À cause de la Fatca, certains Américains accidentels rencontrent des difficultés pour ouvrir un compte dans l’Union européenne. (Photo: Shutterstock)

À cause de la Fatca, certains Américains accidentels rencontrent des difficultés pour ouvrir un compte dans l’Union européenne. (Photo: Shutterstock)

L’Association des Américains accidentels demande à l’ACD l’arrêt du transfert de données financières vers les États-Unis, comme prévu par l’accord Fatca. Selon elle, il ne respecte pas le RGPD et empêche même, indirectement, certains citoyens européens nés aux États-Unis d’ouvrir un compte bancaire.

Après plusieurs actions en France – de l’introduction d’un recours devant le Conseil d’État à des campagnes de sensibilisation au Sénat ou au Parlement européen –, l’Association des Américains accidentels (AAA) s’attaque maintenant au Luxembourg. Elle a introduit, le 22 décembre 2020, une demande à l’Administration des contributions directes (ACD), via le cabinet d’avocats NautaDutilh, pour lui demander l’arrêt du transfert de données vers les États-Unis prévu par l’accord Fatca. En parallèle, le même cabinet a déposé plainte en Belgique, au nom de l’Accidental Americans Association of Belgium (AAAB), auprès de l’Autorité de protection des données, et un recours préalable a été formé devant les autorités fiscales.

Un flou sur le délai des dérogations

De quel transfert de données parle-t-on? «La première chose à connaître est le principe de fiscalité fondée sur la nationalité. Toute personne née aux États-Unis est tenue d’y déclarer ses revenus chaque année», explique Fabien Lehagre, président de l’association française. Des accords fiscaux sont ensuite prévus entre pays pour éviter la double imposition. Dans le but de lutter contre l’évasion fiscale, le gouvernement américain a adopté en 2010 la loi d’application extra-territoriale Fatca, pour «Foreign Account Tax Compliance Act». Elle demande aux banques du monde entier de transmettre au fisc américain les données de personnes ayant des «indices d’américanité» (détention d’un passeport américain ou d’une carte verte, lieu de naissance, etc.), ou elles auront à payer un impôt de 30% de la valeur d’un investissement aux États-Unis. Plusieurs pays européens ont alors signé des accords intergouvernementaux avec les États-Unis pour s’engager à faire appliquer ce dispositif, entre 2013 et 2015.

«C’est là que beaucoup ont découvert qu’ils étaient Américains», raconte Fabien Lehagre. D’où la notion d’«Américains accidentels», qui concerne «des citoyens européens avant tout, qui n’ont aucun lien avec les États-Unis (ils n’y ont jamais habité, travaillé ou étudié), si ce n’est celui d’y être nés», définit-il. Ils seraient environ 300.000 en Europe. Ni l’AAA, ni l’ACD, ni le ministère des Finances luxembourgeois n’ont pu nous fournir d’estimations concernant le Grand-Duché.

Pour suivre la loi Fatca, les banques européennes ont donc dû recueillir leurs numéros d’identification fiscale, tax identification number (TIN) ou social security number (SSN). Sauf que «beaucoup n’en ont pas», et les démarches pour le demander sont compliquées, d’après Fabien Lehagre. Les autorités américaines avaient alors accordé , qui a expiré fin 2019, menaçant de clôturer de nombreux comptes d’Américains accidentels. Suite à la mobilisation française et européenne, Washington a décidé de , mais «jusqu’à quand? Ce n’est pas clair», dénonce le président de l’AAA.

«Je suis bloquée pour tout»

Si la dérogation a été prolongée, quels problèmes pose encore la Fatca aux Américains accidentels en Europe? D’abord, les accords «violent la législation européenne relative à la protection des données personnelles et au respect du droit de la vie privée, qui sont des droits fondamentaux», soulève l’AAA. Argument principal mis en avant dans le courrier envoyé par NautaDutilh à l’ACD. Elle dénonce aussi la non-réciprocité de la Fatca dans la lutte contre la fraude fiscale. Aussi, pour être sûres de ne pas s’embêter avec la Fatca, plusieurs banques européennes auraient simplement arrêté d’ouvrir des comptes aux personnes américaines, selon Fabien Lehagre. 

