Selon l’Observatoire de l’habitat, à peine un bénéficiaire potentiel sur quatre perçoit effectivement la subvention de loyer. Illustration d’un taux de non-recours aux aides sociales jugé trop important dans le pays. (Photo: Shutterstock)

Selon l’Observatoire de l’habitat, à peine un bénéficiaire potentiel sur quatre perçoit effectivement la subvention de loyer. Illustration d’un taux de non-recours aux aides sociales jugé trop important dans le pays. (Photo: Shutterstock)

Si des centaines de millions d’euros sont dépensés chaque année au titre de la solidarité, des dizaines d’autres restent dans les caisses de l’État, faute d’avoir été réclamés. Mais impossible de savoir combien précisément. Le non-recours aux aides sociales constitue une problématique à laquelle les pouvoirs publics promettent d’apporter des éléments de réponse concrets.

Le constat

Le chiffre avait ressurgi en début d’année, en marge d’une enquête menée par le Liser et le Statec, à l’initiative de la Chambre des salariés (CSL): au Luxembourg, les aides sociales sont loin de profiter à toutes celles et tous ceux . Selon les estimations, près de 80% des bénéficiaires potentiels de la subvention de loyer n’en font pas la demande. La proportion atteindrait 30 ou 40% pour l’allocation de vie chère.

Défaut d’information, complications administratives, critères d’éligibilité, facteurs psychologiques… Dans son étude, le Liser listait différentes explications à ce phénomène. Des constats d’ailleurs partagés par les pouvoirs publics, qui annoncent la mise en place de plusieurs mesures afin que davantage de résidents obtiennent les prestations prévues pour eux.

Les faits

Le ministère de la Famille, des Solidarités et du Vivre-ensemble concentre une part importante des aides sociales versées dans le pays. Pour l’année 2023, le Fonds national de solidarité (FNS) a ainsi engagé 362,710 millions d’euros de dépenses pour le règlement de cinq prestations: allocation d’inclusion et d’activation du Revis; allocation de vie chère (AVC) et prime énergie; avance et recouvrement de pensions alimentaires (Palim); revenu pour personne gravement handicapée (RPGH); accueil gérontologique. Une somme en augmentation de près de 40 millions d’euros sur un an, et d’environ 23% sur cinq ans.

Dans le détail, 28.912 ménages ont été bénéficiaires de l’AVC/prime énergie l’an dernier, contre 10.638 ménages pour le Revis, 3.248 pour le RPGH, 698 pour l’accueil gérontologique et 479 pour l’avance de pensions alimentaires. Mais «comme un certain nombre de bénéficiaires touchent ou ont touché plusieurs prestations, il n’est pas possible de calculer un total fiable», explique le ministère. Ni de savoir ce que coûterait réellement à l’État le paiement des aides sociales si celles-ci étaient intégralement demandées.

«Le ministère ne dispose pas actuellement d’une estimation précise du nombre de bénéficiaires potentiels», nous répond ainsi le ministère de l’Éducation nationale, qui, l’an dernier, a versé à 8.466 récipiendaires environ 7,984 millions d’euros au titre de la subvention pour ménages à faible revenu. Destinée à l’acquisition de matériel scolaire et au financement d’activités périscolaires et parascolaires, cette aide oscille entre 695 et 1.043 euros par élève. Le nombre de bénéficiaires a augmenté de près de 20% depuis l’année scolaire 2018-2029. «Depuis la rentrée scolaire 2022-2023, tous les élèves de l’enseignement secondaire bénéficiant d’une subvention ont également droit à un repas gratuit à la cantine. Cette mesure représente une économie journalière de 4,70 euros, soit 846 euros sur l’année scolaire», souligne le ministère.

Du côté du crédit d’impôt monoparental (CIM), ouvert aux contribuables de la classe 1a ayant un ou plusieurs enfants à charge et titulaires de la modération d’impôt pour enfant, environ 4.200 résidents en ont bénéficié en 2022 (dernière année connue), moyennant un chèque de 9,700 millions d’euros pour le ministère des Finances. Difficile, sinon impossible, là à nouveau, pour les autorités de dire avec exactitude ce qu’il en coûterait si aucune aide ne se perdait en route. «L’Administration des contributions directes (ACD) possède des informations quant à la classe d’impôt des contribuables ainsi que sur le nombre d’enfants dans leur ménage. Cependant, le seul fait d’être rangé en classe d’impôt 1a et d’avoir au moins un enfant appartenant au ménage n’est pas suffisant pour déterminer si une personne a droit au CIM ou non», explique-t-on aux Finances.

