Laura Gehlkopf, coordinatrice ESG à la CSSF, indique que le régulateur, au même titre que les entités surveillées, est amené à former ses agents aux enjeux de la finance durable. (Photo: Commission de surveillance du secteur financier)

Laura Gehlkopf, coordinatrice ESG à la CSSF, indique que le régulateur, au même titre que les entités surveillées, est amené à former ses agents aux enjeux de la finance durable. (Photo: Commission de surveillance du secteur financier)

Les professionnels de la finance doivent désormais intégrer les préférences et connaissances de leur clientèle en matière de durabilité. Laura Gehlkopf, coordinatrice ESG à la CSSF, explique comment cette règle contribuera à la protection des investisseurs et les enjeux de sa mise en application.

Depuis le 2 août dernier, les distributeurs de produits d’investissements et les assureurs ont l’obligation d’interroger leurs clients afin d’établir leur profil d’investissement en termes de finance durable. Avec cette règle qui s’inscrit dans le cadre de la directive Mifid II (Markets in Financial Instruments Directive) et l’IDD (Insurance Distribution Directive), les conseillers financiers doivent étendre le champ de la connaissance de la clientèle à la finance durable. Le but étant de déterminer les produits financiers les plus adaptés à chaque profil d’investisseur.

Quels produits d’investissement sont concernés par cette nouvelle obligation?

Laura Gehlkopf. – «La finance durable fait référence à des investissements qui ne visent pas seulement un rendement financier, mais qui tiennent également compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise, dits ESG. De nombreuses études menées au niveau européen mettent en avant un intérêt avéré des investisseurs pour ce type de produits. Ces investisseurs comprennent que l’investissement public ne suffira probablement pas pour financer les projets de transformation écologique ou sociale.

Les facteurs ESG peuvent donc être pris en compte dans tous les types de produit: fond d’investissement, obligations, etc. En fonction de sa stratégie, le produit pourra ou non être recommandé à des investisseurs qui ont exprimé des préférences en matière de durabilité.

S’agit-il d’un complément au processus KYC? N’est-on pas en train de créer un tout nouveau champ de la compliance financière avec l’ESG et la lutte contre le greenwashing?

«Il s’agit d’un complément aux processus de ‘know your client’ et ‘know your product’, en effet. Les préférences des investisseurs en matière de durabilité devront dorénavant également être prises en compte, selon le processus déjà établi par les règles Mifid, qui consiste à poser des questions sur la situation financière, les objectifs d’investissement, la tolérance au risque et l’expertise financière. Les institutions financières doivent connaître leurs clients et les produits qu’ils distribuent, et cette connaissance doit désormais s’étendre aux aspects ESG, qui vont au-delà de la seule compliance financière. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de ce nouveau cadre réglementaire qui vise à intégrer des aspects extra-financiers dans les réglementations et pratiques applicables à la finance.

Les préférences des investisseurs en matière de durabilité devront dorénavant également être prises en compte, selon le processus déjà établi par les règles Mifid, qui consiste à poser des questions sur la situation financière, les objectifs d’investissement, la tolérance au risque et l’expertise financière.
Laura Gehlkopf

Laura Gehlkopfcoordinatrice ESGCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Quels types de questions devront poser les conseillers financiers à leurs clients?

«Votre conseiller financier devra tenir compte de vos préférences en matière de durabilité. Il devra donc vous poser une série de questions assez précises pour comprendre et satisfaire vos attentes. Une telle discussion doit se préparer, car les réponses ne sont pas toujours évidentes: est-ce que, en tant qu’investisseur, j’ai des préférences quant aux aspects environnementaux ou aux aspects sociaux de mes investissements? Est-ce que je veux voir ces aspects pris en compte pour l’ensemble de mon portefeuille ou pour une portion seulement? Est-ce que je veux aussi tenir compte de l’impact négatif de mes investissements sur ces facteurs? Votre conseiller doit ensuite vous aider à formuler vos objectifs de manière plus précise pour établir un profil.

Comment sera documentée cette procédure?

«La plupart des institutions financières utilisent des questionnaires pour déterminer les profils d’investissement de leurs clients. Ces questionnaires ont dû être complétés avec de nouvelles questions pour couvrir plus en détail les objectifs des clients en matière de durabilité.

Du coup, comment la CSSF pourra-t-elle effectuer sa mission de supervision?

«La tâche de la CSSF de veiller à ce que les entités supervisées respectent la réglementation Mifid II quand elles fournissent du conseil en investissement ou quand elles gèrent les portefeuilles de leurs clients n’a pas changé. Comme auparavant, nous vérifierons avec les outils de supervision à notre disposition que les institutions financières agissent dans l’intérêt de leurs clients, notamment en tenant compte de leurs objectifs d’investissement.

