Sanjeev Gupta, lors de sa visite à Dudelange, en 2018, quelques semaines après son acquisition. (Photo: Nader Ghavami/archives Maison Moderne)

Sanjeev Gupta, lors de sa visite à Dudelange, en 2018, quelques semaines après son acquisition. (Photo: Nader Ghavami/archives Maison Moderne)

Depuis les déboires de Greensill, principal créancier du groupe sidérurgique GFG Alliance, maison mère de Liberty Steel, les 1.000 salariés des sites de production de Liège et de Dudelange craignent pour leur avenir.

L’histoire avec Liberty Steel avait pourtant bien commencé, tant à Dudelange qu’à Liège. En 2018, avec le rachat des deux sites faisant suite à l’obligation, pour ArcelorMittal, de vendre certaines activités afin de pouvoir acquérir Ilva en Italie, certains n’étaient pas mécontents de troquer le rouge d’ArcelorMittal pour le bleu de Liberty. D’autant plus que 100 jours après l’acquisition et après , le nouvel homme fort de la sidérurgie européenne avait promis une enveloppe de 100 millions d’euros à investir dans les outils de production. 

Après un audit de 100 jours, Liberty avait ciblé les outils à améliorer. La ligne de fer-blanc, la réalisation d’un projet de cogénération sur le site de Tilleur qui permettra la production de sa propre vapeur et de son électricité, et l’amélioration de la qualité, des performances et de la capacité de la ligne de galvanisation n° 4 de Flémalle, du côté de Liège. Pour Dudelange, l’argent devait servir sur la ligne de galvanisation et sur un revêtement organique. «À ce jour, il n’y a pas eu un seul investissement», assure Robert Fornieri, secrétaire général adjoint de la coordination Fédération Industrie-Sidérurgie au LCGB. Même constat du côté belge. «Le seul investissement qu’il y a eu, ce sont ceux d’ArcelorMittal, des investissements déjà prévus. Mais il faut dire que cette enveloppe de 100 millions n’a jamais été détaillée avec précision», nuance Jean-Luc Lallemand, représentant régional du syndicat FGTB MWB.

En ce début d’année, Liberty avait encore le vent en poupe. était en discussion avec l’allemand Thyssenkrupp dans le but de racheter ses activités dans l’acier, en difficulté. Un mois plus tard, le groupe sidérurgique basé à Dusseldorf rompra brutalement les discussions. 

Un approvisionnement au compte-gouttes

En mars, . Cette fintech londonienne spécialisée dans le financement à court terme des entreprises était la principale créancière du groupe Liberty Steel. À partir de là, les sites de Liège et de Dudelange ont également été impactés avec la suspension des approvisionnements des usines par ArcelorMittal. Pour rappel, dans le cadre de l’acquisition, Liberty et ArcelorMittal ont passé un contrat pour permettre au site de Dudelange de continuer de produire l’Usibor, un produit acier développé par ArcelorMittal. 

«Il y a eu un arrêt des approvisionnements, mais l’approvisionnement a repris sous conditions. Elles sont canalisées et en dessous des niveaux prévus par le contrat initial en raison du manque de garantie bancaire de Liberty et des retards de paiement. Avec ArcelorMittal, ils ont trouvé un arrangement. Chaque semaine, ce que Liberty paie la semaine courante comme approvisionnement, ils le reçoivent la semaine suivante, mais avec des volumes plafonnés mensuellement», explique le syndicaliste. 

Honnêtement, pour le moment, c’est très chaud. Nous sommes dans une situation très grave et complexe, en plus d’être paradoxale.

Robert Fornierisecrétaire général adjointFédération Industrie-Sidérurgie au LCGB

Seul problème, les niveaux d’approvisionnement ne correspondent pas aux besoins du moment dans un marché en reprise. «C’est le paradoxe qui fait très mal. Les volumes de la demande sont là, mais pas l’approvisionnement», peste Robert Fornieri. 