«Ainsi, à titre d’exemple, dans un couple non marié vivant en concubinage et ayant un enfant commun, l’un a droit à la classe d’impôt 1a et l’autre non. La personne ayant l’enfant dans son ménage et la classe d’impôt 1a n’a pas droit au CIM vu que les parents habitent ensemble. Ce cas de figure ne peut être statistiquement distingué d’un foyer fiscal monoparental. À noter également que le montant du CIM dépend au final du revenu imposable ajusté réellement réalisé et diminue en présence d’allocations dont bénéficie l’enfant, tels les rentes alimentaires, le paiement de frais d’entretien, d’éducation et de formation professionnelle, etc. Ainsi, pour une personne monoparentale qui aurait en principe droit au CIM, ce montant peut encore se trouver réduit de telles allocations, le cas échéant jusqu’à zéro. Ici encore, l’ACD ne peut pas établir une statistique fiable pour cette population.»

Enfin, le ministère du Logement indique avoir déboursé l’an dernier quelque 27,336 millions d’euros au titre de la subvention de loyer (SL), soit environ 10 millions d’euros supplémentaires sur un an. Selon des chiffres de mai dernier, 12.347 locataires sont bénéficiaires de la SL, accordée aux ménages à faibles revenus. L’automne dernier, l’Observatoire de l’habitat avait estimé à 40.000 le nombre de ménages éligibles à la SL. Et calculé que pour l’année 2022 (dernières statistiques complètes connues), le taux de recours s’élevait donc à seulement 24,3%.

Les remèdes

Dans son rapport d’octobre 2023, l’Observatoire de l’habitat formulait différentes propositions afin d’améliorer le taux de non-recours à la subvention de loyer. En résumé: «Améliorer la communication générale concernant les aides au logement en location; identifier au mieux les populations éligibles; améliorer la communication sur les aides à destination des groupes moins bien informés.» «Enfin, il serait intéressant d’étoffer l’étude sur les raisons du non-recours à la subvention de loyer, en particulier pour comprendre comment les gens prennent leur décision de faire une demande d’allocation ou non», écrivait l’Observatoire, qui avançait que «47% des ménages potentiellement éligibles mais non bénéficiaires de la subvention de loyer ne connaissent pas les aides au logement».

Les raisons pour lesquelles les bénéficiaires potentiels n’ont pas reçu d’aides étatiques pour un logement en location. (Source: enquête «logement abordable au Luxembourg» 2023/Graphique: Observatoire de l’habitat)

Les raisons pour lesquelles les bénéficiaires potentiels n’ont pas reçu d’aides étatiques pour un logement en location. (Source: enquête «logement abordable au Luxembourg» 2023/Graphique: Observatoire de l’habitat)

«Garantir que toutes les familles éligibles soient informées de l’aide à laquelle elles ont droit et puissent accéder aux subventions est une priorité», assure pour sa part le ministère de l’Éducation nationale, qui dit «continuer à développer ses processus d’information et de sensibilisation, notamment par le biais d’un courrier annuel en plusieurs langues et une relance et assistance à chaque rentrée scolaire, assurées par le personnel du service psychosocial et d’accompagnement scolaires».

Pour corriger le tir, «l’accord de coalition prévoit toute une série de mesures dont la réalisation se trouve en cours d’analyse, notamment la création d’une plateforme sociale digitale, ainsi que l’introduction d’un dossier social partagé, selon le principe du ‘once only’», résume de son côté le ministère de la Famille, des Solidarités et du Vivre-ensemble.

«Comme, d’après les dernières estimations, plus de 30% des bénéficiaires de l’allocation d’inclusion, également éligibles pour l’allocation de vie chère ainsi que la prime d’énergie, n’en font pas la demande, ces deux prestations seront versées automatiquement aux bénéficiaires susmentionnés», poursuit le ministère.

«Dans le but de lutter également contre le non-recours aux prestations sociales communales, à l’avenir les données des bénéficiaires de l’allocation de vie chère seront communiquées d’office aux communes respectives sur le territoire desquelles ceux-ci résident. De cette manière, les administrations communales auront la possibilité d’introduire également un automatisme de versement des aides communales calquées sur l’allocation de vie chère», assure-t-on.

Enfin, différents aménagements ont été décidés ou seront opérés afin de «faciliter l’accès à ces prestations». Le délai pour introduire une demande est ainsi reporté du 31 octobre au 31 décembre, et le demandeur pourra déposer jusqu’à deux dossiers en cours d’année. «Jusqu’à présent ceci n’était pas possible, ce qui écartait les personnes dont la demande avait été refusée faute de remplir les conditions, mais qui étaient susceptibles de les remplir à un autre moment.» Autre nouveauté: à partir de 2025, «les allocations ou prestations versées par un organisme public ou privé ne seront plus prises en compte au titre des revenus pour déterminer le droit aux prestations en question».

Côté communication et simplification administrative, le ministère indique avoir mis en ligne, sur le site du FNS, un calculateur permettant de déterminer l’éligibilité pour le Revis, l’AVC et la prime d’énergie, procédé à l’envoi d’un formulaire prérempli aux bénéficiaires de l’année précédente et produit des tracts et vidéos en sept langues pour l’octroi du Revis.