L’agriculture et l’alimentation du futur pourraient tirer parti de ces leçons, en cherchant un équilibre entre technologie et traditions. Les tendances en matière d’alimentation sont amenées à évoluer, laissant la place à de «nouveaux» aliments tels que les insectes ou la viande de laboratoire…  (Photos: Shutterstock) 

L’agriculture et l’alimentation du futur pourraient tirer parti de ces leçons, en cherchant un équilibre entre technologie et traditions. Les tendances en matière d’alimentation sont amenées à évoluer, laissant la place à de «nouveaux» aliments tels que les insectes ou la viande de laboratoire…  (Photos: Shutterstock) 

Le Festival AlimenTerre porté par SOS Faim se déroulera pour la première fois au Luxembourg, du 6 novembre au 6 décembre, avec l’ambition de nourrir la réflexion du grand public sur les enjeux autour de l’industrie agroalimentaire et l’alimentation durable. Dans ce deuxième épisode de notre série de cinq articles consacrée à cette thématique, Paperjam explore les évolutions de notre alimentation. 

Industrialisation, mondialisation, innovations agricoles et rythmes de vie plus rapides: l’agriculture et la façon de s’alimenter ont considérablement changé depuis le début du siècle. Il est aujourd’hui bien loin le temps de l’agriculture traditionnelle, avec une faible mécanisation et sans intrants chimiques. 

Parmi les tournants de l’histoire de l’alimentation, les années 1920-1930 et les avancées scientifiques et innovations qui ont vu le jour à cette période ont ouvert la voie à l’utilisation d’intrants chimiques, notamment les insecticides, mais aussi les engrais et les pesticides. Peu à peu, l’agriculture a aussi adopté la mécanisation. Elle s’accélère encore lors de la décennie suivante, pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre agricole en temps de guerre. En 1945, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) voit le jour, dans un monde de plus en plus conscient des enjeux autour de l’alimentation. 

Quelques années plus tard, la création d’une autre organisation contribue à un grand tournant: la Politique agricole commune (PAC), en 1962, qui introduit un mécanisme de subvention pour encourager la production agricole et favorise la modernisation de l’agriculture et la stabilisation du revenu des agriculteurs. Mais, dans les faits, ce sont surtout les grandes exploitations qui en ont tiré un bénéfice, au détriment des petits paysans, loin de la logique de la surproduction. Au fil du temps, cela a engendré des changements structurels dans l’agriculture, avec une baisse des exploitations au profit de structures plus massives et mécanisées. 

Cette période, appelée la «révolution verte», marque une forte hausse de la productivité, suivant la même tendance que l’évolution démographique. Sont alors introduites des plantes à haut rendement, couplées à des fertilisants et autres intrants chimiques pour maximiser la production et réduire les pertes. 

Aujourd’hui…

La mondialisation a également contribué à généraliser le modèle que nous connaissons, avec une diversification de l’offre alimentaire, une désaisonnalité et une accélération des échanges commerciaux. Les habitudes alimentaires aussi ont évolué et se sont homogénéisées, notamment le modèle occidental à base de produits transformés. Globalement, la consommation de produits à emporter et à consommer chez soi a augmenté. Par exemple, au Luxembourg, les dépenses allouées à ces produits à emporter étaient de 5.419 euros en 2019 et de 6.726 euros en 2023, selon les données du Statec. 

Mais aujourd’hui, trop de contraintes pèsent sur ce modèle: l’agriculture est bousculée par le changement climatique et malgré l’importance de la production alimentaire, les revenus des agriculteurs sont inférieurs d’environ 40% aux revenus non agricoles en Europe. 

À l’échelle mondiale, la FAO rapporte que l’agriculture représentait, en 2023, 23% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit près de 12GtCO2 équivalent par an. L’élevage, en particulier, est l’une des principales sources d’émissions, représentant jusqu’à 14,5% des émissions de GES mondiales, avec des impacts directs, comme la production de méthane par les ruminants (une thématique que nous aborderons dans un troisième épisode). Toujours selon la FAO, les sols, qui contiennent environ 25% de la biodiversité mondiale, sont aussi un réservoir de carbone crucial. Mais leur dégradation conduit à libérer du carbone dans l’atmosphère et l’érosion des sols pourrait entraîner la perte de 10% de la production agricole mondiale d’ici 2050, avec une disparition estimée à 75 milliards de tonnes de sols, alors que dans le même temps, l’urbanisation croissante conduit à réduire la proportion des sols disponibles pour l’agriculture. 

