Associée au sein du cabinet d’avocats Elvinger Hoss Prussen, , revient sur les impacts et effets de ces deux réglementations. Elle évoque également certains des enjeux, questions et perspectives soulevés par deux autres grandes réformes réglementaires en cours au niveau européen dans le secteur des fonds d’investissement et de la gestion d’actifs: AIFMD 2 – qui vise à apporter des améliorations ciblées aux dispositions clés du cadre actuel régissant les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs – et RIS (retail investment strategy) – qui vise à améliorer la participation des investisseurs particuliers au financement de l’économie.
Modernisation de la réglementation relative aux fonds luxembourgeois
L’entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2023 portant modernisation de l’arsenal législatif relatif aux fonds d’investissement luxembourgeois constitue une étape importante pour l’attractivité et la compétitivité de la Place dans le secteur des fonds d’investissement et de la gestion d’actifs.
Parmi les changements principaux, on peut citer la baisse du seuil minimal d’investissement dans les Sicar, FIS et FIAR à 100.000 euros (contre 125.000 euros auparavant) pour les investisseurs «avertis» autres que professionnels. Par ailleurs, afin de répondre aux besoins du marché, la nouvelle loi étend également de 12 à 24 mois la période pendant laquelle le montant du capital/actif net minimum doit être atteint pour les fonds régis par les lois Sicar, FIS et FIAR et prolonge aussi de 6 à 12 mois cette même durée pour les fonds régis par la Partie 2 de la loi OPC. Elle modifie également les conditions fiscales dont les différents types de fonds luxembourgeois peuvent bénéficier en matière de taxe d’abonnement.
Mais on ne peut réduire l’ampleur et l’impact de la loi du 21 juillet 2023 à ces seules mesures. Le texte de loi a en effet été pensé plus globalement autour de deux axes, selon Olivia Moessner: «On y trouve une volonté d’amélioration et d’harmonisation dans son ensemble de la législation luxembourgeoise relative aux fonds d’investissement et à leurs gestionnaires, ainsi qu’une volonté de s’inscrire dans la tendance amorcée il y a quelques années de “retailisation” ou de démocratisation des actifs privés.»
Le retour des fonds Partie 2
Les fonds réglementés en vertu de la Partie 2 de la loi OPC connaissent actuellement un fort regain d’intérêt de la part des investisseurs et gestionnaires. «C’était une structure quelque peu oubliée que l’on n’utilisait quasiment plus que pour des fonds destinés au marché japonais.» Ce retour en grâce des fonds Partie 2 (dans lesquels tout type d’investisseur – y compris les particuliers – peut investir) est, entre autres, dû au règlement Eltif 2 dans la mesure où les fonds européens d’investissement à long terme (european long-term investment funds) sont des fonds d’investissement alternatifs souvent structurés au Luxembourg sous forme de fonds Partie 2 pour permettre la distribution aux particuliers et de bénéficier du passeport Eltif y relatif.
Pour mémoire, les fonds Partie 1 correspondent au produit Ucits, le produit grand public de référence dans le secteur des fonds réglementés, qui bénéficie du passeport européen auprès des investisseurs de détail, notamment, et a fait le succès de la Place à son origine. Mais qui dit grand public dit contraintes et limitations réglementaires strictes, notamment en matière d’actifs/investissements éligibles, ainsi qu’en matière de diversification des investissements et des risques, par exemple.
Par contre, un fonds Partie 2, même s’il peut s’adresser au grand public, n’est pas soumis à un régime aussi strict. Ainsi, il peut en principe investir dans des actifs plus variés, y compris illiquides, comme l’immobilier ou la dette. Mais, en retour, un fonds Partie 2 ne dispose pas du passeport européen pour la distribution aux particuliers au sein de l’UE. Cependant, si un AIFM européen autorisé est désigné, le fonds Partie 2 pourra commercialiser ses actions auprès d’investisseurs professionnels dans l’ensemble de l’UE par le biais d’un passeport spécifique instauré par la directive AIFM. Ainsi, «les fonds Partie 2 connaissent une forme de résurrection autonome indépendamment du label Eltif, et ce grâce à des acteurs du secteur du private equity qui sont très intéressés par la distribution aux investisseurs de détail sans nécessairement avoir besoin des passeports européens de commercialisation et qui ne veulent pas forcément se voir imposer les règles encore rigides pour certaines applicables aux Eltif. Une distribution à des semi-professionnels, opérée sous les règles de placement privé applicables dans les juridictions locales, comme en Allemagne, peut suffire.»