L’avenir du site dudelangeois semble s’inscrire en pointillé. «Honnêtement, pour le moment, c’est très chaud. Nous sommes dans une situation très grave et complexe, en plus d’être paradoxale. Dudelange est assez performant, et le site pourrait avoir des volumes de production performants, mais il y a un manque de liquidité et un manque d’approvisionnement. Le souci est de trouver très rapidement des liquidités garanties par un tiers pour un avenir du site et de ses emplois. On peut uniquement trouver une solution au niveau local dans la mesure où le groupe Liberty est en léthargie. On ne reçoit aucun soutien financier de la part de groupes, pour le moment. Le seul moyen que je vois, pour sortir de cette situation, c’est l’État», analyse Robert Fornieri.

Usine Liberty de Dudelange. (Photo: Nader Ghavami/archives Maison Moderne)

Usine Liberty de Dudelange. (Photo: Nader Ghavami/archives Maison Moderne)

Au final, la faillite de Greensill a pour conséquence de mettre en danger la viabilité du site dudelangeois. Trois ans après la reprise, la possibilité d’une éventuelle revente commence même à circuler dans les discussions. «Je ne sais pas combien de milliards GFG doit à Greensill, on parle de 5 milliards. Un administrateur judiciaire a été nommé. Son rôle est de récupérer un maximum de capital et d’actif de GFG. Cela pourra avoir des conséquences directes pour Liège et Dudelange», s’inquiète le syndicaliste qui a déjà pensé à une solution avec ArcelorMittal. «La meilleure solution est sans soute d’être rachetée par quelqu’un d’autre. Toute la question est de savoir par qui? Un fonds d’investissement ou bien un industriel? On s’est posé la question d’une possibilité de reprise par ArcelorMittal, mais cela semble compliqué au regard de la Commission européenne, dans la mesure où il n’est pas possible de racheter un actif cédé dans le cadre des règles de la concurrence avant 10 ans. Mais ce cadre était dicté par la situation de l’époque, qui n’est plus la même qu’aujourd’hui au niveau de la demande. C’est très complexe», assure Robert Fornieri. 

Cure d’austérité et recrutement paralysé

Du côté du groupe GFG, Sanjeev Gupta a récemment souligné, dans une communication destinée aux 35.000 personnes employées du groupe dans le monde, resté confiant tout en lançant un nouveau programme visant à assainir chaque usine et à faire des économies, le projet Athéna. «Nous avons lancé ce que j’appelle le projet Athéna, pour lequel nous avons des appels quotidiens avec chaque usine et nous examinons, petit à petit, en détail, comment économiser de l’argent, ce qui pourrait inclure des mesures telles que, vous savez, amener certains de vos clients à payez tôt et, compte tenu de la vigueur du marché, les clients sont prêts à le faire. Vous savez, réduire les niveaux d’inventaire, vous débarrasser de tout indésirable ou de tout ce qui s’est accumulé. Toutes les usines ont des stocks en attente ou des choses dont elles doivent se débarrasser et qui s’accumulent. Donc entreprendre, en quelque sorte, un nettoyage, et faire que toutes ces mesures donnent des résultats, et je pense que nos entreprises continueront de bien fonctionner», explique Sanjeev Gupta, depuis Dubaï.

À Liège et à Dudelange, on déplore la situation qui est le fruit d’une vision financière à court terme et non d’une vision à long terme d’un groupe industriel. 

L’inquiétude du LCGB se porte également sur les emplois à Dudelange. Au moment de l’acquisition par Liberty, le site dudelangeois fonctionnait avec 284 personnes. Aujourd’hui, le site compte 220 personnes. «J’ai demandé des explications à la direction sur cette différence au niveau de l’emploi. La différence s’explique par l’intérim, des personnes qui étaient en CDD, mais aussi des départs naturels. Le problème, c’est qu’avec les problèmes financiers, il n’y a pas eu de renouvellement des effectifs. Dès lors, je suis inquiet de ce niveau des effectifs qui est tout de même assez bas, surtout dans un contexte positif au niveau de la demande et dans l’hypothèse d’une prochaine reprise», s’inquiète Robert Fornieri.

Au total, sur Liège et Dudelange, Liberty Steel emploie 1.000 personnes.