Luc Koedinger, maraîcher, arboriculteur et formateur à la Microferme Lumbrikina; cofondateur de Canopée, coopérative en agroforesterie. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Luc Koedinger, maraîcher, arboriculteur et formateur à la Microferme Lumbrikina; cofondateur de Canopée, coopérative en agroforesterie. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Les explorateurs «urbex» de sites abandonnés par notre civilisation montrent, au travers de leurs photographies, des maisons éventrées par des arbres, des sites industriels engloutis par la végétation, des bancs publics «mangés» par l’arbre qui leur faisait ombrage. Des images oniriques. Elles nous interpellent sur les causes de la disparition de la vie humaine dans ces lieux.

Ce qu’il faut en retenir est que l’arbre est à sa place dans presque toutes les régions d’Europe. C’est ce que l’on nomme le «climax écologique», c’est-à-dire un certain type de végétation reprend ses droits dès que la nature est abandonnée à elle-même.

La forêt de hêtres et de chênes correspond au climax du Luxembourg. Sans la présence humaine, la surface forestière s’approcherait des 100%, alors qu’aujourd’hui elle est réduite à 37%. L’agriculture occupe quant à elle 52% du territoire et près de 10% des surfaces sont construites ou artificialisées.

Le manque de terres boisées pose de nombreux problèmes: les crues des rivières, l’érosion des terres arables, le niveau des nappes phréatiques trop bas, des paysages balayés par les vents, l’assèchement des sols, le recul de la biodiversité, etc.

Alors voilà pourquoi il faut permettre aux arbres de nous épauler au quotidien.

Prenons l’exemple d’un chêne adulte, il fait des racines de plus de 120 mètres de profondeur. En comparaison, 50 mètres séparent le fond de la vallée de la Pétrusse et le haut de la ville. Ces racines permettent à l’eau de pluie de pénétrer dans les nappes phréatiques. Ce chêne transpire quotidiennement par son feuillage jusqu’à 500 litres d’eau. Autant dire que l’été, il est plus agréable d’être assis sous son houppier. Cet arbre accueille une faune innombrable, dans le sol et dans sa partie aérienne. La vie.

En bref, les arbres nourrissent les sols, aident au stockage de l’eau en profondeur et en surface cultivée, fabriquent de l’oxygène et capturent le carbone… Il s’agit de formidables usines biologiques fonctionnant à l’énergie solaire.

C’est pourquoi l’agroforesterie associe les arbres et les haies aux différents domaines de l’agriculture et du paysage; les grandes cultures de céréales, les élevages, le maraîchage. Cette technique agricole permet également de mieux ancrer des sites industriels ou commerciaux dans le paysage.

L’agroforesterie permet une augmentation significative des rendements à l’hectare. Prenons l’exemple d’une association de céréales et de peupliers. Les peupliers seront récoltés (coupés) après 15 ans. Une telle association de culture en agroforesterie est de 34% plus productive que les deux cultures séparées.

Le verger est un autre exemple où l’association est très bénéfique. Les arbres fruitiers sont régulièrement fragilisés par des insectes ou des attaques cryptogamiques (champignons). C’est pourquoi un élevage de poules peut être favorablement associé à ces arbres fruitiers. Les raisons sont multiples, mais intéressons-nous juste aux fruits tombés au sol parce qu’ils sont malades ou farcis d’une larve… À l’instant où ce fruit est à terre, les poules se chargent de le manger et ainsi d’éradiquer le pathogène ou la larve en les transformant en fumier.

Le maraîchage est un métier où les arbres fruitiers ou les arbres «énergie» (bois de chauffage) peuvent être mis à contribution de différentes manières. Ces arbres donneront leurs fruits, de l’ombre et des feuilles au sol. Ces dernières vont favoriser le taux de matière organique du sol et ainsi lui permettre d’augmenter la rétention de l’eau de pluie. Dans le contexte actuel du dérèglement climatique subi par le monde agricole, l’agroforesterie est la solution à promouvoir.

Si nous regardons à l’échelle de nos paysages, les arbres et les haies ont toute leur place. Ils peuvent protéger des bâtiments de la chaleur estivale et, en hiver, laisser passer cette énergie. Les arbres peuvent également protéger nos yeux en cachant des zonings… tout en y stockant du carbone et en «fabriquant» du bois énergie.

Les principaux arguments pour travailler en agroforesterie sont l’aggradation des terres par le stockage du carbone (matière organique), l’augmentation de la production et un incroyable embellissement du paysage. Il s’agit également de créer un nouveau métier, celui d’agroforestier.

L’agriculture comme capteur à CO2

Des recherches récentes indiquent que cette voie, celle d’une agriculture prenant soin des sols en augmentant le taux de carbone, pourrait rapidement faire de l’Europe un territoire à bilan neutre sans rien changer au reste de nos activités. L’inertie n’est plus de mise.

Les mondes de la finance et de l’industrie peuvent jouer un rôle décisif dans ce tournant de l’agriculture et le Luxembourg peut devenir ce laboratoire de l’excellence. Comment? En visant la neutralité carbone par compensation. Investir dans le paysage agricole à travers la plantation d’arbres et de haies, voilà de quoi réenchanter l’histoire.

Alors plutôt que d’attendre que la végétation engloutisse les traces de notre civilisation, laissons les arbres devenir nos partenaires.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam du mois de juin parue le 27 mai 2021.

Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine, il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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