Thierry Langreney est président fondateur de l’ONG Les ateliers du futur. Précédemment, il était dirigeant effectif de Crédit Agricole Assurances, en charge successivement de l’International et de Pacifica. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Thierry Langreney est président fondateur de l’ONG Les ateliers du futur. Précédemment, il était dirigeant effectif de Crédit Agricole Assurances, en charge successivement de l’International et de Pacifica. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

L’ancien assureur Thierry Langreney conseille le gouvernement français sur les risques climatiques. De passage à Luxembourg, il plaide pour développer des régimes d’assurance solidaires incluant un partenariat public-privé, à l’instar du système français d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Figure emblématique du domaine de l’assurance, Thierry Langreney était l’invité de marque de TNP Consultants Luxembourg, le jeudi 1er février, pour le dîner du Club CIO/COO/CDO. Cette invitation fait suite à sa nomination par le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, en mai 2023, dans le cadre de la mission «Assurances et Climat» – une mission qui vise à explorer les défis et les opportunités liés à l’assurabilité des risques climatiques. Thierry Langreney partage sa vision en exclusivité pour Paperjam.

Comment vous présenter?

Thierry Langreney. – «Je suis à présent président fondateur de l’ONG Les ateliers du futur. Précédemment, j’étais dirigeant effectif de Crédit Agricole Assurances, en charge successivement de l’International et de Pacifica. Parmi mes passions figurent aussi les enjeux climatiques, ce qui m’a valu d’être choisi par le gouvernement – avec deux autres rapporteurs – pour repenser le régime français des catastrophes naturelles, les mesures de prévention et les politiques d’atténuation possibles de la part des assureurs face au changement climatique.

Votre rapport est-il disponible?

«Nous avons rendu nos conclusions en décembre, mais le rapport n’est pas encore public. Le gouvernement réfléchit aux recommandations avant de les dévoiler, probablement dans les deux semaines à venir.

Quel est votre message clé?

«Nous sommes sur une pente d’inflation climatique à quatre dimensions: à l’inflation monétaire et des valeurs assurées s’ajoutent une inflation géographique (les endroits exposés sont de plus en plus peuplés) et, bien sûr, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes. Notre conviction est qu’il faut suivre cette pente et l’intégrer dans les politiques.

Relever les primes, en clair?

«Une recommandation du rapport est bien sûr d’équilibrer le régime des catastrophes naturelles en France. Le ministre de l’Économie a déjà pris des mesures en décembre, à effet 2025. Notre message est plus général: nous soulignons l’importance de sécuriser les citoyens et l’économie via l’assurance, dans un contexte où les catastrophes naturelles se font plus fréquentes et violentes. Nous préconisons la consolidation de ce système d’assurance solidaire par la prévention.

Le régime libéral craque face à des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes.
Thierry Langreney

Thierry Langreneyprésident fondateurLes ateliers du futur

Quels sont les différents régimes d’assurance climatique?

«Le régime libéral, où la prime est seulement fonction du risque du client, prédomine. Ce système a un effet fortement responsabilisant, mais le niveau des primes pour les profils les plus risqués peut les dissuader de s’assurer. Et si certains le font malgré tout, c’est peut-être parce qu’ils savent que la prime, même très élevée, est inférieure au risque qu’ils présentent. Ce phénomène d’antisélection affecte la rentabilité de l’assureur. Aux États-Unis, les compagnies ont déserté les régions les plus à risque, la Californie et la Floride, conduisant l’État à intervenir. Cela montre bien que le régime libéral craque face à des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et violentes. Ma conviction est que la meilleure solution est un système d’assurance solidaire, sur le mode du partenariat public-privé.

Quelle forme peut prendre un tel régime?

«Il mutualise les risques, faibles et élevés. Cela ne fonctionne que si l’assurance est obligatoire pour tout le monde, comme l’est le régime français d’indemnisation des catastrophes naturelles, unique en son genre. L’avantage de ce modèle est que cela permet des primes plus basses, donc accessibles, pour les profils les plus risqués. L’inconvénient est qu’il peut les déresponsabiliser. D’où le rôle central de la prévention.

Quel est le rôle de l’État dans ce modèle?