Le Luxembourg s’impose comme une juridiction d’excellence pour ses produits [Eltif], comme il l’est depuis des décennies pour les OPCVM.
À cet égard, la loi du 21 juillet 2023 modernise le régime des fonds Partie 2 en leur offrant plus de flexibilité en termes de structuration, en ce compris «la possibilité pour les SICAV Partie 2 d’être constituées désormais également sous forme de sociétés en commandite par actions, en commandite simple, en commandite spéciale ou sous forme de société à responsabilité limitée, en plus de la forme traditionnelle de la société anonyme initialement prévue».
Autre avancée importante: «Un fonds Partie 2 de type fermé ne pouvait jusqu’à présent pas émettre d’actions, parts ou parts d’intérêts à moins de disposer d’une valeur nette d’inventaire (VNI) actualisée, ce qui pouvait poser un problème pour ce type de fonds, notamment dans le secteur du private equity, où les fonds fermés émettent à prix fixe sous réserve de l’application de mécanismes dits “d’égalisation”. Désormais, le ticket d’entrée dans un fonds fermé soumis à la Partie 2 de la loi OPC, c’est-à-dire le prix de vente d’une action, part ou part d’intérêt, peut désormais aussi être fixé à un prix autre que la VNI et qui sera établi conformément aux documents constitutifs du fonds.»
Le règlement Eltif 2
Le règlement Eltif 2 du 15 mars 2023 a été l’autre bonne nouvelle pour les professionnels. Selon Olivia Moessner, «c’était une réforme qui était absolument nécessaire. Je crois qu’en termes de restrictions d’investissement ainsi qu’en termes d’actifs éligibles, il y avait vraiment des flexibilités à apporter au texte initial. Historiquement, à l’origine d’Eltif 1, il y avait une réflexion des institutions européennes qui voulaient donner accès aux investisseurs retail à des actifs plus illiquides et avec un plus long terme d’investissement, afin de favoriser l’émergence d’une épargne à plus long terme pouvant servir de complément de retraite. La première idée était de modifier le régime de la directive Ucits pour y intégrer des actifs plus illiquides. Mais cela posait plus de problèmes que cela n’apportait de solutions, et la Commission a opté pour un régime séparé. C’est ainsi que les Eltif ont été créés, en s’inspirant très largement des restrictions d’investissement applicables aux OPCVM. On avait par exemple, sur des actifs illiquides, des restrictions à 10. Autrement dit, et à titre d’exemple, pour un fonds d’infrastructure, il fallait trouver 10 projets avec des maturités proches, ce qui était quasiment impossible. On est désormais passé à des restrictions à 20.»
La suppression des limitations de l’accès des investisseurs particuliers aux Eltif va favoriser la démocratisation du produit dans sa forme destinée aux investisseurs particuliers. «À côté des fonds Partie 2 non labellisés Eltif, nous assistons à un intérêt croissant pour les Eltif de la part des acteurs du private equity comme de ceux de la gestion traditionnelle. Le Luxembourg s’impose comme une juridiction d’excellence pour ses produits, comme il l’est depuis des décennies pour les OPCVM.»
Qu’attendre d’AIFMD 2?
L’agenda réglementaire ne dort jamais. Eltif 2 à peine digéré, d’autres textes pointent le bout de leur nez. Avec des objectifs ambitieux et quelques zones d’ombre inquiétantes.
Premier de ces rendez-vous, la nouvelle version de l’Alternative investment fund managers directive (AIFMD). Dans le cadre de son plan d’action pour un marché de capitaux unique (CMU pour capital markets union), la Commission a proposé en novembre 2021 une révision de la directive. Le texte final n’a pas encore été publié. Toutefois, un accord global a été trouvé en juillet 2023. Olivia Moessner voit trois volets essentiels dans cette nouvelle législation.
Des fonds de dettes plus encadrés
«Ce qui est intéressant», relève de manière préliminaire Olivia Moessner, «c’est cette volonté des autorités européennes de venir réglementer des produits via une directive qui, à la base, est conçue pour encadrer les gestionnaires de fonds et pas les fonds eux-mêmes.» Sur le fond, elle ne s’attend pas à ce que les propositions de la Commission révolutionnent cette activité sur la Place, qui a déjà développé une forte expérience sur ce segment. «Par contre, de nouvelles contraintes vont apparaître», prévient-elle.