«Les règles Fatca et CRS sont appliquées de manière harmonieuse dans l’ensemble du groupe ING. Au Luxembourg, nous n’avons pas résilié de manière globale les relations que nous avions avec des Américains ou des assimilés Américains. Nous avons analysé chaque dossier, et nous avons demandé à nos clients de nous fournir les informations dont nous devons disposer, mais aussi la documentation probante nous permettant de les classifier correctement par rapport aux règles Fatca. Nous appliquons bien sûr le règlement Fatca, et nous reportons les clients lorsque cela s’impose. L’analyse se répète à chaque revue du dossier (CDD). Lors de l’entrée en relation avec les clients américains ou assimilés, nous spécifions également les règles à respecter et la documentation, ainsi que les informations à fournir», témoigne la banque au Luxembourg.

Sans la documentation nécessaire, difficile d’ouvrir un compte, comme le montre l’exemple de Julie Hocquet. Née aux États-Unis, elle n’y a vécu que jusqu’à ses trois mois, pour grandir en Belgique. Désormais, elle vit et travaille au Grand-Duché depuis plus de cinq ans. «En arrivant, j’ai voulu ouvrir un compte ici, mais on me l’a refusé en voyant que j’étais née aux États-Unis, parce que je n’avais pas le numéro TIN», rapporte-t-elle. Déjà titulaire d’un compte belge, elle laisse tomber. Quelques années plus tard, elle réessaie pour demander un prêt, sans succès. «Au Luxembourg j’ai tout essayé, même Post, sur les conseils de la Spuerkeess», révèle-t-elle. Conséquence, «je suis bloquée pour tout. Je ne peux pas ouvrir de compte, demander de prêt, ni même ouvrir un compte pour ma fille mineure. En entrant à l’école, on lui a distribué un chèque de 50 euros, qu’elle n’a pas pu déposer.» Julie Hocquet a pourtant entamé les démarches pour récupérer le document manquant, étant née en 1985, époque où il n’était pas encore attribué automatiquement. Le problème: pour obtenir son numéro TIN, on lui demande le SSN, et pour le SSN, un acte de naissance, dont elle ne dispose pas. «Je tourne en rond.»

La solution ultime pour ces personnes pourrait être de renoncer à la nationalité américaine. Mais le coût n’est pas négligeable: 2.350 dollars, . Julie Hocquet avait démarré le processus, mais là encore, on lui demande un certificat de naissance.

Rendre la Fatca illégale?

Pour l’AAA, il faudrait donc que «les gouvernements renégocient la Fatca en demandant que soient exclus ceux qui ont différentes nationalités». Même si «la vraie solution serait que les États-Unis aient une fiscalité basée sur la résidence, et non la nationalité».

Pourquoi l’association française a-t-elle choisi de lancer cette action au Luxembourg? «Avoir un jugement soit pour faire tomber les accords Fatca, soit atteindre la Cour de justice de l’Union européenne», révèle Fabien Lehagre, qui espère que cette dernière pourra rendre illégale la Fatca dans toute l’Europe. Pour l’instant, l’AAA attend une réponse de l’ACD. En cas de refus ou de non-réponse dans les trois mois, l’affaire pourrait être portée devant le tribunal administratif au Luxembourg, «susceptible de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne». Cette dernière s’est déjà prononcée sur le sujet du transfert de données personnelles vers les États-Unis .

Sollicitée au sujet des Américains accidentels, l’ACD nous répond qu’il lui est «légalement impossible de prendre position», car «infirmer la seule existence d’un tel courrier reviendrait à violer le secret fiscal auquel nous sommes tenus de par la loi».

D’autres accords d’échanges de données financières existent, comme la , qui «introduit l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale avec les États membres de l’Union européenne et les autres juridictions partenaires du Luxembourg».