Le Luxembourg n’échappe pas à la tendance. Selon le directeur de la Chambre d’agriculture, cité dans le magazine Smartcities en juin dernier, Paul Marceul, «le secteur agricole subit un ensemble de pressions, dans un contexte déjà difficile pour tout le monde. Les agriculteurs endurent, eux aussi, l’augmentation générale et galopante des coûts. Ils ne sont pas maîtres de leurs prix, souvent liés à des cours internationaux, et sont mis en concurrence avec des pays producteurs soumis à des normes et coûts de production moindres.» Sans compter la multiplication des normes et des réglementations. Selon lui, les défis de l’agriculture pour l’avenir seront nombreux et les agriculteurs s’attendent à une «amplification des problématiques actuelles», notamment celle du changement climatique et l’évolution des cultures.  

Parallèlement, du côté des consommateurs, les tendances changent et l’on observe une prise de conscience des consommateurs pour une alimentation plus raisonnée. «En questionnant la population du Luxembourg et de la Grande Région à trois années d’intervalle, nous avons vu apparaître une préoccupation grandissante de la notion de régionalité. La saisonnalité y est associée», souligne la chercheuse de l’Université du Luxembourg, Rachel Reckinger, dans une publication.  

L’alimentation du futur ne sera donc plus ce qu’elle est aujourd’hui. Elle devra faire l’objet de changements pour répondre à tous ces enjeux, auxquels s’ajoutent de nouveaux défis, comme les perspectives démographiques. La FAO rappelle que l’enjeu est de taille: entre 2012 et 2050, la population devrait augmenter de 50% et la demande en alimentation devrait donc suivre cette même tendance, et une population mondiale de 9,7 milliards de bouches à nourrir en 2050 pose évidemment des défis en matière de gestion des ressources. 

… et demain

Dans le cadre du projet européen SecureFood, une étude intitulée «The Future of Food» du scientifique spécialiste de l’alimentation Charis M.Galanakis donne un aperçu de ce vers quoi le système alimentaire actuel pourrait tendre à l’avenir. Selon lui, compte tenu des contraintes détaillées ci-dessus, la solution résidera «dans l’optimisation de la production, en améliorant les rendements des terres, sans intrants, mais plutôt en généralisant de nouvelles pratiques telles que l’agroécologique ou la bioéconomie bleue».  

Il ne s’agira non plus seulement de produire en quantité suffisante, mais «d’améliorer l’efficacité des systèmes alimentaires. Atteindre la durabilité est une entreprise complexe qui nécessite des changements dans les modes de consommation et de reconsidérer les pratiques agricoles, comme le travail réduit du sol, l’agriculture biologique, l’irrigation goutte à goutte, les biofertilisants, la rotation des cultures ou l’agroforesterie», détaille-t-il dans son étude. L’enjeu sera de pouvoir nourrir un nombre d’habitants en croissance. Alors que la famine touche aujourd’hui 828 millions de personnes dans le monde, selon SOS Faim, soit 10% de la population mondiale. 

Un changement de paradigme s’impose, tant du côté des consommateurs que des agriculteurs. Dans une étude réalisée par Ilres sur le secteur agricole et alimentaire, les agriculteurs mettent déjà en lumière quelques tendances d’avenir. 

Côté consommateurs aussi, de nouvelles tendances émergent déjà et pourront permettre d’atteindre plus facilement les objectifs, comme le flexitarisme, qui consiste à réduire sa consommation de viande. Cette réduction, notamment pour la viande rouge, permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de réduire la pression sur les ressources en eau et les terres agricoles. 

