Le nouveau CEO de SES, Adel Al-Saleh, entend installer durablement SES parmi les leaders du marché. L’acquisition d’Intelsat – logique avec la nécessité de consolider le marché – et le Big Data sont des opportunités claires et prometteuses, assure-t-il. (Photo: Nader Ghavami)

Le nouveau CEO de SES, Adel Al-Saleh, entend installer durablement SES parmi les leaders du marché. L’acquisition d’Intelsat – logique avec la nécessité de consolider le marché – et le Big Data sont des opportunités claires et prometteuses, assure-t-il. (Photo: Nader Ghavami)

Trois mois après son arrivée à la tête de SES, Adel Al-Saleh avait prévu sa première rencontre avec la presse, ce jeudi à Betzdorf, pour les résultats du premier trimestre. Une fuite dans la presse a «invité» le fleuron luxembourgeois à accélérer l’officialisation du rachat d’Intelsat à mardi. Mais d’autres idées germent déjà.

«Je suis venu pour le changement. C’est la première chose que j’ai dite aux équipes et qui l’ont bien compris.» Invité à examiner l’offre d’emploi de l’entreprise luxembourgeoise par un chasseur de têtes, Adel Al-Saleh, le dirigeant de Telekom, passé par IBM, a fait sa «due diligence». «J’étais arrivé au moment où je commençais à me demander ce que j’allais faire ensuite.» Aux commandes de SES depuis trois mois, le successeur de Steve Collar insiste: «Je veux faire partie de l’équipe qui a du succès. Elle a du succès aujourd’hui, bien sûr, mais il n’y a pas de garantie dans notre marché. Je veux faire partie de l’équipe qui va donner des bases solides à cette entreprise pour les dix prochaines années.»

Avez-vous été recruté pour finaliser le deal avec Intelsat ou bien étiez-vous au courant que les discussions étaient avancées et vous avez encore accéléré?

Adel Al-Saleh. – «Ça a été très rapide, très excitant, ces trois mois. Et cela va continuer. J’étais au courant que les discussions avaient lieu, puisqu’il y avait déjà des discussions il y a un an. Cette fois, c’est très différent. Je n’ai pas été recruté pour boucler la transaction. Quand j’ai été recruté par le conseil d’administration et les actionnaires, nous étions alignés sur la nécessité de consolidation. Devant le conseil d’administration, nous avons commencé à évaluer différentes options. Nous avons eu de la chance que cela puisse se faire rapidement.

Pourriez-vous partager votre vision de l’entreprise que vous dirigez depuis trois mois?

«Notre vision est vraiment très claire. Nous voulons être un des top leaders de l’industrie du satellite et en particulier de la communication par satellite. Cela signifie beaucoup de choses. Nous devons travailler très dur pour identifier les tendances de marché où nous voulons être les leaders. Nous devons être capables d’innover, de fournir des solutions très compétitives au marché et à nos clients. Nous devons aussi avoir les moyens financiers nécessaires.

Nous sommes aussi très fiers d’avoir 600 employés au Luxembourg. Bien sûr que nous aurons une large empreinte au Luxembourg.
Adel Al-Saleh

Adel Al-SalehCEO SES

Vous êtes actuellement déjà un des top leaders du marché…

«Mais comment protégez-vous cela? Nous pouvons être le leader d’aujourd’hui mais plus dans deux ans. Nous devons nous assurer que nous resterons dans le top 3. Mais ce n’est pas suffisant, nous voulons être une entreprise en bonne santé, innovante, à succès.

L’acquisition d’Intelsat peut signifier que des employés des deux entreprises seront en doublon. Que pouvez-vous dire aujourd’hui sur la pérennité des 600 emplois sur le site luxembourgeois, où restera le siège social de la future entreprise?