La tâche de la CSSF de veiller à ce que les entités supervisées respectent la réglementation Mifid II quand elles fournissent du conseil en investissement ou quand elles gèrent les portefeuilles de leurs clients n’a pas changé.
Laura Gehlkopf

Laura Gehlkopfcoordinatrice ESGCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Quelles formes prendront les contrôles? De nouveaux outils de supervision devront-ils être développés?

«Pour ce qui est des moyens et outils de surveillance, ceux-ci existent déjà et sont utilisés depuis toujours par la CSSF dans les domaines qui tombent sous sa surveillance, qu’il s’agisse de surveillance off-site ou on-site. Les aspects ESG ont dû être intégrés dans les moyens et outils de surveillance existants et nous les affinerons au fur et à mesure des évolutions réglementaires et des évolutions du marché.

À ce stade, nous attendons des entités surveillées une mise en conformité avec leurs obligations réglementaires, certes, mais aussi un réel engagement pour participer à l’augmentation du niveau de compréhension par les investisseurs du cadre applicable à la finance durable. Le titre de conseiller financier doit prendre ici tout son sens.

Depuis juin, l’industrie financière a mis sur pied l’ pour faciliter les échanges de données ESG entre les acteurs du marché. Y aura-t-il aussi un contrôle au niveau des émetteurs de valeurs mobilières, s’ils publient correctement leurs ESG templates (EET)?

«Le template EET n’est qu’un standard proposé par l’industrie et n’est pas un modèle obligatoire. Les modifications apportées à la réglementation Mifid en matière de durabilité n’ont pas introduit de modèle prescriptif dans ce contexte. Il est de la responsabilité des producteurs comme des distributeurs de s’assurer que toutes les informations soient fournies, et que celles-ci soient correctes et pertinentes.

Le titre de conseiller financier doit prendre ici tout son sens.
Laura Gehlkopf

Laura Gehlkopfcoordinatrice ESGCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Les gestionnaires d’actifs peinent régulièrement face à la qualité des données rapportées par les entreprises incluses en portefeuille. Comment la CSSF va-t-elle surmonter le défi de la donnée ESG dans ses missions de contrôle?

«La problématique de la disponibilité et la qualité des données représentent un réel enjeu, nous en sommes conscients. Nous attendons des institutions financières qu’elles mettent en place des approches pragmatiques qui permettent d’obtenir, de contrôler et d’utiliser les données disponibles et de pouvoir adapter leurs processus en fonction des évolutions dans ce domaine.

Quel type d’expertise sera nécessaire pour le régulateur face à de telles évolutions réglementaires? Les entités surveillées recrutent de nouveaux profils en lien avec la finance durable. Qu’en est-il du côté de la CSSF?

«La CSSF est confrontée aux mêmes défis que les entités qu’elle supervise et met aussi l’accent sur la mise à niveau continue des connaissances de ses agents, avec notamment le développement d’un programme de formations sur la thématique ESG, dont un module obligatoire sur la finance durable dans le programme des cours du stage d’admission pour la carrière de fonctionnaire, ainsi que des formations certifiantes pour nos experts en interne qui sont amenés à travailler sur le sujet au quotidien.

La CSSF est confrontée aux mêmes défis que les entités qu’elle supervise et met aussi l’accent sur la mise à niveau continue des connaissances de ses agents.
Laura Gehlkopf

Laura Gehlkopfcoordinatrice ESGCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Si l’intérêt de la règle vise la protection des investisseurs avec une offre adaptée aussi bien à leurs souhaits qu’à leurs connaissances, quel rôle peut jouer l’éducation financière? Est-ce une mission pour la CSSF?

«La finance durable est une matière relativement complexe et ses objectifs ne pourront être pleinement atteints que si les investisseurs en comprennent suffisamment les différents concepts. Cela est indispensable pour assurer un degré élevé de confiance dans le cadre réglementaire qui est en train de se mettre en place. Rappelons par ailleurs que, comme pour tout autre investissement, il convient de n’investir que dans des produits que vous comprenez. Un effort important en termes d’éducation financière est donc nécessaire. En matière de durabilité et de finance durable, le niveau de connaissance global de toutes les parties prenantes du système financier doit s’élever.

La CSSF participe activement aux efforts en matière d’éducation financière, notamment à travers son site web , mais les professionnels du secteur financier auront aussi un rôle prépondérant à jouer, en fournissant de l’information à leurs clients et clients potentiels, entre autres, dans le cadre de la définition de leurs profils d’investissement. Ainsi, la question de la finance durable nécessitera encore d’intenses efforts en matière de pédagogie et d’éducation financière de la part de toutes les parties prenantes, mais également une curiosité et un questionnement du côté des investisseurs.»