«Three Studies for Portrait of George Dyer» (1963) : huile sur toile en trois parties de chacune 35,5 x 30,5 cm. (Photo: Tom Lucas/MNAHA)

«Three Studies for Portrait of George Dyer» (1963) : huile sur toile en trois parties de chacune 35,5 x 30,5 cm. (Photo: Tom Lucas/MNAHA)

Cela faisait longtemps qu’un projet de ce type était en discussion, mais sans que personne ne parvienne à le mener à bien. Artex Global Markets l’a fait: titriser des œuvres d’art pour les proposer sur un marché régulé, comme un produit financier standard.

Artex Global Markets a été créée il y a quatre ans par le Prince Wenceslas de Liechtenstein et Yassir Benjelloun-Touimi, deux personnalités expérimentées en investissements institutionnels et bancaires, et férues d’art. Cette société a pour objectif de faciliter l’acquisition d’œuvres d’art, allant de la Renaissance à l’art contemporain, de manière sécurisée et fluide, tout en étant régulée et supervisée par l’autorité des marchés financiers du Liechtenstein, dans le cadre législatif européen Mifid II. Artex Global Markets agit donc comme un MTF (Multilateral Trading Facility), une place d’échange régulée, un facilitateur entre le propriétaire initial de l’œuvre et les futurs actionnaires.

«Pour chaque œuvre d’art, nous créons une société anonyme qui détient l’œuvre et qui est domiciliée au Luxembourg, explique Alain Mestat, directeur du marketing et de la communication pour Artex Global Markets. Les œuvres deviennent alors un produit financier dont la valeur change en fonction du cours du marché. Ce qui est exceptionnel est que ce produit devient un produit financier ‘classique’, car il répond aux mêmes règles de marché que les autres produits financiers.» Ainsi, en achetant des actions de ces sociétés, les actionnaires acquièrent en quelque sorte une fraction de l’œuvre et ont la possibilité de diversifier leur portefeuille. Une forme de démocratisation de la propriété des œuvres d’art de haut niveau aussi, puisque le ticket d’entrée se situe à 100 dollars.

Une supervision de haut vol

Pour autant, le parcours pour arriver à ce résultat n’a pas été facile et deux ans de travail ont été nécessaires pour obtenir une licence régulée. Les œuvres proposées par Artex Global Markets répondent en effet à une due diligence de haut niveau. «Nous nous sommes entourés d’experts qui ont reproduit les schémas de vérification qui sont mis en œuvre dans les grandes maisons de vente que sont Christie’s ou Sotheby’s, précise Alain Mestat. Par ailleurs, nous répondons aussi aux règlements en vigueur sur le marché financier au Luxembourg et, enfin, nous avons un comité qui revérifie que toutes les règles sont correctement appliquées.» Plusieurs couches de réglementations et de vérifications donc, pour une transparence et une authenticité qui se veulent irréprochables. Par la suite, les ordres d’achat sont émis par des banques reliées à Artex et qui réalisent le travail de clearing.

Une œuvre, une société

Les œuvres visées par Artex Global Markets sont de grande valeur, entre 30 et 50 millions de dollars. La première à être entrée sur ce marché est une œuvre de Francis Bacon, un triptyque intitulé «Three Studies for Portrait of George Dyer», datant de 1963. Elle représente George Dyer, qui a été l’amant de Francis Bacon. Ce tableau a été acheté dès 1964 par l’écrivain Roald Dahl, qui était par ailleurs un fervent collectionneur d’art contemporain.

Il a par la suite été racheté en 2017 par un collectionneur privé chez Christie’s pour 52 millions de dollars. Valorisé à 55 millions de dollars, sa commercialisation a été lancée par Artex il y a environ un an, avec l’émission de 550.000 actions d’une valeur nominale de 100 dollars. Pour chaque œuvre d’art, une société de titrisation luxembourgeoise est créée. Pour cette œuvre de Bacon, il s’agit d’Art Share 002 SA, dirigée par Ursula Schmidt, Édouard de Burlet et Ronan Le Bouc. «Art Share 001 est réservée pour une œuvre de très grande importance sur laquelle nous travaillons», assure Alain Mestat. Art Share 003 a été créée pour une œuvre de Gerhard Richter, Abstraktes Bild (809-4), datée de 1994. Son dernier propriétaire l’a achetée en mai 2022 chez Christie’s pour 36,5 millions de dollars.