«D’abord, pour nous, c’est très excitant de réunir les deux entreprises et créer un fort leader. Nous sommes très fiers de continuer à avoir notre siège ici et d’avoir le gouvernement luxembourgeois comme premier actionnaire. C’est très important pour nous et pour nos clients, cela donne une stabilité, un ancrage… Nous sommes aussi très fiers d’avoir 600 employés au Luxembourg. Bien sûr que nous aurons une large empreinte au Luxembourg. La combinaison demande que nous structurions la société d’une nouvelle manière. Il y aura bien sûr des redondances mais d’une vue macro, nos employés seront dans une plus grande entreprise pour se développer et croître. Sur les détails, nous n’avons pas à partager pour l’instant. Les prochains mois seront très importants pour travailler à tout cela. Il n’y a aucun scénario qui évoque une réduction drastique des effectifs à Luxembourg.

Et pourquoi pas davantage d’employés au Luxembourg?

«Cela dépendra de la disponibilité des talents. Nous évoluons vraiment dans un marché global. 99,99% de la planète. Nous fournissons des services partout. Nous recrutons des talents où nous les trouvons. Si nous les trouvons au Luxembourg, et au moment où nous en aurons besoin, bien sûr que nous les recruterons. Big data, intelligence artificielle, ingénieurs de réseaux: ce n’est pas si évident de les trouver à l’endroit où vous voudriez les trouver.

Intelsat a de nombreux contrats avec les agences américaines. Les solutions gouvernementales sont un axe en plein développement pour vous. Qui de vous deux a le plus à apporter à l’autre?

«SES fournit déjà de nombreux services au gouvernement américain. À différentes entités du gouvernement. Nous sommes déjà le leader des fournisseurs de solutions. Il y a des complémentarités pour servir pas seulement le gouvernement américain mais l’Union européenne, les États membres, l’Otan… Cela nous donne la possibilité de fournir de nouveaux services que nous n’aurions pas pu proposer aujourd’hui. Les États-Unis ne sont pas les seuls même si ce sont ceux qui dépensent le plus dans l’espace. La Commission européenne bouge aussi, comme le Royaume-Uni, l’Australie ou le Japon. Tous veulent fournir de la connectivité à leurs citoyens.

La distribution de clés quantiques passera par un LEO mais c’est un cas particulier et nous avons un business case intéressant.
Adel Al-Saleh

Adel Al-SalehCEO SES

Est-ce que la demande augmente parce que les tensions augmentent et que les usages militaires changent?

«La situation géopolitique mondiale est assez instable. Les gouvernements ont réalisé que le futur de la défense ne réside pas seulement dans des armes conventionnelles, mais dans des solutions innovantes qui incluent aussi l’espace. Le marché est en croissance, ce qui explique pourquoi il y a tellement de compétiteurs. Dans le passé, c’était assez concentré. Il y a aujourd’hui des besoins de connexions intersatellitaires, de chiffrement… Par exemple, une des choses très excitantes que nous nous apprêtons à lancer est la distribution de clés quantiques via satellite, un projet emmené par l’Agence spatiale européenne sur lequel nous avons le lead technologique. C’est utile pour le domaine militaire mais aussi pour les marchés financiers, les banques, les fonds d’investissement, parce que cela rend le chiffrement plus sûr. Il y a trois ans, ces technologies n’étaient même pas sur les radars… Prenez la technologie déployée par John Deere pour la smart agriculture ou Starlink…

Intelsat et vous travaillez déjà sur différentes orbites, GEO, MEO et LEO, via des partenariats…

«Nous créons un très fort compétiteur multiorbites, capable de développer des services. Notre service ‘video’ devient une partie plus petite de notre business mais reste très important parce qu’il permet d’amener du contenu à des pays qui n’ont aucun autre moyen d’y avoir accès.

Votre prédécesseur ne voyait pas d’intérêt particulier à avoir une constellation à basse orbite, du type Starlink, parce qu’il faut beaucoup de satellites pour avoir une couverture correcte. Vous partagez cette approche?

