Le «taux de fuite» moyen est estimé à environ 7,5% de l’aide versée par la Banque mondiale. (Photo: Shutterstock)

Le «taux de fuite» moyen est estimé à environ 7,5% de l’aide versée par la Banque mondiale. (Photo: Shutterstock)

Une étude de la Banque mondiale accrédite la thèse d’un détournement des aides de l’institution vers des «élites», dont la Suisse et le Luxembourg. Le rapport porte sur la période 1990-2010, alors que le secret bancaire n'était pas encore levé.

On parle déjà d’un «Papergate». , intitulée «La mainmise des élites sur l’aide étrangère. Preuve de comptes bancaires offshore», a été publiée le 18 février et menée par trois chercheurs (Jørgen Juel Andersen, Niels Johannesen, Bob Rijkers). Elle révèle qu’une partie de l’argent versé par l’institution pourrait avoir été détournée dans des comptes offshore.

Les chercheurs ont compilé des données sur les versements d’aides de la Banque mondiale, couvrant les 22 pays qui en sont les plus dépendants (ayant reçu entre 1990 et 2010 des versements annuels de la Banque mondiale équivalant à au moins 2% de leur PIB), en combinaison avec les statistiques de la Banque des règlements internationaux. 

Le document de 45 pages démontre que, lorsque la Banque mondiale prêtait d’importantes sommes à la vingtaine de pays étudiés, il existait alors systématiquement un pic de transferts d’argent vers des États comme la Suisse, le Luxembourg, les îles Caïmans, les Bahamas, Hong Kong et Singapour. 

«Les versements d’aides aux pays fortement dépendants coïncident avec une augmentation importante des transferts vers des centres financiers offshore connus pour leur secret bancaire et leur gestion de patrimoine privé, mais pas vers d’autres centres financiers», lit-on dans le rapport. «Nous constatons que les comptes bancaires en Suisse et au Luxembourg contribuent de manière significative à la corrélation entre les versements des aides et les dépôts dans ces pays». Le Luxembourg n'est aujourd'hui plus un «paradis fiscal» et son secret bancaire a été levé.

Explication «plausible»

Les auteurs de l’étude estiment que l’hypothèse d’un détournement de l’aide internationale par ces pays est «l’explication la plus plausible». «D’autres explications sont possibles, mais nous les trouvons plus difficiles à concilier avec tous les schémas des données», constatent les auteurs.

Ces derniers estiment que le «taux de fuite» moyen est estimé à environ 7,5% de l’aide, et que celui-ci atteindrait jusqu’à 15% pour les sept pays qui dépendent le plus de l’aide de la Banque mondiale (Burundi, Guinée-Bissau, Érythrée, Malawi, Sierra Leone, Ouganda, Mozambique).

«Ces taux représentent une estimation a minima car l’étude ne prend en compte que les transferts vers des comptes offshore, sans intégrer les possibles dépenses en immobilier ou en biens de luxe», ajoutent les chercheurs.

Les conclusions de l’étude seraient à l’origine de la démission de l’économiste en chef de la Banque mondiale, Pinelopi «Penny» Koujianou Goldberg, le 5 février dernier. Selon The Economist, celle-ci aurait été «agacée» que l’étude ait été «bloquée par de hauts responsables». , la Banque mondiale a dû réitérer son soutien à des «recherches indépendantes, évaluées par les pairs, sur des sujets importants comme les flux financiers illicites».