Le professeur Roman Kräussl s’est intéressé à l’art comme investissement. (Photo: Edouard Olszewski)

Le professeur Roman Kräussl s’est intéressé à l’art comme investissement. (Photo: Edouard Olszewski)

Professeur à la Luxembourg School of Finance à l’Université du Luxembourg, Roman Kräussl est spécialisé en investissements alternatifs. Il s’est intéressé de près aux investissements de passion, notamment en art.

L’art est reconnu comme étant un investissement dit alternatif. Pourquoi?

Roman Kräussl. – «Le milieu de la finance appelle alternatif tout ce qui n’est pas action et obligation. Au moment de la crise de 2008, alors que tout le secteur financier était secoué, l’art a eu un comportement à part. Ceci s’explique par le fait qu’il répond à des cycles différents. Nous avons pu observer que, quand tous les marchés s’effondrent, le prix de l’art varie aussi, mais de façon moins forte. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut placer tout son argent dans l’art, mais cela peut rester un placement intéressant, complémentaire.

L’art n’est pour autant pas un placement comme les autres…

«Effectivement, l’art n’est pas qu’un investissement financier et, si j’avais un conseil à donner, ce serait celui d’acheter uniquement ce que l’on aime, sans nécessairement suivre au pied de la lettre les recommandations d’un conseiller en art ou les données chiffrées. Il faut toutefois veiller à ne pas se faire avoir, ce qui nécessite de bien se renseigner auparavant. Il faut regarder où l’œuvre se situe dans sa cote, par rapport à l’œuvre de l’artiste, mais aussi par rapport au reste du marché.

Pourquoi l’art ne se comporte pas comme les autres marchés?

«Parce qu’il est moins corrélé aux autres flux financiers et qu’il est moins liquide. On ne connaît véritablement le prix d’une œuvre qu’une fois la vente finalisée. Il n’y a actuellement pas encore de réel modèle d’évaluation.

Je construis des modèles qui permettent de dire si les prix dévient trop des fondamentaux, ce qui peut être un peu piégeux dans le marché de l’art.
Roman Kräussl

Roman Kräusslprofesseur à la Luxembourg School of FinanceUniversité du Luxembourg

Mais c’est un sujet sur lequel vous travaillez activement.

«Il y a 15 ans, je me suis lancé dans la constitution de la plus grande base de données qui existe à ce jour et qui rassemble tous les prix de vente des œuvres depuis 1750. J’ai appliqué les systèmes d’analyses de la finance à ces données. À travers cela, je peux mesurer la valeur de l’art, non seulement à travers le montant de la transaction, mais aussi en tenant compte de qui le vend, qui l’achète…

Je construis des modèles qui permettent de dire si les prix dévient trop des fondamentaux, ce qui peut être un peu piégeux dans le marché de l’art, car comment définir un fondamental? Mais ce que j’essaie de faire est de voir si les prix diffèrent fortement des ventes précédentes. Comme nous avons déjà été confrontés à des crises dans le marché de l’art précédemment, cette analyse permet de voir où nous nous situons actuellement.

Sommes-nous actuellement face à une bulle spéculative?

«On ne peut pas le dire, puisqu’une bulle n’est vraiment identifiable qu’une fois qu’elle a éclaté. Et de quel marché de l’art parle-t-on? Il en existe plusieurs. Mais il est vrai qu’actuellement l’art contemporain est cher. Je dirais plutôt que nous sommes dans une ambiance 'mania', de surexcitation. Je ne serais pas surpris qu’il y ait une correction de tendance. Mais même si nous sommes dans la zone rouge, il n’y a pas de raison de ne pas acheter d’art en ce moment.

Est-ce que l’art peut quand même présenter un retour sur investissement intéressant?

«Les personnes qui aiment l’art et qui investissent dans ce domaine ne cherchent pas en premier lieu un retour financier. Mais si vous vous y connaissez un peu en art et que vous maîtrisez ce marché qui reste opaque, ce peut être très satisfaisant d’y investir. Et c’est quand même plus agréable que de vérifier tous les matins les cotations sur Bloomberg, non?

J’estime qu’il y a cinq motivations non financières qui peuvent inciter à acheter de l’art.
Roman Kräussl

Roman Kräusslprofesseur à la Luxembourg School of FinanceUniversité du Luxembourg

Quels sont les autres retours que l’on peut attendre d’un achat d’œuvre d’art, en dehors d’un bon placement financier?

«J’estime qu’il y a cinq motivations non financières qui peuvent inciter à acheter de l’art. Tout d’abord, considérer l’art pour son retour esthétique. Une œuvre peut procurer un vrai sentiment de bien-être, apporter du plaisir à la contempler. Ce n’est pas négligeable.

Ensuite, il y a la passion que l’on met à constituer une collection, à créer un ensemble, l’excitation de trouver la pièce manquante. Créer une collection donne un sentiment d’aboutissement, de plénitude.  Le statut de collectionneur est aussi à considérer. Avoir des œuvres d’art montre aux autres que vous avez des moyens financiers importants, et offre une échelle de comparaison aux autres, ce qui est une attitude très courante.

L’art participe aussi à un certain prestige, une notion souvent sous-estimée. Lorsque vous arrivez à un certain niveau de richesse, vous devez posséder des œuvres d’art. Lorsque les ultra-riches internationaux discutent entre eux, ils ne peuvent pas parler de politique ni d’argent. Ils ne peuvent pas tout le temps parler de vin. Alors, ils échangent sur l’art, même si tout le monde achète la même chose. Si vous êtes un ultra-riche, tout comme vous devez avoir un appartement à New York, un autre à Londres et une villa sur la Côte d’Azur, vous devez avoir un Basquiat, un Richter et un Warhol.

Faire le bien, ce n’est pas qu’acheter. Il s’agit de soutien: aider de jeunes artistes, les promouvoir, les aider à réaliser leur première exposition, les accompagner dans le développement de leur carrière.
Roman Kräussl

Roman Kräusslprofesseur à la Luxembourg School of FinanceUniversité du Luxembourg

C’est encore mieux si vous avez un Picasso de la période bleue. Sinon, vous ne faites pas partie du cercle. Mais le prestige en art, c’est aussi d’être invité à la pré-preview, là où il n’y a qu’une centaine de personnes triées sur le volet. Et ça, l’argent ne peut pas l’acheter. C’est une preuve de reconnaissance d’un cercle fermé.

Enfin, le dernier point est de faire le bien. Chacun de nous a envie de vivre dans un environnement où l’on peut trouver une galerie, un bon café et une population diversifiée qui compte des artistes, des intellectuels… Faire le bien, ce n’est pas qu’acheter. Il s’agit de soutien: aider de jeunes artistes, les promouvoir, les aider à réaliser leur première exposition, les accompagner dans le développement de leur carrière.

Cela pourra éventuellement être rentable, parce que vous aurez reçu un avantage fiscal par exemple, ou une mise en lumière positive dans les médias, mais vous en tirerez surtout une satisfaction humaine. Vous les aurez aidés à développer leur talent et vous aurez contribué au développement de la société. Vous pouvez être riche, mais si vous vous sentez vide et inutile, à quoi bon… Il y a aussi un côté psychologique à cela. Vous ne pouvez pas juste jouer au golf et au tennis toute la journée. C’est aussi important de se sentir impliqué dans la société.

Il ne peut pas s’agir que d’argent. On ne peut pas avoir qu’une position de consommateur. L’art participe à un accomplissement personnel. Si vous ne considérez l’achat en art que comme un pur investissement, ne le faites pas, jamais. Achetez ce que vous aimez, profitez et prenez part à ce monde.»