«La meilleure manière d’avoir accès à des satellites à basse orbite est de nouer des partenariats. D’un point de vue purement économique. À basse orbite, il faut des milliers de satellites pour être compétitif. Notre priorité est de conforter notre constellation à moyenne orbite où nous sommes le leader, maintenir nos satellites à haute orbite et introduire des satellites pilotés par des logiciels. La distribution de clés quantiques passera par un LEO mais c’est un cas particulier et nous avons un business case intéressant. Avec Planet Labs, nous avons démontré la faisabilité de communication à faible latence en utilisant des satellites à moyenne et à haute orbites. Avec les MEO, cela permettra de conserver une latence inférieure à 100 millisecondes.

Il y a quelques années, on disait aussi que vu le volume de données que SES opérait, elle aurait peut-être intérêt à être aussi fournisseur de solution de stockage. Surtout qu’avec le développement de l’activité liée au gouvernement vont se poser des questions de souveraineté. Où en êtes-vous de vos réflexions sur ce sujet?

«Nous avons aujourd’hui de gros datacenters. Nous travaillons avec des clouds publics et des clouds privés. Nous sommes vraiment stricts sur nos politiques, sur la cybersécurité… Je viens d’une industrie qui connaît très bien les datacenters…

D’où ma question…

«Je ne nous vois pas en faire une activité centrale. Nous sommes une entreprise qui fournit de la connectivité via l’espace. Nous fournissons déjà des solutions intégrées, tout ce dont nos clients ont besoin! Mais une activité dédiée, non. Je vois de grosses opportunités en terme de Big Data, pour faire davantage d’analyses, de modélisations. Nous avons de grandes quantités de données, sur les satellites, sur notre réseau, sur le trafic dans le réseau, sur le comportement des satellites. Avec du Big Data, nous pourrions rendre nos satellites encore meilleurs, notre réseau meilleur… Avec l’intelligence artificielle, cela sera en croissance. Je crois que nos clients demanderont encore plus de choses autour de cela.

Nous sommes le seul opérateur de satellites qui donne des dividendes.
Adel Al-Saleh

Adel Al-SalehCEOSES

Quoi: si le satellite peut fonctionner 24h sur 24?

«Non, pas seulement ça. Ils veulent déjà ça aujourd’hui. Mais par exemple, si nous fournissons un service à un bateau de croisière. L’opérateur veut savoir quelle est la qualité de l’expérience pour ses clients. Comme cela fonctionne devant le bateau, derrière, etc. Où est-ce que cela marche le mieux et que nous pourrions avoir plus de capacités, plus de pouvoirs? Est-ce que c’est mieux quand nous sommes en mer ou dans un port? Pour proposer une sophistication de la manière dont vous utilisez la donnée.

Cela ne permet que de mieux servir vos clients actuels?

«Et? Il y a quelques business cases très intéressant autour du Big Data! Comment utiliser les données pour prédire quelque chose? Ou pour anticiper quelque chose? Ou pour donner à nos opérateurs plus de capacités à agir en cas de souci? Comment optimiser le trafic, bouger les données d’un satellite à un autre? L’autre partie est de permettre avec le Big Data à nos clients d’avoir encore plus de succès.

Comment expliquez-vous la réaction des marchés, qui ont continué à plonger après l’annonce de cette acquisition?

«Nous sommes très surpris des réactions du marché. J’ai parlé avec tous nos gros actionnaires, j’ai parlé avec beaucoup d’analystes et nous avons eu des réponses positives et neutres. Nous sommes la seule société de satellites qui reste ‘investment grade’, nous sommes le seul opérateur de satellites qui donne des dividendes. Le seul! Et nous maintiendrons cela, même après la transaction. Et des dividendes à partir du cash généré, pas à partir de nouvelles dettes! Nous n’aimerions pas cela. Au fur et à mesure de notre évolution, il n’est exclu que le niveau de dividende progresse. Pour l’instant, je m’attends à ce que nos actions remontent, cela prendra le temps que le marché digère le deal, quelques jours. J’espère que cela attirera de nouveaux investisseurs qui voient la valeur à long terme de l’entreprise. Nous voulons sécuriser le futur et pas avoir une vue à court terme.»