Les émissions sociales explosent: ce segment a triplé en un an, enregistrant la plus forte croissance au sein de l’univers obligataire durable en 2020. Parents pauvres des investissements ESG (pour environnemental, social et de gouvernance), elles représentent désormais plus du tiers de l’univers des obligations ESG, contre 6% à 8% entre 2017 et 2019. Une dynamique qui s’est poursuivie en 2021: fin juin, 166 milliards d’euros avaient été émis sur un marché qui pèse actuellement globalement 280 milliards. Une dynamique liée à la pandémie et à l’activité des émetteurs souverains ou quasi souverains nationaux et supranationaux. Union européenne en tête. Et dont l’émission du 20 octobre dernier de 17 milliards d’euros d’obligations sociales dans le cadre du programme Sure (Support to mitigate unemployment risks in an emergency) pour aider les États membres à financer des programmes de soutien à l’emploi dans le contexte de la pandémie peut être vue comme le tournant du marché. À ce jour, 75 milliards d’émissions ont été levées par Bruxelles pour financer ce programme.
Un marché encore dominé par les émetteurs souverains
«Les émetteurs souverains ou quasi souverains dominent le marché, ce qui s’explique aisément par la nature des projets financés, le plus souvent dans les domaines de la santé, de l’emploi ou de la lutte contre la pauvreté. Quelle que soit leur taille — de l’Union européenne à la commune —, ce sont eux qui ont dans leurs mandats le financement d’énormément de projets à vocation sociale touchant le climat, l’éducation, l’inclusion, la politique de la ville. Autant d’éléments qui entrent dans les catégories soutenues par les Social Bond Principles (SBP) tels qu’édictés par l’ICMA (International Capital Market Association) et qui servent de lignes directrices dans la sélection des émissions faites par le fonds», détaille Isabelle Vic-Philippe.
Mais d’autres acteurs y sont également actifs. Ainsi, les banques et, à un moindre degré, les assurances trouvent par ce biais un moyen «facile» pour refinancer, par exemple, des portefeuilles de prêts destinés à l’accès aux logements sociaux.
Les obligations sociales ont par contre encore du mal à percer chez les entreprises non financières. Pour différentes raisons. D’abord parce qu’il est plus difficile pour une entreprise de définir des objectifs sociaux quantifiables en dehors du thème de la diversité. «C’est plus spécifique et un peu compliqué pour eux dans la mesure où, en règle générale, il faut qu’il y ait un lien avec leur activité et qu’en interne, il y a souvent des réticences à faire des projets business à destination de populations défavorisées. Soit par peur de cannibaliser le business model, soit parce que le sujet est assimilé à de la charité», détaille la gérante, pour qui des exemples existent. Et de mettre en avant l’exemple d’une société de leasing en Grande-Bretagne qui a développé une offre à destination des personnes handicapées et qui fournit un véhicule et un service adapté à chaque personne à un prix en lien avec l’allocation de handicap qui est touchée par les personnes.
Vers un développement similaire à celui des obligations vertes
C’est dans ce contexte qu’Amundi a lancé son fonds Amundi Social Bonds. Le gestionnaire entend se positionner sur un marché qu’il souhaite soutenir et dont il estime qu’il «est appelé à suivre un développement similaire à celui des obligations vertes».
La politique d’investissement est transparente: «Le fonds investit majoritairement – à hauteur minimale de 75% – dans des obligations sociales conformes aux principes SBP et dont les fonds sont affectés à des projets eux-mêmes éligibles dans le cadre de ces SBP.» Étant entendu que, outre le risque crédit «classique», les pratiques globales des émetteurs dans leurs pratiques ESG seront scrutées et pourront, le cas échéant, devenir un critère d’exclusion. «Nous sommes très attentifs à la crédibilité de l’émetteur, à la qualité des projets financés, et nous exigeons une véritable transparence sur l’utilisation des fonds du moment où ils sont levés jusqu’au moment où ils sont dépensés, ainsi qu’un reporting détaillé a posteriori.» Pourront également être détenus en portefeuille des instruments innovants tels que des obligations liées à un objectif durable (Sustainability-linked Bonds) à vocation sociale.
Dans Amundi Social Bonds, il n’y a pas de thèmes sociaux prédéfinis. L’idée est vraiment de centrer l’approche sur les SBP et d’avoir vraiment une vision large et inclusive de toute cette problématique.
Une stratégie «innovante» pour Isabelle Vic-Philippe, «qui permet de combiner performance sociale et performance financière en investissant sur un produit obligataire classique. En règle générale, la plupart des fonds s’attachent à la dimension sociale des entreprises dans lesquelles ils investissent. Ce sont surtout des fonds actions qui se basent sur des indices ou des notations ESG internes. Une approche suivie par le seul fonds qui, à ma connaissance, a cette dimension sociale sur le fixed income et qui se concentre sur les thèmes sociaux auxquels il est sensible. Dans Amundi Social Bonds, il n’y a pas de thèmes sociaux prédéfinis. L’idée est vraiment de centrer l’approche sur les SBP et d’avoir vraiment une vision large et inclusive de toute cette problématique sociale qui peut exister à la fois en termes de catégories de projets, en termes de population visée et en termes de géographie.»
L’innovation, la gérante la voit également dans l’élargissement du champ des possibles. «L’investisseur soucieux de son impact social est cantonné à des fonds actions de proximité focalisés sur de petites entreprises et finalement assez proche du private equity. Un univers finalement assez limité. Pour le coup, j’ai accès à l’univers obligataire global. En matière de géographie, même si l’Europe domine en nombre d’émetteurs, le marché est inévitablement appelé à se développer.»
Pour les investisseurs et les gérants, les obligations sociales sont un bon moyen pour étoffer et diversifier leurs portefeuilles ESG, estime la gestionnaire, qui voit une demande de la part des investisseurs particuliers pour des solutions innovantes, porteuses de répercussions positives sur la société dans son ensemble. «L’idée, c’est que tout un chacun puisse investir dans des projets sociaux sans avoir besoin de prendre un risque action, ni de sacrifier le rendement.» Un rendement sécurisé dans la mesure où les émetteurs supranationaux dominent le marché. «Pour l’instant, on est aux alentours de 0,20%.» Le risque est, lui, attaché à l’émetteur. «C’est un risque classique.»
Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.