«L’État a un triple voire quadruple rôle à jouer: agir comme réassureur pour apporter les capacités financières lors d’événements extrêmes, établir l’obligation d’assurance et investir dans la prévention. Dans la mesure où il possède une vision d’ensemble du marché, il devrait également fixer les tarifs pour équilibrer les primes entre zones à risques variables.

Thierry Langreney: «Les assureurs doivent privilégier la satisfaction du client, offrant des garanties larges avec de faibles franchises. Cela favorise la loyauté et contribue à une croissance durable de l’entreprise.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Thierry Langreney: «Les assureurs doivent privilégier la satisfaction du client, offrant des garanties larges avec de faibles franchises. Cela favorise la loyauté et contribue à une croissance durable de l’entreprise.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Comment équilibrer l’intervention de l’État et le marché libre?

«La gestion des contrats et des sinistres doit rester le fait des assureurs, dont le métier est la relation client. L’État, cependant, est mieux placé pour gérer le tarif national et fournir du capital à faible coût pour couvrir les sinistres majeurs.

Comment les produits d’assurance doivent-ils évoluer face au changement climatique?

«Les assureurs doivent privilégier la satisfaction du client, offrant des garanties larges avec de faibles franchises. Cela favorise la loyauté et contribue à une croissance durable de l’entreprise.

C’est contre-intuitif…

«La fidélité des clients génère une croissance qui surpasse les économies réalisées par des garanties restrictives. Être compétitif ne signifie pas être le moins cher, mais offrir le meilleur en termes de garanties. Ma recommandation aux assureurs est donc: soyez généreux en garanties, faites payer le juste prix à vos clients et le mariage sera de longue durée.

En matière climatique, la meilleure des préventions, c’est de faire baisser les émissions.
Thierry Langreney

Thierry Langreneyprésident fondateurLes ateliers du futur

Comment maintenir l’abordabilité des assurances malgré l’augmentation des sinistres liés au climat?

«La prévention est essentielle. Elle se divise en mesures collectives (au niveau de l’État) et individuelles (au niveau des clients). Les assureurs doivent jouer un rôle actif dans la sensibilisation et l’incitation aux bons comportements, surtout dans les zones à risque.

Quel rôle pour les réassureurs dans la prévention?

«Malheureusement, les réassureurs jouent un rôle trop faible sur ce plan parce qu’ils interviennent en troisième ligne derrière les distributeurs, les courtiers et les compagnies. En matière climatique, la meilleure des préventions, c’est de faire baisser les émissions de CO2. Les assureurs et les réassureurs disposent d’énormes leviers pour atténuer le changement climatique, à commencer par leurs investissements. D’où l’importance de mettre en place des plans de transition holistiques, intégrant spécialement la stratégie d’investissement.

Vous évoquez les plans de transition, rendus obligatoires par des directives européennes: que représentent ces plans pour les entreprises en général et pour les assureurs en particulier?

«Les plans de transition représentent un changement majeur dans la vie des dirigeants, y compris des dirigeants d’assurances. Ces plans imposent aux entreprises de combiner performance économique et responsabilité environnementale, une évolution que beaucoup n’ont pas encore pleinement intégrée. Qui dit contraintes supplémentaires dit difficultés d’optimisation supplémentaires.

Les entreprises sont-elles prêtes à s’adapter à ces nouvelles exigences?

«Peu d’entreprises affichent une transparence et une cohérence dans leurs plans de transition. Notre ONG, Les ateliers du futur, établit un palmarès (pour l’instant limité à la France) des plans de transition des entreprises en anticipation de la directive CSRD. À ce jour, seules six entreprises, soit 15% du CAC40, sont à un niveau correct: les autres n’ont pas terminé l’exercice. Les assureurs, en tant que grands investisseurs, doivent être exemplaires et rendre compte de la qualité de leurs propres plans.

En dehors du climat, comment l’assurance intègre-t-elle d’autres risques émergents tels que les pandémies et la cybersécurité?

«La pandémie a révélé un manque de capacité de réponse assurantielle, tandis que l’assurance cyber reste sur des capacités privées, en repli mais toujours présentes. Autrement dit, pour l’instant, ni l’assurance pandémie, ni l’assurance cyber ne répondent à des logiques public-privé. Seul le climat fait intervenir cette dimension-là.»