Un autre enjeu sera de relocaliser la production. Mais cela n’est pas si évident, à en croire une étude publiée dans le cadre du projet Interreg Aroma, à l’échelle de la Grande Région. La chercheuse Rachel Reckinger y prend l’exemple de la restauration collective. Dans ce secteur, elle évoque de nombreux freins à une relocalisation de la production, non pas liés à une production qui serait trop faible, mais plutôt à «une organisation inadaptée des filières d’approvisionnement et un manque de structuration des filières». Cela pose des défis logistiques. Mais elle évoque toutefois des leviers, comme la mutualisation, le soutien public via, par exemple, des organismes transfrontaliers. 

L’essor des aliments à base de plantes sera aussi une tendance majeure dans les années à venir. Il s’agit souvent de produits qui imitent la texture et le goût de la viande, tout en ayant une empreinte écologique beaucoup plus faible. Selon la Fondation pour la nature et l’homme, la production de viande végétale nécessite jusqu’à 90% de terres et d’eau en moins et produit 89% de GES en moins par rapport à la viande conventionnelle. Autres aliments que l’on retrouvera peut-être dans nos assiettes dans quelques années: les insectes et les algues, qui sont «des sources de protéines intéressantes pour l’avenir en raison de leur faible impact environnemental. Les insectes, par exemple, sont riches en protéines et leur production nécessite peu d’eau et de terres.» La viande cultivée en laboratoire pourrait aussi être une tendance émergente. «Ce procédé consiste à produire de la viande réelle à partir de cellules animales, sans élevage. Cela permettrait de réduire la déforestation et les émissions de GES associées à l’élevage industriel. Bien que cette technologie en soit encore à ses débuts, elle pourrait révolutionner la manière dont la viande est produite», souligne une étude du ministère de la Transition écologique en France. 

Dans la série «2080: No(s) futur(s)», sortie sur la plateforme Canal+ fin 2023, des scientifiques se projettent en 2080 et essaient de montrer à quoi ressemblera le monde cette année-là, à travers quatre épisodes, dont un porte sur l’alimentation. Selon les experts qui interviennent dans ce documentaire, il est clair «qu’une révolution alimentaire se profile». Selon eux, l’élevage pourrait disparaître, au profit d’usines de protéines issues de microbes. «Ou, au contraire, notre salut pourrait venir de ce que l’on connaît déjà, comme l’agriculture biologique mais en pleine terre, gérée par l’IA.»

De nouveaux modèles agricoles, combinés aux nouvelles technologiques, devraient ainsi émerger dans le futur, comme l’agriculture urbaine, compte tenu de la forte urbanisation des espaces, ou l’aquaponie, une méthode de culture de poissons et de plantes dans un même système. Les applications de l’industrie 4.0 telles que l’IA ou l’internet des objets (IoT) pourront aussi contribuer à transformer la production et à la rendre plus optimale, en facilitant par exemple la surveillance, en généralisant les prévisions de précision et en rationalisant le stockage. Des outils tels que les jumeaux numériques pourront aussi permettre aux agriculteurs de simuler des scénarios. 

Finalement, en plus des nouvelles technologies et des progrès liés à l’agriculture, le passé peut, lui aussi, offrir des pistes intéressantes pour l’avenir, notamment en raison des pratiques durables et des régimes alimentaires plus simples et naturels qui ont marqué les civilisations précédentes. Les pratiques agricoles d’antan mettaient davantage l’accent sur la rotation des cultures, qui ont un intérêt notamment pour la préservation des sols. Revenir à une consommation d’aliments locaux et de saison, comme jadis, permettrait aussi de réduire les besoins en transport, et donc l’empreinte carbone de notre alimentation. Comme la réduction d’aliments ultra-transformés, ce retour à une consommation plus raisonnée présente aussi un intérêt pour la santé des consommateurs. Il ne s’agit donc pas de revenir entièrement aux pratiques du passé, mais plutôt de s’en inspirer pour combiner les innovations modernes avec des approches qui ont fait leurs preuves en matière de durabilité et de santé. L’agriculture et l’alimentation du futur pourraient tirer parti de ces leçons, en cherchant un équilibre entre technologies et traditions.

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(La suite de notre série ce mercredi avec le troisième volet: le méthane dans l’agriculture: ce grand contributeur du changement climatique).