Le long coton-tige doit tourner sept fois dans la bouche, comme si on s’assurait de ne pas dire une bêtise. Soigneusement encapsulé, le coton est envoyé aux États-Unis ou en Israël. Un mois plus tard, pour 50 à 500 dollars, selon les formules des quatre leaders du marché, le client saura directement depuis internet qui sont ses ancêtres. Les minuscules clauses en bas du contrat alertent aussi sur les ravages que le résultat peut produire, mais les tests suscitent un engouement sans pareil.
Ce que le contrat ne dit pas, c’est que les données peuvent aussi se retrouver dans la nature, insiste l’expert en protection de la vie privée, Chris Pinchen, mardi soir, , dans le cadre de la Journée européenne pour un internet plus sûr. Dans le joyeux capharnaüm du deuxième étage de cette maison de la jeunesse, où l’on démonte volontiers des objets de technologie, où l’on apprend à coder, ou l’on s’informe, une trentaine de personnes ont pris place. La parité est largement respectée, et la moyenne d’âge tourne plutôt autour de 45 ans que de 20 ans.
Les deux exemples les plus connus, pour l’expert, sont l’utilisation des données de certains des leaders du marché par d’autres acteurs a priori sans lien avec l’ADN.
Le 21 septembre 2018, Ancestry, et ses 15 millions de clients, s’associe avec le leader du streaming musical, Spotify, pour permettre à ses clients d’accéder à des playlists personnalisées en fonction de leurs origines. «C’est bien plus que les statistiques, les données et les enregistrements», explique Vineet Mehra, vice-président exécutif et directeur du marketing d’Ancestry. «Comment pouvons-nous aider les gens à découvrir leur culture, et pas seulement à en lire davantage? La musique semblait être un moyen évident de le faire.»
10.000 personnes se sont inscrites pour en profiter, . Difficile de savoir si les données quittent l’environnement d’Ancestry, puisque les clients , avec leur compte et les résultats de leur ADN.
Plus de 500% en cinq ans pour le voyage vers ses racines
Huit mois plus tard, Airbnb annonce une nouvelle «Expérience» en association avec le numéro 2 du marché, 23andMe, et ses 10 millions de clients: une fois les résultats en main, et là encore sur la plate-forme du chercheur de passé, le client pourra trouver des possibilités d’hébergement sur les lieux mêmes où ses ancêtres ont vécu. «Chez Airbnb, nous pensons que des expériences de voyage authentiques vous aident à vous connecter avec les cultures locales et à créer un sentiment d’appartenance partout dans le monde... quelle meilleure façon de le faire que de voyager dans vos racines», . «Nous sommes fiers de faire équipe avec 23andMe, le chef de file pour aider les gens à connaître leurs gènes et leurs ancêtres, afin de permettre aux voyageurs de planifier plus facilement des voyages aussi uniques que leur ADN.»
L’idée est dictée par des objectifs économiques, dont le roi de l’hébergement entre particuliers ne se cache pas. «Selon une étude d’avril 2019 commandée par Airbnb – sur 8.000 personnes aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, au Brésil, en Inde, en France, au Royaume-Uni et en Australie –, 89% des répondants à l’enquête en Inde ont voyagé dans au moins un pays de leur ascendance, ainsi que 69% en France et plus de la moitié des Américains. Et par rapport à il y a cinq ans, 66% des personnes interrogées au Brésil ont déclaré qu’elles étaient plus susceptibles de se rendre sur leur lieu d’héritage. En outre, des personnes en Australie, en Inde, au Royaume-Uni et au Brésil ont déclaré que la visite d’un lieu lié à leur ADN était la considération la plus importante lors de la planification de leurs prochaines vacances.»
53% des personnes interrogées en Inde renonceraient à manger du dessert pendant un pour s’offrir un voyage sur la terre de leurs ancêtres, tandis que 61% des Brésiliens, 57% des Américains et 56% des Australiens renonceraient à l’alcool pendant un an pour la même raison. Depuis 2014, le nombre de voyageurs qui veulent retrouver leurs racines a augmenté de 500%, et plus les utilisateurs vieillissent, plus ils en ont envie.
Deux leaks en quelques mois
Derrière ces initiatives en apparence sympathiquement commerciales, s’inquiètent les experts luxembourgeois en sécurité, les plates-formes qui proposent ces tests ADN ne sont pas capables de protéger les données. Juin 2018, . Seulement les mails, s’empresse-t-il d’ajouter, les données liées à l’ADN n’étaient pas stockées au même endroit, mais le leak fait désordre.
Novembre dernier, Veritas, start-up américaine qui travaille sur le séquençage du génome, admet elle aussi avoir perdu des données, .
Pour Chris Pinchen, ces sociétés sont encore à un stade précoce de développement et risquent d’être (ou sont) rachetées par de plus gros acteurs du marché. «Le problème», explique-t-il, mardi soir, «est que vous avez signé sur la protection des données avec la start-up, et pas avec celui qui l’a rachetée». Est-ce que cela ouvre la porte à des dérives?
, qui a déconseillé à ses employés d’effectuer le moindre test de ce type. Les agents sous couverture pourraient soit être amenés à évoquer leurs ancêtres, soit être embêtés au moment d’arriver sur le lieu d’une mission.
Mais aussi un certain nombre d’observateurs. Si les données n’étaient pas assez bien protégées, elles pourraient tomber dans les mains… des assureurs et des mutuelles. Qui verraient automatiquement les clients qui présentent des risques de certaines maladies, comme Alzheimer, ou de certains problèmes comme le diabète et le cholestérol.
«Game over», , qui relève que tous ces problèmes sont à l’origine d’une crise de confiance dans ces produits. La preuve? 23andMe a annoncé licencier 100 de ses 700 employés.