Des partenariats avec des musées

«Les œuvres que nous commercialisons sont généralement détenues par de grandes fortunes. Elles sont présentées, au mieux, sur le mur d’un bureau ou d’une maison, accessibles à un nombre restreint de personnes privilégiées. Mais, le plus souvent, elles sont stockées dans des ports francs et ne sont donc pas visibles du public», explique Fabian Svarnas, CEO d’Artex Services, société qui offre tous les services liés à la gestion des œuvres listées par Artex Global Markets. «Or, notre volonté est la démocratisation au niveau de l’appartenance de l’œuvre d’art, mais aussi de pouvoir bénéficier d’une tout autre visibilité de l’œuvre d’art. Le but d’Artex est vraiment de souligner cette démocratisation d’appartenance et d’exposure, comme on dit en anglais. C’est pourquoi nous initions des partenariats avec des musées qui acceptent de présenter ces œuvres.»

Pour l’œuvre de Bacon, Artex Services s’est rapproché du Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA). Un premier contact informel a été initié à la Tefaf, en 2023, avec Michel Polfer, directeur du Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art, et les discussions ont repris en mai 2024, lorsqu’Artex a eu une œuvre concrète à proposer. Un partenariat public-privé a alors pu se mettre en place. «Ce prêt de deux ans est l’occasion pour le musée d’avoir accès à des œuvres de grands noms et ainsi d’attirer un public à l’échelle de la Grande Région, souligne Michel Polfer. C’est aussi l’occasion de présenter des œuvres qui autrement ne seraient pas accessibles au grand public. Grâce à la due diligence qui est réalisée au moment de la commercialisation, nous avons une garantie sur l’authenticité de l’œuvre, ce qui est une sécurité pour notre institution muséale.

D’autre part, cela ne coûte pas un centime au musée, puisque tout est pris en charge par Artex Services, que ce soit pour le transport, la restauration ou l’assurance. Un point important lorsqu’on sait par exemple qu’une police d’assurance représente 3/1.000 de la valeur estimée de l’œuvre, soit 330.000 euros pour la période de ce prêt!» Pour financer ces services, Artex Services prélève une commission au moment du listing de l’œuvre qui servira sur plusieurs années. «Nous pouvons ainsi couvrir tous les frais qui sont liés à l’œuvre», précise Fabian Svarnas. En contrepartie de ce prêt, le musée s’engage à assurer un travail pédagogique et de mise en valeur autour de l’œuvre.

Une première œuvre… qui n’est pas la dernière

L’œuvre de Francis Bacon est la première œuvre listée sur le MTF, depuis le 8 mars 2024. Mais elle est annoncée comme étant la première d’une série bien plus longue. «Notre ambition est d’introduire une nouvelle œuvre par mois, dévoile Alain Mestat. Nous représentons une troisième alternative pour les collectionneurs qui souhaitent vendre leurs œuvres d’art, en plus des ventes de gré à gré et des maisons de vente. Nous visons à terme 50 à 100 tableaux, uniquement de grands noms. Nos clients vendeurs peuvent être des collectionneurs privés, mais aussi des musées publics dont les collections ne sont pas inaliénables, ce qui est le cas par exemple au Royaume-Uni ou dans d’autres pays, un musée privé ou une fondation… Ils pourront éventuellement garder le tableau en exposition s’ils le souhaitent.»

100 dollars

C’est le prix que coûtait une action pour accéder à la propriété de l’œuvre de Francis Bacon au moment de sa commercialisation par Artex Global Markets. Au total, 550.000 actions ont été émises et vendues en environ un mois.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 23 octobre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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