La fin d’année est souvent propice à l’établissement de bilans. C’est aussi le cas au sein de l’industrie des fonds. Le 22 novembre dernier, l’Alfi (Association luxembourgeoise des fonds d’investissement), en collaboration avec KPMG, a ainsi dévoilé . Et les chiffres publiés témoignent à eux seuls du succès actuel de ces investissements: +45,4% de juin 2021 à juin 2022 pour les actifs sous gestion en dette privée, +26% pour les fonds d’immobilier et d’infrastructure. Quant aux actifs sous gestion en private equity, segment roi de cette catégorie d’actifs, ils avaient progressé de près de 30% en 2021. Et même si les chiffres pour 2022 ne sont pas encore connus, ils devraient aussi être largement positifs.
Ce succès n’est pas un feu de paille. Bien au contraire. Les actifs privés, un terme qui fait référence à l’ensemble des actifs non cotés en bourse (private equity, venture capital, dette privée ou actifs réels comme l’immobilier, l’infrastructure, etc.), connaissent une progression constante depuis de nombreuses années, plus précisément depuis la crise financière de 2008. «On peut même parler d’une explosion, commente , deputy head of client portfolio services au sein de Lombard Odier Europe SA. Entre 2008 et 2018, le volume d’actifs privés a triplé, porté en particulier par le développement du private equity. Je pense qu’au vu de la conjoncture actuelle, ce mouvement pourrait se poursuivre au cours des prochaines années.»
Le remède anti-crise
La croissance constante des actifs privés au cours des dernières années est ainsi en partie une conséquence de cette crise financière, qui a refroidi plus d’un investisseur. En revenant à des placements tangibles, moins concernés par les fluctuations boursières – investir ou prêter à des sociétés non cotées, financer la construction d’infrastructures, de projets immobiliers, etc. –, les investisseurs ont retrouvé une forme de sérénité, mais aussi d’intéressantes perspectives de rendement.
Au cours des 10 dernières années, les rendements annualisés des actifs privés ont ainsi généralement dépassé ceux des actifs traditionnels, le tout avec un niveau de volatilité plus faible. «À ce niveau, chaque actif privé est différent. Le couple rendement-risque n’est pas le même en private equity ou venture capital que dans d’autres segments. Tout dépend des attentes de l’investisseur: souhaite-t-il disposer d’actifs qui pourront avant tout amortir les conséquences d’une éventuelle crise ou cherche-t-il à maximiser son rendement?», explique Catherine Thibaut.
Nous disposons d’éléments qui nous montrent que les fonds de private equity lancés en période de crise ont historiquement été ceux qui ont le mieux performé sur la durée du cycle d’investissement.
En matière de crise, l’année 2022 a d’ailleurs été mouvementée. Au sortir d’une pandémie, la guerre a éclaté en Ukraine, entraînant le retour à une inflation élevée et un relèvement des taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale européenne et de la Fed (Réserve fédérale américaine). Ces évolutions ne constituent-elles pas une sérieuse épine dans le pied des investisseurs friands d’actifs privés, à commencer par le private equity?
«À court terme, il y aura certainement un impact négatif sur les investissements en private equity, reconnaît l’experte de Lombard Odier. Mais l’avantage de ce type d’investissement est qu’il se conçoit sur le long terme, c’est-à-dire environ 10 ans. Or, sur la durée, nous disposons d’éléments chiffrés qui nous montrent que les fonds de private equity lancés en période de crise ont historiquement été ceux qui ont le mieux performé sur la durée du cycle d’investissement. Je suis donc convaincue que les éventuelles pertes encaissées au cours de l’année seront lissées sur le long terme.»

Deux éléments expliquent la croissance constante des actifs privés. (Illustration: Maison Moderne)
Les actifs en dette privée, eux, devraient même profiter de la crise, les taux d’intérêt en hausse permettant aux prêteurs d’obtenir de meilleurs rendements. «Pour les investisseurs qui disposent d’actifs immobiliers, l’inflation n’est pas non plus forcément une mauvaise nouvelle, car les loyers sont généralement indexés sur l’inflation, ajoute Catherine Thibaut. Les secousses sur le marché, par ailleurs, ont tendance à conforter les investisseurs dans leur choix de diversifier leur portefeuille, en donnant une place plus ou moins importante aux actifs privés. C’est un bon réflexe, car les gestionnaires de fonds peuvent profiter des décotes de valorisation pour faire des investissements intéressants dans ces segments.»
