Avec son «cycle de la révolte» («La Peste», «L’Homme révolté», «Les Justes»), Albert Camus remporte le prix Nobel de littérature en 1957. (Photo: Paperjam)

Avec son «cycle de la révolte» («La Peste», «L’Homme révolté», «Les Justes»), Albert Camus remporte le prix Nobel de littérature en 1957. (Photo: Paperjam)

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la lecture de «La Peste» est aussi troublante que riche d’enseignements. Morceaux choisis du chef-d’œuvre d’Albert Camus.

«La Peste» d’Albert Camus caracole en tête des meilleures ventes de livres ces dernières semaines. Nous avons ressorti notre exemplaire de 1948 de la bibliothèque, et relu ce chef-d’œuvre à l’aune de la pandémie de coronavirus qui sévit actuellement dans le monde.

L’évolution de la maladie, la vie quotidienne de la population et les prises de décision des autorités résonnent ainsi d’une manière toute particulière.

La scène se déroule à Oran, en Algérie française, «en 194.», où le lecteur suit le développement de la peste bubonique à travers les yeux du docteur Bernard Rieux et de ses proches.

Si d’aucuns y voient plutôt une allégorie de la guerre et du nazisme (le roman a été publié en 1947), le roman d’Albert Camus est riche d’enseignements dans le contexte actuel.

La plume est implacable et puissante: chaque mot tombe juste, le rythme des phrases est toujours bien trouvé. Le résultat est édifiant, et en fait une lecture «miroir» sidérante.

Entre prise de conscience et insouciance

La phase de détection de la maladie et de déni de la population, comme des autorités sanitaires et politiques, est abordée. «On demandait des mesures radicales, on accusait les autorités, et certains qui avaient des maisons au bord de la mer parlaient déjà de s’y retirer.»

Si la prise de conscience se fait peu à peu, l’insouciance persiste. «La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes: ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens (…) continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux.»

Camus dit aussi la difficulté à appréhender les chiffres et les statistiques: «Puisqu’un homme mort n’a de poids que si on l’a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination.»

Toute la ville ressemblait à une salle d’attente.

Albert Camus«La Peste» 

Ennui et séparation

L’accélération de la maladie signe la fermeture des portes de la ville, et le rôle des forces de l’ordre pour faire respecter les règles. «À la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et que les mots ‘transiger’, ‘faveur’, ‘exception’, n’avaient plus de sens.»

L’auteur traitera ensuite autant de l’acceptation et de la résignation de la population au confinement que de la difficulté pour les couples brutalement séparés à vivre l’éloignement.

Camus évoque aussi l’impossibilité du deuil à distance, les enterrements à la va-vite et l’absence de cérémonie funéraire.

L’ennui et le bouleversement des habitudes sont également largement relatés. «Impatients de leur présent, ennemis de leur passé et privés d’avenir, nous ressemblions bien ainsi à ceux que la justice ou la haine humaine font vivre derrière les barreaux. Pour finir, le seul moyen d’échapper à ces vacances insupportables était de faire marcher à nouveau les trains par l’imagination et de remplir les heures avec les carillons répétés d’une sonnette pourtant obstinément silencieuse.»

L’auteur résume ainsi: «Toute la ville ressemblait à une salle d’attente.»

Sortie de crise

Camus n’oublie pas non plus de traiter le sujet du rôle du corps médical: «Tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins.»

L’auteur n’a pas choisi par hasard un docteur pour narrateur… «Son rôle n’était plus de guérir. Son rôle était de diagnostiquer. Découvrir, voir, décrire, enregistrer, puis condamner, c’était sa tâche. Il n’était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner l’isolement.»

Quant à l’usage des masques, il fait aussi débat dans «La Peste»: «Le journaliste demanda si cela servait à quelque chose et Tarrou répondit que non, mais que cela donnait confiance aux autres.»

«La Peste» évoque enfin la liesse de la sortie de confinement, et questionne le retour à la normale et les problématiques de reconstruction et de réorganisation.

«- Qu’appelez-vous le retour à une vie normale?

- De nouveaux films au cinéma, dit Tarrou en souriant.»

Avec son «cycle de la révolte» («La Peste», «L’Homme révolté», «Les Justes»), Albert Camus remporte le prix Nobel de littérature en 1957.

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