils pour visualiser les liens entre les éléments d’une investigation complexe impliquant plusieurs juridictions, réseaux, de multiples individus et parties prenantes et établir les possibles connexions et réseaux. Ces outils nous aident à avoir une vision globale et à identifier les domaines où nous devons creuser davantage. Cela nous permet de comprendre les différentes sphères d’influence et de retracer, par exemple, le cheminement des fonds détournés à travers divers pays et utilisations. Ce type d’outil est précieux pour visualiser les connexions entre les individus et les organisations impliquées, c’est très utile pour les avocats ou pour un tribunal.»

La technologie, devenue indispensable pour les enquêtes

Aujourd’hui, les volumes des données (comptables, bancaires, e-mails…) dans un monde de big data rendent indispensable, dans certains cas, le recours à la technologie, comme l’illustre Stéphanie Lhomme: «Les investigations sur la fraude financière requièrent de plus en plus de collecter et d’analyser d’énormes volumes de données. Dans le cadre d’une fraude financière impliquant une banque, par exemple, le nombre de transactions à analyser peut s’élever à plusieurs millions si l’on considère que cette banque peut traiter des milliers de transactions par client et par jour, et que la fraude a pu perdurer pendant plusieurs années.»

Cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de  parue le 26 avril 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

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