Ainsi, l’effet de levier de ces fonds, notamment, va être encadré et des règles de rétention seront introduites. «Les initiateurs de fonds de dettes qui émettent des prêts et les vendent par la suite sur le marché secondaire vont devoir garder une exposition minimale sur ces prêts de l’ordre de 5 durant une certaine période. Une disposition adoptée en vue d’un alignement sur le régime de la titrisation européenne. Ce ne sont pas des révolutions, mais certainement des contraintes supplémentaires, et il va falloir garder à l’œil la manière dont le marché va y réagir.»
Le secteur craignait un encadrement plus strict. Cela ne sera pas le cas.
Une gestion du risque de liquidité davantage encadrée
«La question du risque de liquidité est un sujet majeur pour les autorités internationales et européennes. Et cela va le rester pour longtemps.» De fait, après différentes crises et au sortir de celle du Covid, les institutions européennes ont vu la nécessité d’imposer aux fonds d’investissement l’utilisation d’outils de gestion des liquidités (liquidity management tools). «Ce n’est pas une révolution pour le Luxembourg. Quasiment tous les fonds ouverts sur la Place disposent de manière standard de tels outils. Cette obligation va par contre tirer les standards européens à la hausse dans la mesure où ces outils ne sont actuellement pas tous disponibles dans l’ensemble des États membres.»
Transparence accrue dans la délégation
AIFMD 2 introduit également de nouvelles dispositions sur la délégation, avec comme volonté d’arriver à une plus grande transparence. Il y aura désormais une obligation de notification aux autorités européennes des informations relatives au volume et au pourcentage des actifs sous gestion délégués. «Le secteur craignait un encadrement plus strict. Cela ne sera pas le cas. Le dispositif retenu est satisfaisant. Maintenant, le système réglementaire est tel que nous ne sommes pas à l’abri d’une interprétation plus contraignante émanant d’une institution de haut niveau comme l’Esma (European securities and markets authority). Et certains points, malgré l’accord politique intervenu au niveau des institutions européennes en juillet, sont renvoyés devant un comité technique qui va rédiger le texte final. L’intention politique est clairement d’ajouter de la transparence pour les régulateurs plutôt que des contraintes limitatives supplémentaires.»
Enjeux majeurs de la Retail Investment Strategy pour l’industrie des fonds
Au final, AIFMD 2 ne devrait pas être une révolution trop importante pour la Place. Mais cela risque d’être différent pour ce qui est des enjeux, conséquences et implications à venir dans le cadre de la proposition législative publiée par la Commission européenne en date du 24 mai 2023 concernant la stratégie pour l’investissement des particuliers (retail investment strategy, ou RIS) et qui envisage de modifier pas moins de cinq textes fondamentaux relatifs aux investissements par les particuliers. «RIS va être un énorme sujet. L’objectif majeur est de renforcer la confiance et la participation des épargnants dans les marchés financiers en améliorant et en accroissant la transparence (notamment des coûts) et la comparabilité des produits d’investissement et d’épargne. Le souci, c’est que RIS est une réglementation transversale qui va impacter plusieurs réglementations applicables aux acteurs de la finance et de l’assurance. Le package inclut également une proposition de modification du régime PRIIPs.»
Un des principaux points d’achoppement qui a retardé la publication de RIS par la Commission est celui de la possible interdiction des rétrocessions. Olivia Moessner précise qu’«au départ, la volonté était d’interdire de manière absolue les rétrocessions payées par les producteurs d’instruments financiers aux distributeurs. Au final, le texte proposé étend l’interdiction des rétrocessions aux services de réception-transmission d’ordres et d’exécution d’ordres à des investisseurs de détail – ou pour le compte de ceux-ci. De mon point de vue, il n’est pas sûr que cette réforme en l’état favorise les investisseurs. Mais elle favorisera sûrement les entreprises d’investissement qui ont un réseau de distribution intégré.»
Un autre point important de la réforme RIS est l’introduction du concept de «value for money», autrement dit l’évaluation du prix payé par rapport au service rendu. «De la manière dont le texte est libellé, le principe de “value for money” est réduit à la seule dimension du coût, avec le risque d’inciter les distributeurs à favoriser les fonds passifs au détriment de la gestion active.»
Cet article a été rédigé pour le supplément ALFI de l’édition de parue le 13 septembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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