De nombreuses opportunités
Au-delà de ces facteurs économiques, c’est aussi l’environnement politique qui rend la période particulièrement propice aux investissements dans des actifs réels. Aux États-Unis comme en Europe, de nombreux plans d’investissement ont été mis au point, notamment en matière d’infrastructures. Pour les mener à leur terme, d’importants montants seront nécessaires et les investisseurs pourront certainement profiter de belles opportunités en participant au financement de ces projets. «Nos sociétés sont en pleine transition, notamment au niveau énergétique et en matière de digitalisation, poursuit Catherine Thibaut. De nombreuses sociétés développent des technologies innovantes, de nouvelles manières de produire une énergie renouvelable, etc. Des moyens financiers sont également nécessaires pour concrétiser ces projets et mener cette transition à bien.»

Le private equity est la classe d’actifs la plus privée des investisseurs, suivi du private debt. (Illustration: Maison Moderne)
En Europe, le législateur veut d’ailleurs accélérer et encadrer cette indispensable transition énergétique en multipliant les initiatives réglementaires. La SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), désormais en vigueur, exige ainsi des émetteurs de fonds d’investissement qu’ils classifient leurs structures en fonction de l’importance qu’ils accordent au caractère durable des projets qu’ils soutiennent. Un fonds «article 6» n’intègre ainsi aucun critère de durabilité dans le processus d’investissement. Un fonds «article 8», lui, promeut des caractéristiques environnementales ou sociales.
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Quant au fonds «article 9», il vise directement des investissements durables, cette dernière notion étant clarifiée par la taxonomie européenne récemment dévoilée. Comment les actifs privés se positionnent-ils par rapport à cette nouvelle réglementation? Si l’on en croit l’étude Alfi/KPMG précédemment citée, la durabilité ne paraît pas encore être une priorité en ce qui concerne les actifs privés, et particulièrement la dette privée. Ainsi, les fonds de dette privée classés «article 9» ne représentent que 2% des fonds qui ont participé à l’enquête de cette année, contre 6% l’an dernier. Les fonds «article 8» ont également diminué, passant de 33 à 23%. À l’opposé, les fonds «article 6» ont progressé de 61 à 75% en un an. Il reste donc encore quelques efforts à produire pour «verdir» les actifs privés.
Gérer l’illiquidité
Si les actifs privés ont donc incontestablement le vent en poupe, leur particularité commune doit toutefois bien être prise en compte par les investisseurs: il s’agit de placements particulièrement illiquides, qui gèlent les montants investis durant une longue période, à l’exception peut-être de la dette privée, dont l’horizon d’investissement est un peu plus court.
Investir dans ce type d’actif doit donc se faire en prenant en compte cette contrainte. «Il faut développer une logique d’investissement quand on commence à s’intéresser aux actifs privés. Les choix de l’investisseur doivent être adaptés à ses propres contraintes ainsi qu’à ses objectifs. Ces actifs offrant une certaine flexibilité, on peut donc créer des portefeuilles sur mesure, adaptés à chaque profil», explique Catherine Thibaut.
Ces portefeuilles doivent donc aussi contenir des actifs traditionnels, afin de gagner en liquidité et de diversifier le risque. Mais à combien doit idéalement s’élever le pourcentage alloué aux actifs privés? «Chaque investisseur est différent et il est donc difficile de donner un seul chiffre, mais, en toute logique et pour les investisseurs éligibles, disposer de 15 à 20% d’actifs privés pour débuter est déjà un bon pourcentage, qui permet d’équilibrer un portefeuille», répond la deputy head of client portfolio services, qui invite les investisseurs à se faire accompagner avant de se lancer dans le bain des actifs privés.
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«Il y a souvent un intérêt exprimé par rapport à ces investissements, mais il faut régulièrement faire un travail de pédagogie et de formation vis-à-vis de ces matières qui sont assez différentes de celles de la finance traditionnelle. En matière de stratégie d’investissement, il convient aussi d’être prudent. Nous recommandons toujours à nos clients d’investir sur plusieurs années, et de façon progressive. Cela permet de lisser les performances de portefeuille sur la durée, d’amortir les éventuelles crises, tout en évitant de passer à côté d’une année particulièrement bonne.»
En veillant à équilibrer les portefeuilles, à varier les secteurs et les zones géographiques où sont investis les fonds, mais aussi à diversifier les gérants de ces différents fonds, les acteurs de la banque privée contribuent à la solidité de l’investissement dans des actifs privés et, ainsi, renforcent leur attractivité. De quoi alimenter la croissance de ce secteur pendant de longues années encore…
Cet article a été rédigé pour de l’édition de parue le 14 décembre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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